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Billet de blog 4 mars 2025

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Identité et écologie, comment ça match ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce texte est la version écrite du numéro 15 de mon Podcast « Tout doit changer » disponible sur Spotify et Deezer mais aussi directement sur Acast

La panique identitaire, dont j’expliquais dans le précédent numéro qu’elle serait amoindrie par une prise en considération sereine de la question de l’identité plutôt que sa stigmatisation, la panique identitaire donc n’est pas seule à bousculer la société contemporaine. Attention, cette panique identitaire telle que je la conçois n’est pas nativement liée à l’extrême droite, sa source est bien plus conventionnelle. Mais l’extrême droite est la seule à la cultiver et à la prendre en compte, donc elle finit par ramener à elle ses victimes.

Il existe donc une autre grande préoccupation qui se transforme en inquiétude forte voir en panique, c’est celle de la crise écologique dans sa globalité, que l’on parle du dérèglement climatique, de la pénurie de matières premières ou de la disparition de la biodiversité.

Ces deux paniques ont davantage qu’un point commun, c’est l’objet de l’épisode d’aujourd’hui.

Sous des formes différentes, ces deux préoccupations tellement envahissantes qu’elles deviennent des paniques sont existentielles car elles remettent en cause l’existence même de nos sociétés, voir de nos civilisations. Avouez que ce n’est pas rien comme base de départ de convergence.

Et ce que je trouve passionnant, c’est que ces deux paniques existentielles qui se développent au même moment dans la société sont très généralement exclusives l’une à l’autre, comme si elles étaient les deux faces d’une même pièce : celle d’une société perdue, à la dérive. Or si elles sont les deux faces d’une même pièce, il est intéressant de voir comment elles interagissent.

En France au moins, mais ailleurs dans le monde aussi il me semble, ces paniques sont clairement concurrentes dans le champ politique.

Les mots « droite » et « gauche », surtout, sont tellement galvaudés, et les frontières bien floues, qu’il serait téméraire de déterminer une partition de la société avec cette simple alternative.

Et sans prétendre que c’est une réelle partition ultime, j’ai tendance à penser que notre société est traversée par une frontière séparant ceux qui s’inquiètent surtout pour la perte de repères auxquels ils sont attachés et qui les rassurent, et ceux qui s’inquiètent pour la viabilité physique des humains sur la planète. Dans la zone frontière, il y a tout un paquet de gens qui ne sont pas inquiétés sérieusement par tout ça car ils trouvent confortable l’état du Monde.

Et puis évidemment, il y a aussi beaucoup de monde, mais s’ils sont moins nombreux que ceux qui vont bien, dont l’inquiétude première est la fin du mois. Ce groupe là aimerait simplement aller bien et il est particulièrement courtisé par les inquiets de l’identité tout en étant convoité par les inquiets de l’habitabilité.

Je dis que ces deux inquiétudes forment une partition parce que, globalement, je traite d’ensemble là, pas d’individus, les inquiets de l’habitabilité détestent les inquiets de l’identité qu’ils ont même tendance à considérer comme leur ennemi principal, et les inquiets de l’identité ont un mépris profond pour les inquiets de l’habitabilité et en font leur bouc émissaire privilégié de l’intérieur, au même niveau que le bouc émissaire qui vient de l’étranger. C’est dire. Et ça c’est nouveau et intéressant. Enfin inquiétant.

Comme postulat, je considère que l’authentique raciste ou fasciste ne représente pas du tout la majorité du bloc des inquiets de l’identité contrairement à ce que « la gauche » feint de croire ou croit vraiment, car c’est bien plus simple ainsi.

Parce que je différencie le raisonnement dont la racine est purement excluante à raison de l’origine d’un raisonnement motivé par d’autres choses mais qui conduit à des propositions jugées excluantes. Et je dis « jugées » car même si elles le sont pour beaucoup de monde, elles ne sont souvent pas vécues comme cela par la personne qui les énonce et cette personne est de bonne foi.

Face à cela, la gauche a tendance à dire « arrête de nier que tu es raciste, tu l’es, point ». Et donc, à force, cette personne se sentant rejetée, va finir par s’identifier elle-même au groupe des racistes. C’est exactement le même procédé qui fait que si j’écoute trop Darmanin, je finis par me ranger dans la catégorie des éco-terroristes, alors que bon... La liste des catégories assignées par d’autres auxquelles on se résout est longue.

