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Billet de blog 19 février 2016

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Mélenchon, le Narcisse de la République

Le 10 février dernier, Jean-Luc Mélenchon a fait don de sa personne « au peuple de la France insoumise ». Ce don, sous forme d’une déclaration sur le plateau de TF1, est basé uniquement sur une approche tactique de l’ancien candidat du désormais défunt Front de Gauche.

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Mélenchon n’a pourtant aucune base sociale, aucune implantation militante dans les quartiers populaires et les entreprises. Tout est à construire d’ici 2017. Mais est-ce là une volonté de rompre avec les combines politiciennes ou plutôt d’éviter le contrôle démocratique que pourraient exercer les militants d’un parti – à condition que ce parti eût un fonctionnement démocratique ? C’est par ailleurs une manière assez peu délicate de traiter ses camarades du PG, qui — malgré leurs limites, comme tout le monde - militent dans moult luttes depuis des années.

Mélenchon réalise là un coup politique excellent. Il s’installe avant tout le monde dans le champ politique et coupe l’herbe sous le pied des partisans de la primaire de la gauche et des écologistes.

Mais ce coup est excellent pour qui et pour quoi ? Telle est la question. La réponse est simple : pour lui même...

La personnalisation à outrance que prend cette candidature, qui plus est sans partis (il avait au moins le mérite, avec le Front de Gauche, de proposer un pluralisme d’idées et d’organisations) est révélatrice en soi du mal que fait – ou peut faire - à la gauche et à l’émancipation sociale ce néfaste personnage. Celui-ci qui se présente comme le "sauveur suprême", censé secourir le peuple, la gauche, et mettre un terme à la caste, à la finance, flirte avec la mégalomanie et représente parfaitement les pires travers de la Vè République. De plus, son slogan "La France Insoumise", laisse à désirer. Outre la référence à la France, à qui s'adresse Mélenchon ? Après son livre germanophobe, nous sommes en droit de titiller sur les termes. 

Jean-Luc Mélenchon est âgé de 64 ans. Il est un homme et il est blanc – et il porte la cravate. Cela ne pose aucun problème par principe. Admettons néanmoins que l’on fait mieux en terme de neuf et de renouveau en politique – et de représentation politique des exploité-es...

Celui que l’on connaît pour ses qualités de tribun excelle aussi dans le domaine peu glorieux de la cumulardise. Son métier ? Politicien professionnel. Alors qu’il adhère au PS en 1977, après avoir passé quelques années chez les lambertistes, il est élu conseiller municipal en 1983 à Massy. En 1985, il est élu, avec le PS, conseiller général de l’Essonne. Il devient sénateur, de l’Essonne toujours, en 1986 pour plusieurs mandats... Actuellement, il est député européen (son mandat a commencé en 2009, il a été réélu en 2014). N’oublions pas son Graal, et sa gloire, c’est-à-dire sa participation en tant que Ministre de l’Enseignement professionnel au gouvernement Jospin qu’il juge « le plus à gauche du monde » à ce moment-là. Ce gouvernement a quand même été celui qui a privatisé le plus de services publics sous la Vè République... Enfin, en 2012, il est le candidat du Front de Gauche à la présidentielle et obtient 11,1% des suffrages.

C’est donc cette personne qui va renouveler la vie politique en 2017. Un petit jeune, propre sur lui, assez pur, non contaminé par les sombres fonctionnements de la « République ». Reconnaissons-lui au moins un fin humour.

Soyons sérieux deux minutes. Le passé de Jean-Luc Mélenchon ne doit pas nous empêcher de travailler avec lui. Que ce dernier ait évolué politiquement sur sa gauche est une bonne chose. La réflexion ici vise simplement à démontrer que cette personne ne peut en aucun cas représenter un mouvement politique neuf, dégagé des magouilles politiciennes. Mélenchon gagnerait à se mettre en retrait pour défendre un projet collectif. Là, il nous demande de le défendre dans une démarche personnelle qui, puisqu’il le promet, deviendrait par la suite collective... Mais toujours avec lui comme candidat. C’est une façon étrange d’envisager la politique et cela flatte l’un des pires fléaux qui nous touche : la délégation de pouvoir.

