Le 19 mai, la gauche unie révélait 650 mesures, mais pas un mot dans les 20 heures. Que l’on se rassure, Cannes est bien traité, ainsi que quelques écrans de fumée auxquels le gouvernement «réfléchit».
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JOURNAL LIBÉRATION
JT: chut, la gauche a un programme!
Le 19 mai, la gauche unie révélait 650 mesures, mais pas un mot dans les 20 heures. Que l’on se rassure, Cannes est bien traité, ainsi que quelques écrans de fumée auxquels le gouvernement «réfléchit».
Et le programme de la gauche unie arriva enfin. C’était le 19 mai, l’histoire de ladite gauche s’en souviendra certainement, et peut-être même, qui sait, l’histoire de France. 650 mesures, et 33 points de désaccords baptisés «nuances». Rien de moins que le smic à 1 500 euros net, le blocage des prix des produits de première nécessité, la retraite à 60 ans, le référendum d’initiative citoyenne. Mais cette page historique de la gauche française a échappé aux chaînes de télé tout aussi historiques, TF1 et France 2, qui dans leurs journaux de 20 heures, n’y ont pas consacré un seul mot, comme l’a relevé une chronique de Amaury de Rochegonde sur RFI.
Le gouvernement pense à vous
Ce genre d’impasse est habituel. Il est habituel au 20 heures qu’une actualité politique réputée ennuyeuse et sans images (Mélenchon, Faure et Bayou sur la même estrade, tu parles d’une image !) cède la place à de divertissants sujets de diversion. Le Festival de Cannes est là pour ça (le JT de France 2 propose ce soir-là une enquête exclusive sur «le prix de la palme d’or»). Et plusieurs reportages sont consacrés à un vrai sujet d’inquiétude, la sécheresse, ou aux dernières mesures des talibans contre les femmes.
ais ce journal de France 2 du 19 mai, qui passe sous silence le programme de la gauche unie, comporte tout de même une page sur la politique française. En trois chapitres. Premier sujet : les loyers pourraient être gelés. «L’inflation se diffuse dans toute l’économie, rappelle Anne-Sophie Lapix, d’où cette idée qui fait son chemin à Bercy de geler les loyers.» «Une piste à laquelle le gouvernement réfléchit, confirme le reportage, une mesure qui pourrait bénéficier aux plus fragiles.» Conclusion : «Le ministère de l’Economie confirme que la mesure est à l’étude.» Le téléspectateur attentif notera qu’il ne s’agit pas d’une promesse, encore moins d’un projet. France 2 n’est d’ailleurs pas la seule à faire état de cette «réflexion». Les Echos ont eu vent qu’il «se murmure» que les loyers pourraient être gelés, tandis que le Figaro confirme que selon l’entourage de Bruno Le Maire, le dossier est «instruit». Rien de concret donc, mais la confidence d’un conseiller (peut-être même, en off, du ministre lui-même) suffit à faire un sujet au 20 heures. Soyez rassurés, locataires qui risqueraient de mal voter. Le gouvernement pense à vous.
Faux espoir
Un pas supplémentaire dans l’hypothétique est franchi avec le sujet suivant : la taxation des super profits des entreprises de l’énergie. «Le gouvernement pourrait demander aux entreprises du secteur de l’énergie d’apporter leur contribution» au blocage des prix de l’électricité et du gaz. Justement, les profits de Total sont indécents, et «l’Italie taxe déjà les super profits des grands groupes» note France 2. Même si «en Grande Bretagne, Boris Johnson refuse obstinément cette taxation» (il cédera une semaine plus tard), «le Parlement européen encourage chaque Etat membre à taxer les producteurs d’énergie». La France va-t-elle suivre ? Malheureusement, l’enquête des limiers de France 2 dément son titre, et douche le faux espoir des partisans de la taxation : «Pour l’instant, le gouvernement français dit préférer miser sur d’autres mesures.» Mais alors, pourquoi y consacrer un sujet ?
Au moins, ces écrans de fumée sont-ils lancés par des ministres en fonction ? Même pas. Non seulement le gouvernement promet sans promettre, mais ce fameux ce 19 mai… il n’y a pas de gouvernement. Nommée quelques jours plus tôt, Elisabeth Borne n’a pas encore constitué son équipe. «On prendra le temps qu’il faut», répètent en chœur la Première ministre et Emmanuel Macron dans le même journal (car ce non-gouvernement vaut, lui aussi, deux minutes d’antenne, pompeusement baptisées «l’histoire secrète de ce gouvernement qui se fait attendre»). En résumé, une enquête sur une mesure à laquelle le gouvernement «réfléchit» (le gel des loyers), une deuxième sur une mesure à laquelle il ne réfléchit pas du tout (la taxation des profits), et une dernière sur les raisons «secrètes» pour lesquelles il n’y a, en fait, pas de gouvernement. On comprendra aisément qu’il ne restait pas quelques secondes pour le programme de la gauche.