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Billet de blog 5 mars 2020

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À La Réunion, LaREM soutient un candidat corrompu qui s’affiche en blackface

En difficulté pour trouver des candidats éligibles aux municipales à La Réunion, le parti d'Emmanuel Macron n'a pas hésité à s'allier avec le pire pour tenter de décrocher une commune clé de France.

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Illustration 1

Condamné en 1998, à 3 ans de prison et 5 ans d’inéligibilité pour détournement de fonds, favoritisme et corruption d'électeurs, Joseph Sinimalé est aujourd’hui candidat dans la deuxième commune la plus peuplée de La Réunion : Saint-Paul, avec le soutien de La République en Marche. Peu connus, ses "coups d'éclats" lui ont également valu de nombreuses polémiques sur les réseaux sociaux. Moins connue encore, la photo de Joseph Sinimalé en “blackface”, prise lors d'une "fête" de commémoration de l'abolition de l'esclavage à Saint-Paul en décembre 2015. À moins de deux semaines des élections municipales, elle devrait pourtant interpeller sur les positions politiques et culturelles d'un élu qui par ailleurs n’hésite pas à réserver un “accueil chaleureux” à Marine Le Pen1, ou encore à lui organiser une réunion de campagne au domicile de son chauffeur privé2. Pour compléter sa boussole politique, rappelons qu’en 2016, ce même Joseph Sinimalé accueillait et exprimait un soutien sans faille3 à Nicolas Sarkozy, alors en campagne pour les primaires de la droite.

Illustration 2

Vue d’une partie du centre-ville de Saint-Paul (97460).

La ville de Saint-Paul, située à l'ouest de l'île, a toujours occupé une place centrale dans l'histoire de La Réunion. Première commune a être crée sur le territoire, sa baie a accueilli les premiers arrivant·e·s sur l'île. Elle demeure aujourd’hui la commune la plus étendue de la région et la 24ème de France4. Son territoire est riche et comprend certains des plus hauts sommets de l'île, qui culminent à plus de 2800 et 3000 mètres d’altitude (classés au Patrimoine mondial de l'Unesco), un centre urbain très dense, et des zones enclavées, accessibles uniquement à pied ou par hélicoptère au sein du cirque de Mafate. Habitée par plus de 107 000 personnes, Saint-Paul est une ville qui a connu un basculement lors de ces six dernières années avec la gestion calamiteuse d'un fantaisiste de la politique : Joseph Sinimalé.

Une tradition de corruption.

Cassam Moussa, Joseph Sinimalé, Alain Bénard : trois anciens maires de la ville, trois anciens colistiers membres du RPR en 1987 qui ont réussi l’exploit de se succéder au poste de premier magistrat de la ville, à mesure que chacun d’entre eux était condamné par la justice. Parmi leurs nombreux chefs d’inculpation, on citera notamment : la corruption, le trafic d'influence, l'abus de confiance et le faux et usage de faux.

Illustration 3

Extrait de la lettre de la Chambre régionale des comptes de La Réunion, adressée au maire de Saint-Paul, Alain Benard, le 29 septembre 1999 pour le dossier qui entraînera la condamnation à de la prison pour Cassam Moussa et Joseph Sinimalé.

Après avoir été élu au conseil municipal de Saint-Paul en 1977, Joseph Sinimalé arrive à la tête de la ville en 1994 pour remplacer son compagnon de route, Cassam Moussa, contraint à la démission et emprisonné suite à un procès qui le rendra coupable notamment pour "faux et usage de faux"7. Ses pratiques clientélistes pour appuyer son assise sur la ville n'ont de secret pour personne. Joseph Sinimalé est issu “des hauts” de la ville et y possède un ancrage qui l’a continuellement porté dans sa carrière politique. Adepte des petites “réunions de quartier”, il construit un rapport au maire très singulier par lequel il habitue progressivement la population de Saint-Paul à venir lui soumettre des requêtes personnelles et à en attendre rétribution. Mais sa marque de fabrique reste indéniablement sa capacité à multiplier les événements publics, les distributions de cadeaux et autres avantages matériels, durant chaque période qui précède les élections.Si cette méthode électoraliste explique en partie pourquoi il continue à recueillir de la sympathie de la part de la population saint-pauloise, ceci doit aussi nous éclairer sur sa stratégie politique qui consiste à s’appuyer sur la fragilité sociale du territoire pour jouer la proximité avec ses administré·e·s et arriver à ses fins.

