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Billet de blog 4 juin 2013

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Comment réconcilier les ivoiriens par la démocratie?

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L’observateur avisé de la scène politique ivoirienne s’étonne toujours de ce que les protagonistes de la crise ivoirienne, ne parviennent pas à se réconcilier par la démocratie quoiqu’ils se proclament tous démocrates et soient de ce fait censés en partager les valeurs! Au-delà de l’aspect procédural, souvent privilégié de la problématique de la réconciliation dans les crises politiques africaines, il existe donc une dimension axiologique décisive qui mériterait davantage d’attention. Car il ne faut pas se tromper malgré les manipulations qui accréditent une scission interne du peuple ivoirien depuis longtemps constitué en nation par Félix Houphouët-Boigny. Le peuple ivoirien est uni sur des valeurs précises dont les plus emblématiques sont le respect sacré de la vie humaine, la coexistence des différences culturelles et confessionnelles dans la multiplicité ethnique, le dialogue, la tolérance et l’hospitalité envers l’Etranger. Et nous ne croyons pas que la parenthèse malheureuse de la dernière décennie ait entamé ce consensus profond. Ce passage de l’hymne national « Côte d’Ivoire Pays de l’hospitalité » ne continue-t-il pas de célébrer l’hospitalité ? Le peuple ivoirien n’est donc pas intérieurement scindé. Ce sont les élites politiques contemporaines, en compétition pour l’accaparement du pouvoir à des fins personnelles, qui sont intérieurement divisées. La scission des populations ivoiriennes dont le sentiment ethnique est instrumentalisé par un certain nombre d’élites qui utilisent l’ethnicité comme arme de combat politique est donc largement artificielle. Le problème irritant de la réconciliation ivoirienne se révèle donc être celui d’une minorité qui semble cependant unie par delà ses divergences sur des valeurs communes comme en témoigne sa référence unanime à la modernité politique contemporaine. Par delà la pluralité des coutumes, des intérêts, des opinions, qui les séparent, les élites politiques ivoiriennes se réclament toutes de la démocratie. Elle semble être la valeur commune consensuelle qui les réunit au-delà de leurs divergences. Elle représente en cela le fondement politique sur lequel peut être édifié un nouveau contrat social républicain ivoirien fondé sur le pluralisme. Le caractère apparemment insoluble de la séparation ivoirienne est donc paradoxal parce que sa solution est évidente. Qu’est-ce en fait que la démocratie ? « La démocratie est un régime pluraliste qui implique l’acceptation de la divergence d’intérêts et d’opinions, et organise la compétition électorale sur cette base. Elle institutionnalise le conflit et son règlement. Il n’existe pas pour cela de démocratie sans que soient effectués des choix tranchants pour résoudre les différends » écrit Pierre Rosanvallon dans La légitimité démocratique. La démocratie vit donc du conflit des intérêts et de la solution institutionnelle des contradictions et des divisions. C’est le rapport conflictuel et la coexistence des choix idéologiques différents et contradictoires qui lui donne du contenu. Me revient alors cette proclamation courageuse, parce qu’assumée, qu’un pro-Gbagbo brandissait lors d’une manifestation politique à Abidjan. « Je suis xénophobe ! Et alors ? » . Ce manifestant ivoirien proclame son choix et exprime librement son opinion. Il a une conception ethnique de la nationalité. Il a fait ce choix politique qui l’amène à militer dans un parti qui semble répondre attentes et correspondre à sa vision du monde. Le problème survient quand ce choix ne tolère pas des choix différents , revendique la propriété du territoire national en réclamant l’homogénéité ethnique et en faisant la chasse aux différences et divergences. Car si la démocratie lui reconnaît ce droit, elle reconnaît aussi le droit de l’Ivoirien X de faire le choix de l’universalisme citoyen qui le conduit à s’inscrire dans un parti libéral de droite ou dans un parti socialiste internationaliste citoyen. Elle reconnaît à l’Ivoirien de militer dans un parti confessionnel tel une démocratie-chrétienne, une démocratie-islamique ou une démocratie-animiste. Ce pluralisme des choix et cette coexistence des différences culturelles et confessionnelles sont les caractères spécifiques de la démocratie qui s’enracine dans le pacte citoyen républicain. Ils structurent en profondeur la politique démocratique. Car « faire de la politique en démocratie, comme l’écrit fort justement Pierre Rosanvallon, implique de choisir son camp, de prendre parti » sur le fond du principe de la coexistence citoyenne. Il est alors étonnant que cette déclaration de l’identité des partis, qui devraient assumer clairement les idéologies qu’ils représentent et déclarer les intérêts qu’ils incarnent, cette assomption courageuse de leur vision du monde accompagnée de l’explicitation des programmes et des projets de société qu’ils proposent à la nation, soit si négligée en Afrique ! Il est étonnant que ce réquisit primordial de la démocratie soit occulté. Dans cette grisaille, certains partis politiques, dont les dirigeants soutiennent des thèses relevant du nationalisme ethnique et de ses variantes, parviennent à se faire passer pour un parti socialiste internationaliste ou un parti libéral républicain, brouillant ainsi les repères. Ils se font passer aux yeux des populations pour des démocrates alors