Le livre de Marine Le Pen qui vient juste de sortir est le nouvel outil marketing de campagne du FN. Comme livre politique, il ne fera pas date, c’est une évidence, tant il est pauvre sur ses analyses se contentant généralement d’empiler de façon laborieuse des citations picorées ici ou là de façon incohérente. Sa lecture est assez indigente et il est clair que la présidente du FN n’en a quasiment rien écrit.

Les termes ici utilisés ne sont pas les siens. Cela saute aux yeux lors de la lecture. Mais il convient tout de même d’en dire quelques mots pour continuer notre entreprise de nettoyage contre les vapeurs pourries des idées FN.
On a compris que Mme Le Pen veut dissimuler, depuis son élection comme présidente du FN il y a un an, toute filiation trop visible avec les théoriciens classiques de l’extrême droite, essayant même de faire croire que ses sources d’inspiration sont ailleurs. C’est le but, mais il est raté avec ce bouquin, qui, même s'il met en oeuvre un grand enfumage durant 250 pages ne trompera personne.

« Pour que vive la France », voilà son titre. Banal, direz-vous. Pas tant que cela. On notera immédiatement que c’est exactement le même titre que l’ouvrage de Bruno Mégret, qui présentait le programme de son petit parti d’extrême droite le MNR, dans les années 2000. Est-ce volontaire de la part de l’auteur ? Peut-être, et si ce n’est pas le cas, c’est extrêmement maladroit de sa part. Il est impossible qu’elle ne le sache pas, puisque son entourage direct est composé quasi majoritairement d’anciens militants mégrétistes qui avaient fait le choix de quitter le FN à la fin des années 90 pour fonder le MNR, puis qui sont revenus au FN. Voilà donc clairement une première filiation de cet ouvrage auquel il adresse un clin d’oeil dès son titre: le mégrétisme ! Pas très reluisant.
La photo de couverture est risible. Permettez moi de m'amuser un peu à son sujet. Comme si l’ogresse essayait de maladroitement se déguiser en petit chaperon rouge. Cette couverture nous montre la Présidente du FN seule, telle une mouette rieuse sortie d'un album d'une bande dessinée de notre enfance, au sourire figé un peu niais, pieds nus, la mer derrière elle, marchant sur une plage, les bras en croix et les yeux fermés. Décidemment, étrange symbole que ces yeux fermés illustrant de mon point de vue l’aveuglement du programme FN. Ce choix absurde de photo en dit long. Que veut-elle nous dire ? Que Mme Le Pen est heureuse en vacances ? Tant mieux pour elle. Mais, d’où vient l'idée de cette pose grotesque tellement elle suinte de mièvrerie ? De son album personnel ou d’une séance de photos posées ? J’opte pour la deuxième solution et c’est pitoyable. On ne s’arrêtera pas longuement sur la référence christique des bras en croix. Mais, on a bien compris et on sent bien, au vu notamment de la première citation de Georges Bernanos évoquant « l’espérance » (si chère à Jean-Paul II) , et des habiles références ici ou là à l'Evangile dans le texte, que les catholiques militants sont une des cibles visées par cet étonnant objet de communication. Mais là n’est pas l’essentiel.

