À l'occasion d'un article pour Mediapart, tirant profit des informations contenues dans le registre des représentants d'intérêts établi par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), je m'étais penché sur le lobbying des géants numériques en France. J'avais demandé les notes ou email qui résultaient des rencontres avec les différents représentants d'interêt de Uber et Amazon avec la ministre du travail – Muriel Pénicaud à l'époque – ou les membres de son cabinet.
Silence au ministère du travail
En mars 2019, les seules actions listées étaient celles s'étant déroulées à la fin de l'année 2017 : Amazon pour « promouvoir un droit du travail plus adapté aux contraintes du e-commerce » (le lien est là) et Uber pour « faciliter la transition LOTI-VTC et l'accès à la profession de VTC » et « améliorer la protection sociale et le développement des compétences des travailleurs indépendants qui utilisent des plateformes » (le lien est ici).
Tout au long de la procédure, le ministère du travail n'a pas jugé bon de répondre à cette demande. Ni à moi, ni à la Commission d'accès aux documents administratifs – qui a rendu un avis favorable à ma demande en juillet 2019 – et pas plus au tribunal administratif, qui souligne dans sa décision que « la ministre du travail a été mise en demeure de présenter ses observations dans le délai de trente jours », le 18 février 2021, sans succès. « Cette mise en demeure étant demeurée sans suite à la date de clôture de l’instruction, la ministre du travail doit (...) être regardée comme ayant acquiescé aux faits exposés dans le mémoire du requérant », observe le tribunal.
« La décision implicite de la ministre du travail refusant la communication à M. Léchenet des mails, documents envoyés ou transmis lors des échanges et des notes prises lors de rendez-vous entre la ministre et ses conseillers et les sociétés Amazon et Uber, ou des entreprises agissant pour elles entre le 1er juillet 2017 et le 31 décembre 2017 est annulée. »
Affaires à suivre
Le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, ou celui de l'économie et des finances m'avaient transmis ces documents, permettant de lever légèrement le voile sur les activités des géants numériques auprès des ministères... Il va falloir encore attendre un petit peu pour obtenir les documents transmis à Muriel Pénicaud et son cabinet : le ministère du travail ne m'a pas encore transmis les documents demandés (ce qui ne saurait tarder, j'en suis sûr).
Tout vient à point à qui sait attendre... Il aura fallu trois ans entre ma demande initiale et la décision du tribunal, mais cette décision devrait permettre d'aller plus vite pour obtenir plus d'infos sur les documents transmis aux ministres et à leurs conseiller·es par les lobbies : le tribunal rappelle que la règle est de les communiquer. Elle vient en même temps que trois autres décisions rendues sur des demandes de documents similaires, contre la ministre des armées, le ministre de l'Europe et celui de la justice. Lorsque l'administration n'a pas déclaré que les documents n'avaient pas pu être identifiés, le tribunal m'a donné raison.
Enfin, deux autres affaires doivent prochainement être jugées : l'Élysée et le secrétariat général du gouvernement pour le compte du Premier ministre ont déclaré que les documents transmis par les géants numériques sont couverts par le secret des affaires. Le juge a demandé à consulter les documents avant de rendre sa décision, qui devrait arriver le mois prochain.