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Billet de blog 21 juin 2022

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Les 0,034% qui nous ont manqué

16 504 voix : c'est ce qu'il a manqué dans les circonscriptions clés pour que la gauche obtienne la majorité des sièges. Quantité se sont joués à un cheveu. Derrière l'arbre de la défaite, donc, la forêt des victoires à venir. La Nupes est un trésor collectif pour la gauche, nous devons la chérir.

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Illustration 1
Photo de famille de la NUPES lors de son lancement, le 7 mai 2022 à Aubervilliers

0,034% des inscrits (soit 0,073% des bulletins exprimés) : c'est la proportion du corps électoral qui a manqué à la gauche dans les circonscriptions stratégiques ce Dimanche pour être majoritaire à l'Assemblée.

"Impossible !", devez-vous vous dire : "Il y a une centaine de députés d'écart à l'arrivée entre la NUPES et Ensemble !" — Sauf que le mode de scrutin des législatives ne fonctionne pas comme ça.

Une quantité aberrante de duels perdus par la NUPES face à Ensemble ou au RN a été perdue d'un cheveu. Et "d'un cheveu", ici, veut dire : des duels perdus à quelques centaines, quelques dizaines, parfois seulement 3 ou 4 voix ! (Comme cela a été le cas dans la 6ème circonscription de Haute-Garonne ou dans la 8ème de Seine-et-Marne.)

Si bien que, selon le décompte réalisé par le journaliste Josselin Hazo, il n'aura manqué en tout et pour tout que 16 504 voix dans ces circonscriptions stratégiques (soit nos fameux 0,034% du corps électoral) pour que la gauche obtienne davantage de députés que la droite macroniste.

C'est un des aspects étranges de cette forme de scrutin : des déplacements minuscules dans le détail sont susceptibles de produire des glissements gigantesques dans l'ensemble. De là, une curieuse Assemblée, issue de ce scrutin dont tout le monde sort perdant à sa manière : le Président de la République subit un revers et perd sa majorité absolue ; et aucune des oppositions, de droite ou de gauche, ne parvient à obtenir une majorité (même si la gauche et l'extrême-droite percent).

Saisir l'occasion pour réformer le scrutin ?

Soyons fous : on pourrait espérer qu'une telle Assemblée soit idéalement positionnée pour prendre conscience de la nécessité de réviser ce mode de scrutin, et de passer à un scrutin national proportionnel par listes, qui éviterait ces effets de paliers et de glissements qui occasionnent des résultats en trompe-l'œil.

Ainsi, de cette curieuse Assemblée pourrait sortir un bien : conjurer cette inertie qui profite aux modes de scrutins absurdes, qui veut que ceux qui auraient le pouvoir de les réformer répugnent toujours à le faire, parce qu'ils sont les derniers à en être sortis gagnants. Ici, pas vraiment de gagnant, alors qui sait ? La raison et l'intérêt général pourraient regagner un peu de terrain sur l'intérêt partisan.

Et à bon entendeur : ce ne serait probablement pas le pire message à envoyer à la population que de tirer parti de cette Assemblée bariolée de toutes les couleurs politiques du pays, pour entreprendre une large discussion parlementaire afin de mener une réforme de démocratisation de nos institutions.

En ce qui nous concerne, à gauche

La mobilisation différentielle nous a encore fait un mal fou :

Illustration 2
Profil sociologique des abstentionnistes, selon Ipsos et Sopra Steria


L'électorat macroniste, plus aisé, plus âgé, largement composé de retraités, s'est fermement mobilisé, alors que notre électorat, plus jeune et plus modeste, largement composé d'actifs, est massivement resté chez lui.

Et ce, en dépit d'une union historique, qui n'était plus arrivée depuis des décennies. En dépit d'un programme commun ambitieux, et largement salué par des économistes, ONG et associations pour son sérieux sur la justice sociale et l'écologie.

Quelquefois, ce serait à se cogner la tête contre les murs, à se dire que si cela ne suffit pas à sortir les plus maltraités et les plus exploités de l'inertie politique où ils sont maintenus par les tâches quotidiennes de subsistance, alors rien ne suffira jamais.