Son rapport à la culture et à la défense de l’identité réunionnaise est quant à lui teinté de condescendance et de mépris tant il érige les notions de “développement” et “d’attractivité” au rang de priorité absolue pour sa commune. La promotion du maloya, musique traditionnelle et revendicative inventée par les marrons5, rendue illégale jusqu’en 1981, est totalement absente de sa politique culturelle, tout comme les initiatives de défense de la langue et de l’histoire réunionnaise.

Contraint de quitter son poste de maire en 1999 suite à sa condamnation à trois ans de prison, 100 000 francs d'amende et 5 ans d'inéligibilité, il n’oubliera jamais son objectif : revenir. Libéral convaincu, populiste assumé, il développe des programmes gestionnaires pour la commune sans aucune perspective politique ambitieuse qui répondrait de manière durable aux enjeux sociaux et écologiques majeurs auxquels est confrontée La Réunion. En 2014, son retour à la tête de la ville marque le début d'une gestion municipale chaotique. En 6 ans, il est parvenu à :

  • augmenter de 40% la rémunération des élus, et ce, dès le début de son mandat ;
  • abandonner un projet de médiathèque dont la construction de l’immeuble s’achevait au moment de son arrivée à la mairie ;
  • augmenter de 8% les impôts locaux ;
  • vendre un terrain de la commune à la Région pour y réaliser une carrière destinée à l’extraction de roches pour le projet pharaonique et dantesque de la “nouvelle route du littoral”.

Mais ce qui caractérise l’identité politique profonde de ce personnage, c’est son népotisme. L’un de ses proches colistiers, Thierry Vaïtilingom, ainsi que sa fille Sandra Sinimalé, viennent d’être condamnés respectivement à 10 mois de prison avec sursis et 40 000 euros d’amende pour l’un, et 6 mois de prison avec sursis et 30 000 euros euros d’amende pour l’autre. Tous deux géraient le centre de gestion de la fonction publique territoriale qui leur a permis de réaliser de nombreuses malversations6. Au total, le gâchis financier a été estimé par la justice à 350 000 euros.

Au cours du mandat, les défections des adjoints de Joseph Sinimalé se sont multipliées. Durant plus d’un an, la mairie fonctionnait sans adjoint à l’aménagement, sans adjoint à l’environnement et sans adjoint de quartier pour St-Gilles. 

« Je ne peux plus cautionner [...] C’est une gouvernance solitaire…. C’est un aveu d’échec. En tout cas c’est une grande déception. Je ne serai pas solidaire d’une gouvernance solitaire. », avait même déclaré Olivier Saunier, l'un de ses colistiers, au moment de sa démission.

Fort de sa vision hégémonique du pouvoir, Joseph Sinimalé veut le concentrer dans ses mains et celles de ses proches. La liste des membres de sa famille qui ont pris part aux affaires municipales en est une preuve éloquente :

  • son frère était embauché au cabinet du maire,
  • sa belle-sœur au Centre communal d'action sociale (CCAS),
  • sa fille élue déléguée au personnel, vice–présidente de la Communauté d'agglomération du Territoire de la Côte Ouest (TCO), conseillère départementale et accessoirement titulaire d’un emploi fictif au centre de gestion de la fonction publique territoriale,
  • sa petite-fille employée à la Créole (gestionnaire des eaux),
  • le compagnon de sa fille employé par la mairie (pour un emploi aux contours des plus flous)
  • son premier neveu élu à la mairie et au TCO et président de la Société d'Économie Mixte De Transports De L'Ouest (SEMTO),
  • son second neveu employé au cabinet et directeur de Kar’Ouest,
  • la femme de ce dernier élue à la mairie et au TCO, présidente du CCAS en lien avec la belle-soeur du maire…

Quand corruption, macronie et droite catholique s'associent pour les municipales de 2020.

Le 30 janvier dernier, par la voix de Farid Mangrolia, référent La République en Marche à La Réunion, le parti annonce soutenir deux candidat·e·s pour les municipales à La Réunion : Nassimah Dindar à Saint-Denis et Joseph Sinimalé à Saint-Paul. Le bureau national de LaREM concentrant ses seuls efforts sur les deux villes les plus peuplées de l’île. 

Sa désignation par LaREM aura au moins le mérite d'une clarification politique nécessaire, valable à cet égard pour l’ensemble de territoire français : le parti présidentiel n’a pas de difficulté à soutenir des candidats se revendiquant ouvertement de la droite la plus conservatrice.

Face aux taux abyssaux de chômage chez les jeunes, d'extrême pauvreté et d'illettrisme8, Joseph Sinimalé affiche ses ambitions pour cette nouvelle mandature à Saint-Paul : « relever le défi d’une ville encore plus propre, une ville moderne, connectée [...] le développement de l’activité économique par le renforcement de l’attractivité de notre commune »9.. Tout un programme social et écologique ! 