Ce postulat étant dit, ma théorie est que la frontière entre les inquiets de l’identité et les inquiets de l’habitabilité est une frontière culturelle beaucoup plus qu’une frontière intellectuelle, et que les mêmes personnes peuvent très bien passer d’un côté à l’autre, alors que ça paraît quasi impossible sur le papier. Et je ne sais pas si c’est une bonne ou une mauvaise nouvelle.

Selon moi, une fois retirés les racistes basiques je le rappelle, les inquiets de l’identité et les inquiets de l’habitabilité partagent une motivation clef : une énorme inquiétude poussant à un désir très fort de retourner la table.

Et qui ne veut surtout pas retourner la table ? Celles et ceux qui vont bien et se nourrissent abondamment, ils sont très nombreux ! Eux ont intérêt à cultiver l’antagonisme entre les inquiets de l’identité et les inquiets de l’habitabilité, à les opposer, les stigmatiser à égalité et les monter les uns contre les autres. Car la catastrophe pour eux serait une union de toutes celles et ceux qui veulent retourner la table.

Pour gagner contre le paquet de ceux qui s’en sortent et qui, il faut bien le dire, tiennent les manettes, les inquiets de l’identité et les inquiets de l’habitabilité essaient de les convaincre que leur intérêt est de partager leur inquiétude. Certains croient même que l’intérêt moral passe avant l’intérêt personnel. Hum hum.

Les inquiets de l’identité disent donc à ce ceux qui vont bien qu’ils iront encore mieux en les rejoignant et que l’avenir est avec eux, tandis que les inquiets de l’habitabilité disent à ceux qui vont bien que si on continue comme ça, ils vont finir par aller mal, et que pour s’en sortir il faut sauter dans leur train.

On se rend bien compte qu’il y a un truc plus facile que l’autre à vendre.

Mais il y a un autre moyen de gagner contre le paquet de ceux qui s’en sortent bien : c’est de travailler à des transferts entre les inquiets de l’identité et les inquiets de l’habitabilité.

Du côté des inquiets de l’identité on travaille vraiment à une jonction avec les autres qui est assez lisible.

Alors que l’idée même de pertinence du sujet « identité » fait débat chez les inquiets de l’habitabilité, Jordan Bardelle dit régulièrement « l’écologie que je défends » pour introduire sa vision des choses. Dans son camp, on parle très tranquillement de localisme et on pourfend sans ambiguïté les traités de libre-échange, pas seulement dans le syndicalisme agricole. Leurs passerelles pour grossir et supplanter le paquet de ceux qui vont bien est décomplexée, ils ont d’ailleurs pas mal de contenus en ligne sur le sujet qui peuvent participer à capter un partie du camp d’en face.

Ça craint.

Unir celles et ceux qui veulent retourner la table en parlant depuis les inquiets de l’habitabilité, c’est un peu ce que tente de faire Mélenchon. Je ne suis pas le dernier à en dire pis que pendre MAIS je dis aussi qu’il est le plus fort et le plus cohérent à gauche. Et je donne un gros coeff à la cohérence.

Les écologistes, j’en suis, qui ont tendance à qualifier de « populisme » les tentatives de jonction, parlent eu « d’écologie populaire » et on sent que ça poursuit cet objectif là aussi même s’il est beaucoup moins bien assumé que LFI, donc c’est moins visible. Et par ailleurs j’ai toujours trouvé que l’expression « écologie populaire » sonnait trop comme un truc qui venait d’en haut.

Roussel aussi essaie même s’il oublie quand même beaucoup beaucoup trop en route les sujets des inquiets de l’habitabilité.

Et enfin, la sphère sociale démocrate pourrait former une synthèse mais elle est plombée par beaucoup de mauvais souvenirs très enracinés qu’il faudrait pouvoir dépasser par un acte symbolique fort.

« Faites mieux », tous.

Je crois que les inquiets de l’habitabilité auraient tout à gagner à prendre conscience de cette porosité et proximité de racines, ne serait-ce que pour ne pas laisser seuls les autres opérer la jonction.