Le cœur du livre, pour aller droit au but, est une critique de droite nationaliste de la mondialisation. Un poussif mélange des idées généralement portées par Paul-Marie Coutaux, Philippe de Villiers ou Nicolas Dupont Aignan additionnées à une charge sévère contre les immigrés et l’immigration (ce qui n’a rien de contradictoire avec les trois personnes citées précédemment). C’est là l’essentiel. Le reste est accessoire. Malgré les références et citations maladroites puisées ici ou là au fil de quelques pages, les références de cet ouvrage ne sont en rien des idées de gauche. Jamais. Pourquoi ? Parce que jamais le FN ne propose le partage des richesses. C’est le grand absent volontaire de ce livre et de ces propositions. Ceux qui ont profité de la dérégulation libérale peuvent dormir tranquilles. Mme le Pen fait parfois semblant de gronder, de rouspéter contre eux, mais jamais elle ne proposera de remettre en cause leurs privilèges. C’est ainsi saisissant de parcourir les pénibles 250 pages de ce livre pour constater que si le monde de la finance est décrit, critiqué, jamais n’est évoqué l’idée du partage des richesses. Avec le FN, aucun système fiscal n’ira prendre le moindre centime aux plus riches, qui ont pourtant vu leur fortune nettement augmenter sous Nicolas Sarkozy. Listons quelques points. Avec le FN, aucun écart maximum de salaire ne sera mis en place dans l’entreprise. Avec le FN, les 10 points de la richesse nationale qui sont passés depuis 1983 des poches du travail à celles du capital ne retourneront dans celles des travailleurs. Cela représente pourtant 170 milliards d’euros chaque année. Et ainsi de suite.
C’est donc là que réside le premier désaccord fondamental entre une conscience de gauche et républicaine et le galimatias pseudo théorique de Marine Le Pen. Nous sommes les partageux. Pas elle. Pour le FN, il est normal, et même dans l’ordre naturel, qu’il y ait des gens très riches, et donc de fait, des gens très pauvres. Le partage des richesses n’est pas son sujet. Pire, elle le vomit.
Les solutions de Mme Le Pen ? Elles sont finalement déconcertantes par leur trivialité. « Il faudra faire des économies » (page 231) nous dit-elle à la fin. Lesquelles ? Elles auront lieu par un arrêt de l’immigration, la fin de toute contribution financière à l’Union européenne, la chasse à la fraude dite « sociale » mais jamais la fraude fiscale pratiquée par les plus riches et les patrons voyous, par la baisse des fonctionnaires tout particulièrement dans les collectivités territoriales. Les responsables de la crise sont donc les plus pauvres et les plus démunis. Elle reconnaît clairement à propos du nombre de fonctionnaires qu’ « il n’y aura pas de créations de postes supplémentaires dans un souci de responsabilité budgétaire. » (page 244). Au moins c’est clair. Le FN fait partie des « austéritaires » qui veulent accentuer une politique de rigueur. Utilisant à ce sujet les mêmes arguments que l’UMP (et hélas beaucoup d’autres), Mme Le Pen est donc d’accord avec les suppressions plus de 80 000 suppressions de postes de fonctionnaires telle que le gouvernement de Nicolas Sarkozy les a pratiqué. Le Pen, c’est Sarko en pire. A bon entendeur…
Mais, on soulignera encore aussi quelques absurdités parmi d’autres, beaucoup d’autres. Par exemple, à propos du Traité de Maastricht adopté en 1992, elle dénonce une faute « d’un point de vue politique enfin : comme le rappelle ci-dessus Hans-Olaf Henkel, les hommes politiques européens ont allègrement et durablement violé le Traité de Maastricht qui imposait des plafonds en matière de déficit et d’endettement (rendant le débat actuel sur la « règle d’or » parfaitement surréaliste), et interdisait par principe de renflouer les pays en difficulté » (page 60). Là, on s’y perd. Qui est ce M. Henkel dont se réclame Marine Le Pen et qui n’aurait pas été assez entendu par le monde la finance ? C’est un grand patron, ultra libéral, très favorable à la mondialisation et ancien Président de la Fédération de l’Industrie Allemande qui reproche à la construction européenne de ne pas avoir été assez loin dans ses politiques de rigueur. Drôle de référence.

Autre absurdité, le FN semble dénoncer la mondialisation libérale (qu’il nomme le « mondialisme » empruntant ce terme à des théoriciens bidons d’extrême droite comme Alain Soral) sans jamais expliquer clairement où et par qui cette politique a débuté. Je précise, certes elle dit bien « les Etats-Unis, sous l’impulsion de leur élite, sont au cœur du projet mondialiste dont ils sont, en quelque sorte, le réacteur nucléaire » (page 35). Mais, elle refuse de citer ceux qui ont impulsé cette politique. Et pour cause. Le Président des Etats-Unis qui initia le plus brutalement le libéralisme sans règles, le libre échange, l’affaiblissement de l’Etat fut Ronald Reagan, de 1980 à 1988. Le problème pour Marine Le Pen et le Fn est qu’il fut un modèle pour ce parti. Jean-Marie Le Pen aimait régulièrement se faire appeler dans les années 80 le « Reagan français ». C'est d'ailleurs dans la campagne de Reagan que le FN trouva son slogan "la France, aimez là ou quittez là" (qui sera repris par Nicolas Sarkozy en 2007) ce qui donnait alors dans les meetings de campagne aux Etats-Unis "América, love it or leave it". La campagne américiaine de 1980 et 1984 fut une source d'inspiration pour le clan Le Pen. Dans son programme de la campagne présidentielle de 1988, le FN écrivait « diminuer les impôts, c’est le seul moyen de mettre les gouvernants au pied du mur en les contraignants à trouver les économies nécessaires. C’est d’ailleurs en procédant ainsi que le président Reagan a pu engager l’Amérique sur la voie de la révolution libérale ». (page 75 – Pour la France, programme du FN,