Il serait encore bien long de dresser la liste exhaustive des faits d'armes de Joseph Sinimalé. Trois d'entre eux méritent cependant d'être cités tant il ils reflètent la philosophie d'un personnage qui a vidé de sa substance le terme politique pour se positionner en "petit père de la ville" asseyant sa légitimité sur une prétendue proximité avec la population qui n'est rien d'autre qu'un clientélisme aux teintes mafieuses.

"Je suis de ceux qui respectent les gens, les institutions, la mère patrie”10, déclare celui qui s’est placé progressivement comme le défenseur régional du rapport colonial toujours entretenu entre la métropole et La Réunion. Aucun regard critique, aucune promotion d’initiatives décoloniales, aucune défense des associations culturelles et historiques de La Réunion...Bref, Joseph Sinimalé a choisi un camp et un rapport à l’histoire de l’île bien particulier, comme en témoignent notamment les faits cités ci-après.

Blackface, Marine Le Pen et one-man shows

Blackface

Discrètement rangée dans un album Facebook11 datant de décembre 2015, voici les photos où l'on voit Joseph Sinimalé (avec la chemise bleue) s'afficher fièrement lors d'une "fête" de commémoration de l'abolition de l'esclavage à Saint-Paul le 20 décembre.

Illustration 4
Illustration 5
Illustration 6

Ces photos soulèvent deux problèmes majeurs :

D’abord parce qu’elle remet sur le devant de la scène l'acte du “blackface”, que Joseph Sinimalé semble banaliser. Rappelons succinctement que cette pratique démontre l'imprégnation du racisme structurel au sein de notre société. De même, le fait de se grimer de noir rappelle le dénigrement, la condescendance, la sauvagisation à laquelle les racisé·e·s ont affaire au quotidien. Sur cette scène, il apparaît que les personnes "maquillées" de noir sont des personnes aux origines africaines issues du peuplement et de l'esclavage à La Réunion. Pourquoi alors leur ajouter de la peinture noire sur le visage, comme s’il était nécessaire d'ajouter du noir à la scène pour la rendre plus “authentique” ? Racisé·e·s ou non, se "grimer" en noir pour représenter une scène "traditionnelle" d'esclavage est un acte raciste à proscrire dans notre société. Non content de poser aux côtés des personnes réalisant ce blackface, Joseph Sinimalé s'est lui-même adonné à la pratique : plusieurs traces de peintures noires sont nettement visibles sur son visage.

Le second problème, encore plus profond, que soulèvent, non seulement ces photos, mais surtout le fait qu'elles puissent être publiées de façon banale sur les réseaux sociaux sans susciter de réaction : c'est la question de la folklorisation et de la dépolitisation des commémorations de l'esclavage et des processus politiques qui ont conduit à son abolition.

Commémorer l'abolition de l'esclavage à La Réunion doit nécessairement impliquer de considérer la gravité de cette situation et ne pas donner lieu à des scènes d’allégresse ou d’humour, ne serait-ce que par respect pour les populations impactées et leurs descendant·e·s. Ainsi, cet événement, qui a eu lieu ce 20 décembre 2015 à Saint Paul, n'est que le reflet de la tendance bien trop importante qui consiste à fêter, dénaturer, dépolitiser les commémorations de la période la plus violente de l'histoire réunionnaise. On ne saurait cependant imputer à Joseph Sinimalé la seule responsabilité de cette dérive culturelle à La Réunion.

Illustration 7

Ces mises en scènes folkloriques (issues de la même cérémonie du 20 décembre 2015 à St Paul) rappellent trop bien les dérives d'une « société du spectacle » décrites par Guy Debord ou encore « l’unité sauvagerie » et la négation de l’humanité des noir·e·s par l’idéologie coloniale décrites par Léopold Sédar Senghor.

Observer, comme au théâtre, des "scènes d'époque" peut certes participer à la prise de conscience des populations quant à l’atrocité, la gravité de cette situation, mais ne saurait en rien répondre à l'importance du défi de la prise de conscience dans notre société des processus de domination, d'exploitation, de hiérarchisation raciale toujours prégnants.