Avant de développer des exemples je voudrais dire deux mots sur un élément qui, je crois, renforce les inquiets de l’identité : l’illusion commune que les identités se substituent les unes aux autres, se concurrencent, au lieu de s’additionner.

Cette illusion est très enracinée dans la culture française, elle est même à vrai dire constitutive de notre identité. Prenons toujours le temps de rassurer là-dessus. C’est davantage un policulturalisme qu’un multiculturalisme qu’il s’agit de valoriser. La tradition centralisatrice a fait des ravages aussi chez les inquiets de l’habitabilité, donc veillons à valoriser l’adaptation locale, l’initiative qui vient d’en bas, la singularité. Tout cela ne met pas en danger notre identité… dès lors qu’il existe un consensus conscient sur ce qu’elle est comme je l’expliquais dans l’épisode précédent de ce diptyque. Cette localisation de l’action et des traditions me semble déterminante si on veut y arriver. Il est donc crucial de dégonfler cette crainte.

Les inquiets de l’identité ne s’inquiètent pas vraiment du risque de disparition de l’humanité dans son ensemble, ils s’inquiètent en premier lieu du risque de disparition de leurs points de repère.

Un levier clef est donc le choix du point de repère lui-même, il y a une bataille culturelle majeure à mener là-dessus en permanence. C’est quoi la référence ?

Par projection progressiste, les inquiets de l’habitabilité voient plutôt loin devant tandis que les inquiets de l’identité se réfèrent naturellement à l’arrière. Ne les laissons pas déterminer le moment de référence qui les arrange et ne les laissons pas fantasmer le passé. Intéressons-nous y aussi car ça peut nous servir. Utilisons cela dans notre pédagogie.

Par exemple, l’habitat bioclimatique n’est pas une lubie de bobo woke. C’est juste un truc qui a été oublié dernièrement avec l’ère d’abondance d’énergie qui s’est révélée illusoire. Mais de tous temps on a construit en utilisant des techniques pour se protéger du froid et du chaud, de tout temps on a privilégié les matériaux locaux et réutilisé les pierres. Intégrons beaucoup plus cela pour enraciner le récit des inquiets de l’habitabilité dans la grille de lecture des inquiets de l’identité.

Les techniques agronomiques ne sont pas des inventions de, je cite, « des gens qui n’ont jamais vu une vache ». Avant de s’en remettre à la chimie, on maitrisait couramment les variétés complémentaires et l’importance de l’écosystème.

Ce ne sont pas des ingénieurs qui ont bifurqué qui ne construisaient pas pendant des générations dans le lit des rivières.

Cultivons dans notre approche la mise en avant de ces points de repère. Si nous ne le faisons pas, eux le feront, et la passerelle fonctionnera à leur bénéfice.

Je dis souvent que la société irait mieux si chacun d’entre nous avait l’occasion d’être régulièrement ému par du beau. Et bien un paysage c’est du beau menacé par la perte d’habitabilité qui peut parler aux inquiets de l’identité.

Les montagnes qui perdent leur forme du fait de la fonte irrémédiable des glaciers, le trait de côte qui se modifie c’est le dessin de la France qui change et toute une tradition littorale qui se transforme de force.

Oui les éoliennes changent le paysage, mais c’est pour gagner de l’indépendance nationale et nous renforcer. Quid des lignes à haute tension, autoroutes et installations agricoles démesurées qui ne les gênent pas ?

Lutter contre la perte d’habitabilité c’est aussi cesser de développer les entrées moches de ville pour préserver des terres agricoles et éviter la disparition de petits commerces indépendants traditionnels dans les communes.

C’est agir pour un aménagement du territoire qui concentre moins les emplois, oblige moins à se déplacer et donne davantage de garanties à la survie de villages, qui font pleinement partie de l’identité de notre pays.

Tout ce que défendent les inquiets de l’habitabilité peut être lié à des stimuli qui parlent à l’inquiet de l’identité. Il existe de très nombreuses convergences de fond à mettre en avant pour convaincre que les uns répondent aussi à de nombreuses préoccupations des autres.

Pourtant, ce sont plutôt des épouvantails qui sont souvent mis en avant par les inquiets de l’habitabilité, dommage.

Ce texte est la version écrite du numéro 15 de mon Podcast « Tout doit changer » disponible sur Spotify et Deezer mais aussi directement sur Acast

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