1986). Cette admiration publique de Ronald Reagan continuera même jusqu’en 2007, lors de la dernière campagne de Jean-Marie Le Pen, dont la fille, actuelle présidente, était la Directrice stratégique de campagne. Dans une plaquette en couleur, dans laquelle Marine parlait de son père comme d’un « héros », on voyait Jean-Marie Le Pen serrer la main du président Reagan. La légende de la photo, citant le président du FN, décrivait la scène ainsi « rencontre marquante avec l’un des géants politiques de la fin du vingtième siècle ». On constate donc là nettement combien la critique de la mondialisation libérale de la part du FN n’est qu’une posture d'un total cynisme. Il y a encore 5 ans, lorsque Marine Le Pen elle-même dirigeait la campagne de son père, le principal architecte de cette politique désastreuse était considéré comme « un géant politique ». Quelle incohérence ! Comprenne qui peut. Qui peut faire confiance à de tels enfumeurs ? Hier, favorable aux chocs des politiques libérales, aujourd'hui pleurant sur ses dégats sociaux et économiques... Certainement pas des ouvriers et des employés. Le FN leur a toujours menti, sur ce point comme sur les autres.
Sur l’immigration rien de nouveau, le FN version Marine Le Pen reste du même tonneau que celui de son père. Le délire xénophobe, saupoudré de quelques chiffres bidons, reste la ligne directrice. Elle balance même au passage des chiffres glaçants si on la prend au mot : « On estime que ces trente dernières années, dix millions d’immigrés sont entrés dans notre pays ». (Page 81). Au-delà du caractère farfelu de cette affirmation mensongère, qu’est ce à dire ? Qu’il y aurait actuellement en France sur 60 millions d’habitants, près de 10 millions de personnes non légitimes ? Il faudrait donc expulser 1 personne sur 6 ? Il faudrait évacuer la totalité de la population de Paris et de la Région parisienne pour retrouver la « vraie » population française ? Qui peut adhérer à un tel délire ? Elle refuse d’admettre les études d’universitaires spécialistes de la question qui démontrent que l’immigration n’est pas un coût pour la France, mais au contraire qu’elle lui « rapporte » un solde positif de près de 12,4 milliards d’euros chaque année. Elle préfère les chiffres de Jean-Paul Gourévitch présenté comme « universitaire » qui lui, voit une dépense gigantesque dans l’immigration. Manque de chance, si M. Gourévitch est bien professeur à l’Université Paris XII, il y enseigne « l’image politique » et « la littérature de jeunesse ». Si cela ne le disqualifie pas à priori, cela n’en fait pas non plus une autorité incontestée dans les milieux universitaires sur les coûts de l’immigration.

Enfin, concernant sa vision et ses propositions pour l'école, qui constituent la dernière partie de ce livre, il y a là matière à franche rigolade. L'indigence du propos se mélange à l'ignorance. Parfois, Mme Le Pen enfonce les portes ouvertes. Par exemple, certes, il faut rétablir l’autorité des enseignants. Qui dit le contraire ? C’est une tarte à la crème que de le répéter. Mais, les difficultés qui frappent les élèves, y compris de comportement, ne sont pas déconnectées du désordre de la société dans laquelle ils vivent. Rétablir un ordre social plus juste, basé sur une autre répartition des richesses et la clé première pour construire une société meilleure qui bénéficiera à notre jeunesse. Penser l'école ne peut avoir lieu sans une pensée critique sur le reste de la société. Ainsi, jamais la marchandisation de l’école, le marché prospère de l'éducation dont profite des officines privées, n’est dénoncée par le Front national. Jamais la concurrence déloyale pratiqué par les écoles privées, majoritairement confessionnelles, n’est soulignée ni critiquée. C’est pourtant là que commencent les inégalités. Il existe en France une scolarité parallèle qui profite essentiellement aux familles les plus aisées avec le soutien de financement public depuis 1959. Cela coûte chaque année plus de 9 milliards d’euros d’argent public. Les plus riches peuvent contourner la carte scolaire et refuser toute forme de mixité sociale. En conséquence, l'école républicaine est affaiblie, déséquilibrée. De cela, le FN ne dira pas un mot, bien au contraie. Par contre, Marine Le Pen a un grand projet pédagogique qu'elle croit pertinent de nous faire partager. Avec elle : « l’histoire sera apprise de façon chronologique. La géographie sera enseignée sur des cartes, en commençant par celle de la France. » (page 243). Bigre ! Là, on est sans voix devant tant d’audace pédagogique. Mais, est-ce bien sérieux ? Sur quoi Mme Le Pen pense-t-elle que l’on enseigne la géographie actuellement si ce n’est sur des cartes ? Sur des feuilles blanches ? Quand à l'enseignement de l’histoire, ne lui en déplaise, elle est encore enseignée de manière chronologique, selon les cycles. Qui peut pousser Mme Le Pen à écrire de telles sottises si ce n’est des gens totalement déconnecté d’un établissement scolaire ? Par contre, l’année prochaine, les élèves de terminale ne feront plus d’histoire. Par contre, rentrée scolaire après rentrée scolaire, les Dotations horaires golbales (DHG) sont à la baisse. La précarité se généralise dans les établissements. Les moyens de surveillance, de médecine scolaire, disparaissent prgressivement. C’est scandaleux, et de cette réalité, le FN n’en dit rien, ou presque.