Une orientation politique populiste et démagogique

Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy, François Fillon, Emmanuel Macron. Leur point commun avec Joseph Sinimalé ? Toutes ces personnalités politiques l'ont rencontré, au moins à une reprise, et ont tou·te·s fait part d'une certaine forme de respect, de proximité et parfois même d'admiration pour le maire de Saint-Paul :

Fervent défenseur de Nicolas Sarkozy, il n'hésite pas à rejoindre François Fillon après les primaires des Républicains pour les présidentielles de 2017. Puis, confiant sa réserve suite à l'élection d'Emmanuel Macron, il ne cachera pas son plaisir à recevoir Marine Le Pen en visite sur l'île de La Réunion en mars 2019. Pour compléter le tableau, il accueillera en grande pompe Emmanuel Macron sur sa commune quelques mois plus tard. Une visite intéressée semblerait-il, puisque la négociation d'un accord avec En Marche pour les prochaines municipales faisait vraisemblablement partie du contenu des bagages présidentiels.

LaREM persiste donc dans une stratégie machiavélique qui ne repose que sur un seul et unique objectif : être élu·e, coûte que coûte, en particulier dans les grandes villes. Quitte à s'allier (à quel prix ?) à des élu·e·s peu fréquentables, en opposition complète avec toute forme de progressisme.

Face à ce marasme politique,  une candidature fédératrice a vu le jour, capable de réunir le PLR (Pour La Réunion), le PCR (Parti Communiste Réunionnais), LFI (La France Insoumise), Génération.s, EELV (Europe Ecologie Les Verts), divers mouvements citoyens et associatifs, et même … le Parti socialiste. Elle est portée par la députée communiste Huguette Bello.

Quant à la ville la plus importante de l'île et le chef-lieu du département, Saint-Denis, LREM a décidé d'appuyer l'ancienne présidente UDI du conseil départemental, Nassimah Dindar. Le combat sera compliqué face au démagogue président de Région Didier Robert et à la dynamique de rassemblement des forces de gauche autour d'Ericka Bareights. ainsi qu'au regard de la montée du nouveau mouvement citoyen prometteur "Astèr lo pèp" (Maintenant, le peuple).

One man Show

Le personnage politique de Joseph Sinimalé doit nous inquiéter fortement. Il prétend abandonner les formes "classiques" de clivage politique sous couvert de "proximité" avec la population. Il ne s'agit en réalité que d'une avancée masquée pour pousser une politique de droite, qui place la seule attractivité économique du territoire comme objectif de sa politique municipale. 

Il n'hésite pas à provoquer pour attirer l'attention médiatique sans aucun état d'âme pour stigmatiser les propres saint-paulois.es, qu'il n'a aucun mal à qualifier "d'assistés".

Pour se faire une idée plus précise du personnage, regarder l'intégralité de cette vidéo peut nous éclairer à bien des égards. On y voit le maire de Saint-Paul se donner en spectacle, en stigmatisant et dénigrant la population saint-pauloise, la qualifiant de feignante et d'assistée..

Espérons qu'à La Réunion, les électeurs et électrices ne s'y tromperont pas et sauront défendre des candidat·e·s porteurs de dynamiques de rassemblement et qui mettent, au cœur de leur projet d'action politique, le social, l'écologie, l'anti-racisme et la solidarité.

1 https://www.liberation.fr/direct/element/marine-le-pen-recue-par-un-maire-lr-a-la-reunion_95749/ 

2Marine Le Pen chez le chauffeur de Sinimalé. Hier après-midi, Marine Le Pen était dans les hauts de Saint-Paul. Elle s'est tout d'abord rendu à la maison d'hôte d'Anthony Ramassamy [qui] se présente comme étant agriculteur. Ce qu'il est, en effet. Mais il est aussi connu pour être le chauffeur de Joseph Sinimalé. C'est également chez lui que le rapprochement entre Sandra Sinimalé et Thierry Robert, dans l'entre-deux-tours des législatives 2017, avait eu lieu. Bref, le site est un lieu connu des réunions politiques.”, Extrait du Journal de l’île du 29 mars 2019, https://bit.ly/2IfLdxP 

3 https://www.clicanoo.re/node/373009 

4 https://www.ville-france.com/classement-superficie

5 esclaves qui fuyaient les domaines dont ils étaient captifs

6 https://www.clicanoo.re/Faits-Divers/Article/2019/05/23/Centre-de-Gestion-Thierry-Vaitilingom-et-Sandra-Sinimale-condamnes 

7 https://www.clicanoo.re/Actualites/Article/1998/03/23/Cassam-Moussa-mis-en-examen_8908

8 https://blogs.mediapart.fr/alexis-chaussalet/blog/020419/la-reunion-territoire-oublie-de-la-republique-francaise        

9 https://freedom.fr/municipales-joseph-sinimale-ressuscite-la-plateforme-de-la-droite-a-saint-paul/        

10 https://freedom.fr/joseph-sinimale-a-emmanuel-macron-monsieur-le-president-blok-pa-nou/

11 https://www.facebook.com/JosephSinimale2020/posts/1191368977543469

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