Mais un autre problème frappe la stratégie mélenchonienne. Le médiocre Jaurès des temps modernes est touché par le même mal que celui qui touchait le créateur du journal l’Humanité : le républicanisme. Celui-ci se résume dans cette phrase que l’on trouve dans un article de Libération : « Quelqu’un a dit : on n’a jamais vu une démarche aussi césarienne de la part de quelqu’un qui condamne la Ve République. Mais alors condamner la pollution de l’air nous obligerait à ne pas respirer ? Je suis un démocrate, républicain, j’évolue dans les institutions dont le pays est doté et je tâche d’en tirer le mieux, y compris dans ce que je condamne le plus fermement de leur fonctionnement. ». Jean-Luc Mélenchon est un « démocrate républicain ». Il est légaliste et totalement dévoué aux institutions du système qu’il veut changer. Il veut changer le système avec le système. Comme Jaurès, il explique que l’État est le lieu de pouvoir où le curseur serait un coup plutôt bourgeois (Hollande, Sarkozy), un coup plutôt prolo (avec lui, bien sûr), selon le rapport de force entre les classes sociales. C’est la République de tous. Pourtant, Marx dès 1871 et l’exemple de la Commune de Paris réprimée au nom de la République française, démontre que l’État en place est un État bourgeois qu’il faut détruire. Lénine a poursuivi dans son ouvrage L’État et la Révolution. Et on ne peut pas dire que les exemples historiques leurs donnent tort : Chili en 1973, Grèce en 2015, pour n’en prendre que deux. Deux exemples où des gouvernements progressites, voire socialistes avec Allende, ont vu les institutions s’opposer à eux au moment où ils souhaitaient mettre en place des politiques alternatives. Dans le cas du Chili, le dénouement a été sanglant...

La classe prolétaire qui représente plus de 80% de la population, et avec elle (c’est ce que nous défendons) le projet de la vie, de l’égalité, de l’amour, ne peut pas avoir le même outil (l’État en place, la République actuelle) que celui utilisé par ceux qui gouvernent aujourd’hui — les bourgeois et leur exploitation destructrice, leur enrichissement honteux, leur individualisation à outrance et la mort qu’ils sèment ... Nous voulons le pouvoir, mais pas de ce pouvoir d’État. De toute façon, ce pouvoir nous est inutile pour mettre en place notre politique. C’est par en bas, par la mobilisation, en convaincant la masse de la population qu’une autre politique est possible que nous commencerons à changer la vie. Tous et toutes ensemble. L’élection présidentielle peut être un moment pour faire entendre ce projet. Dans une situation politique exceptionnelle où nous serions en position de gagner les élections, celles-ci représenteraient alors un moyen de déstabiliser le pouvoir en place, de commencer à avancer des mesures alternatives. Mais sans mobilisations sociales, sans projet alternatif et, osons le terme, sans utopie comme avenir, l’élection présidentielle représente simplement un moment normal du spectacle politique qui n’inquiète, en rien, les dominants.

Notre travail est de longue haleine. Il nécessite un investissement personnel de milliers de militant-es, pour construire une nouvelle représentation politique des opprimé-es et des exploité-es. Pour cela, nous faisons toujours nôtres ces paroles de l’Internationale : «  Il n’est pas de sauveur suprême, Ni Dieu, Ni César, Ni Tribun. Producteurs sauvons nous nous-mêmes, décrétons le salut commun. Pour que le voleur rende gorge, Pour tirer l’esprit du cachot, soufflons nous-mêmes notre forge, Battons le fer quand il est chaud.   ».

Alexandre Raguet,

Poitiers, le 19/02/16.

Publié dans un premier temps ici : http://www.npa86.org/spip.php?article3608

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