Je termine cet article en insistant sur la vision frelatée de l’histoire de France selon Marine Le Pen. Dans son livre, elle revient une fois de plus sur son obsession : « Non l’Histoire de France ne se résume pas au triptyque esclavage / colonisation / collaboration. » (page 245). Qui pense une telle chose ? Personne en réalité. Par contre, le FN ne veut plus que l’on parle de ces pages d’histoire, et l’on comprend bien pourquoi. Ce parti est un spécialiste du trucage historique et du révisionnisme. Il veut faire croire que l’histoire de France lui donne raison, alors que c’est tout l’inverse. Dans ce livre, Marine Le Pen réutilise les fausses références à Jean Jaurès, à Victor Schoelcher ou Georges Marchais. Au sujet de ce dernier, elle cite longuement Georges Marchais (dans les pages 146 et 147), mais en coupant habilement ses propos pour en changer considérablement le sens. On reconnaît l’œuvre du faussaire. Elle enlève dans cette longue citation, des phrases comme « ce qui nous guide, c’est la communauté d’intérêts, la solidarité des travailleurs immigrés. Tout le contraire de la haine et de la rupture », ou encore : « mais non chasser par la force les travailleurs immigrés présents en France. » On ne sera pas étonner que Mme Le Pen ne veuille pas se réclamer de tels propos de l’ancien secrétaire général du PCF. De façon plus générale, pour redonner de la clarté à toutes ces références historiques truquées kidnappant aussi le Général de Gaulle, Roger Salengro, Jeanne d’Arc, etc… Sur tous ces "fric-fracs" historique, ke ne peux que conseiller la lecture de mon récent livre « Le Parti de l’étrangère, Marine Le Pen contre l’Histoire républicaine de la France » (Editions Tribord). Il coûte seulement 6 euros et doit être dans toutes les bonnes librairies depuis quelques jours. Si vous ne le trouvez pas immédiatement, commandez le et faites en bon usage.
Le livre inepte et dangereux, pour toute conception républicaine de la France, de Marine Le Pen ne doit donc tromper personne. Comme la boisson Canada Dry en son temps, il a peut être parfois le goût et l’odeur d’un discours anticapitaliste et antisystème mais il est tout le contraire et n’en ait qu’une béquille utile, indispensable même en période de crise. Pour maintenir les injustices actuelles qui frappent notre société, le projet du Fn est une solution autoritaire qui désigne l’étranger, le petit fraudeur et le fonctionnaire comme responsables de la crise. On comprend que, de plus en plus, parmi les privilégiés qui se sont tant enrichis sous le sarkozysme, il y en ait qui applaudissent à un tel discours.

Pour dégonfler la baudruche Le Pen, le Front de Gauche est au premier rang. En ce sens, il fait œuvre utile pour toute la gauche. A ce sujet, le vrai "vote utile" contre les idées FN, c'est le vote pour Jean-Luc Mélenchon. Laisser Marine Le Pen répandre tranquillement ses idées pourries dans le débat politique n’est pas tolérable. Une étrange combinaison d’inconséquence, d’incompétence, de médiocrité et de calcul politique produit la situation actuelle. L’UMP et le PS compte essentiellement sur « le vote utile » contre le FN pour obtenir un bon score électoral, mais aucun n’a encore produit le moindre argumentaire ni action significative pour combattre ses idées.
Dans cette décomposition du paysage politique, le Front de Gauche est là et lance un signal de résistance. Le FN a compris que nous sommes son adversaire le plus résolus. Dans son livre, la présidente du Front national mentionne pas moins de sept fois le nom de Jean-Luc Mélenchon pour le dénoncer ou le moquer. Ne sachant comment nous combattre efficacement, elle préfère nous dépeindre en "idiot utile du système". Après avoir lu ce billet, je laisse le lecteur juge de ce qualificatif stupide. "Idiot utile", dit-elle ? Pipeau ! En revanche, Mme Le Pen est bien la "doberman utile du système". Contre le peuple en lutte pour ses droits, hier, aujourd'hui et demain, le FN est là pour aboyer et flanquer la frousse. N'ayons pas peur toutefois, notre unité et notre nombre peut le faire rester à la niche. Mais, ne laissons pas la bête se renforcer.