Mais il y a matière à regarder plus loin et espérer

Malgré cela, malgré ce désavantage inouï de la vaste démobilisation du camp social et de la solide mobilisation du bloc bourgeois, nous passons à un cheveu de la majorité. Nous passons à 0,034% de la victoire. Un regain de mobilisation même minime, et notre victoire aurait été spectaculaire — exactement comme elle l'a été dans les Outre-mer !

Une remobilisation un peu plus sérieuse, et la majorité absolue (et non plus relative !) aurait été à portée de main. La victoire alors aurait été quelque chose de tout autre encore, quelque chose de bien plus que spectaculaire.

Nos idées sont majoritaires dans le pays. Toutes les études d'opinion en attestent, chaque fois que ce sont des propositions qui sont testées. Nous ne continuons d'être vaincus que par l'inertie de l'abstention. Tôt ou tard, nous vaincrons.

Dans un premier temps, ce sentiment d'occasion historique ratée a été rageant, et la rage m'a rendu mauvais. J'ai passé la journée d'hier travaillé par une intense déception, saisi par un élan âpre de désamour pour mes semblables.

Quelque chose comme : « Qui y a-t-il à aimer dans ce pays ? Il est peuplé de vieux salopards de bourgeois prêts à pourrir la planète et les droits sociaux de leurs gosses pour garantir leurs rentes ; de jeunes insignifiants qui regardent le train passer, la bouche bée et l'œil éteint, sans être capable de prendre un quart d'heure de leur temps pour donner un coup de main ; de brutes capables de se réfugier dans une extrême-droite qui n'a cessé de démontrer son inconsistance et sa nullité, parce que : "gneu gneu les Arabes". »

Mais la rage commençant à retomber, il m'apparaît qu'il est idiot d'en vouloir aux gens plutôt qu'aux causes matérielles qui déterminent les gens à agir comme ils le font. — En général, mis en situation, des êtres humains, ça agit comme il leur paraît bon d'agir. Et si les conditions n'ont pas été réunies pour faire assez sentir à nos concitoyens qu'il était bon de se lever et d'aller soutenir la NUPES, de jeter un défi à cet ordre social sordide fondé sur l'extension sans fin des privilèges des possédants et l'exploitation de la nature et des hommes, ce monde odieux où tout va toujours à ceux qui ont déjà tout, et qui n'a pour les autres que l'austérité, la concurrence, l'ubérisation, la flexibilisation et la maltraitance — si cela ne s'est pas produit, donc, c'est qu'il nous reste du travail à faire.

Ce travail, nous ne pourrons pas l'accomplir l'esprit flétri par des sentiments mauvais. Nous ne l'accomplirons que mus par l'amour de nos semblables, le mépris de l'oppression et le désir de la justice.

Illustration 3
Nous devons en être fiers, de cette NUPES, nous devons la chérir !

Chérir cette union comme un trésor commun

Surtout, surtout : il apparaît que, derrière l'arbre de la défaite, se cache la forêt d'un potentiel de victoires énorme.

La NUPES n'est pas une petite chose : elle est un joyau de notre effort politique commun ; elle est ce qui nous a menés d'un éclatement qui nous donnait pour anéantis dans le pays il y a encore quelques mois, à une victoire historique effleurée à 0,034% près ! Camarades insoumis, écologistes, socialistes, communistes ; plus loin, tous ceux que révolte la brutalité du capitalisme : nous devons en être fiers, de cette NUPES. Nous devons la chérir.

Et pour peu que nous la préservions, un cheveu de repolitisation et de remobilisation la rendra bientôt victorieuse. (Gardons dans un coin de nos têtes, à ce propos, que le "bientôt" pourrait arriver vite si le Président de la République vient à faire le choix de la dissolution.)

À nos victoires à venir !
D'ici là : à nos luttes !

Et pour le vieux : pour tout ce que tu as fait, pour la génération de jeunes militants que tu as éveillée, pour l'espoir que tu as ravivé, reçois notre gratitude éternelle.

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