qu’ils récusent le pluralisme des opinions, des intérêts des cultures et des confessions, au profit d’une homogénéité culturelle anti-citoyenne et d’un unanimisme totalitaire antidémocratique.Les choix idéologiques clairs, avoués et assumés dans l’esprit de la coexistence et de la complémentarité des différences, de la pluralité des opinions et croyances, constituent pourtant une dimension essentielle de la démocratie dans un monde des particularités. Le monde des partis et des associations est le lieu où ces divergences d’intérêts et d’opinions s’expriment démocratiquement pour être résolus tout aussi démocratiquement à travers des institutions démocratiques tels le Parlement et les Autorités Administratives Indépendantes dont la Commission Electorale Indépendante et la Commission de Réconciliation Nationale constituent des exemples. A nous en tenir donc au consensus démocratique proclamé qui semble les unir apparemment, les élites ivoiriennes devraient pouvoir se réconcilier sur la valeur partagée en commun qu’est la démocratie comme régime pluraliste. Le caractère irréductible du conflit ivoirien, qui résiste aux efforts de la Commission de Réconciliation Nationale, semble cependant démentir ce consensus des élites sur la démocratie. Il semble témoigner au contraire d’une crise de la commune appartenance et du partage de valeurs identiques. La démocratie est en effet impossible « sans formation d’un monde commun et sans reconnaissance de valeurs partagées qui permettent aux conflits de ne pas monter aux extrêmes de la guerre civile » note Pierre Rosanvallon. Or, la récurrence des attaques militaires et la remise en question de la légitimité du Président de la république, comme en témoigne l’interview récemment accordée à un journal en ligne par un ponte du régime précédent, Ben Soumahoro, ancien député de l’Assemblée nationale proclamant que « Alassane n’est pas Ivoirien et qu’il n’a investi ce pays avec brutalité que pour favoriser ses frères de sang Burkinabè » prouvent que dans l’esprit des élites dirigeantes de l’ex-régime déchu, la guerre demeure encore la voie de la résolution des conflits sociaux et politiques qu’ils réduisent à des stratégies d’accaparement du pouvoir. Il apparait alors que la réconciliation ivoirienne achoppe sur le consentement au principe démocratique de la coexistence républicaine de la pluralité des peuples et des cultures sous le principe citoyen de la nationalité. L’appel à la sauvegarde de la cohésion nationale lancée par une partie des membres de l’ancien régime s’enracine dans une conception de la communauté politique comme communauté ethniquement homogène cimentée à la fois par une unanimité récusant la dissidence et par un lien fusionnel entre la population et son chef assimilé à un chef tribal. Une conception holiste de la communauté politique continue de structurer en profondeur la culture politique d’un certain nombre de protagonistes du conflit ivoirien. Une représentation de l’unanimité comme consensus fusionnel qui homogénéise le corps social les empêche d’accepter la différence et la dissidence.Une conversion véritable à l’esprit de la conflictualité démocratique, et un partage des valeurs républicaines de pluralisme, d’égalité et de respect des droits personnels qui en constituent l’âme, sont donc requis de la part des protagonistes du conflit ivoirien. La réconciliation ivoirienne passe nécessairement par l’adoption effective de la conflictualité démocratique comme valeur commune. L’appréhension totalisante et homogénéisante du corps social doit être abandonnée par les élites politiques ivoiriennes, au profit d’une conception qui articule l’unité sociale sur l’hétérogénéité et le pluralisme, autorisant ainsi la divergence et la dissidence. La conception de l’unanimité politique, comme fusion communautaire et comme plébiscite et acclamation, doit céder la place à celle de l’unanimité, comme consensus sur le principe de la majorité du suffrage. Car en démocratie, l’unanimité s’assimile au principe majoritaire et la société démocratique comme « société politiquement bien ordonnée repose sur la confrontation positive d’une majorité et d’une minorité » . Une conversion au principe majoritaire, qui s’inscrit dans « la perspective pluraliste d’une division naturelle et positive des opinions » , et qui repose sur l’expression de la diversité des opinions et des intérêts sociaux, est donc requise de la part des élites politiques ivoiriennes. Quel est donc l’enjeu véritable et la signification de la réconciliation ivoirienne? Il s’agit tout simplement de faire de la division pluraliste des opinions et des intérêts, et de la confrontation positive de la majorité et de la minorité, le fondement de l’unité ivoirienne. Autrement dit, il s’agit de construire l’unité nationale avec la pluralité et l’hétérogénéité. Ce faisant, l’on ne reconstruit guère l’unité ivoirienne ex-nihilo. L’on ne fait que déployer pleinement, dans le cadre d’une démocratie électorale représentative effective, les principes qui servirent à bâtir l’unité ivoirienne dans le cadre l’Etat républicain mobilisateur comme nous l’avons souligné au début de cette réflexion. Dans la nouvelle société démocratique ivoirienne le respect sacré de la vie humaine se décline désormais comme respect de l’individu considéré comme porteur de droits irréductibles. Le dialogue, la coexistence des différences culturelles et confessionnelles dans la multiplicité ethnique s’expriment désormais sous la forme du respect des particularismes, du principe de l’hétérogénéité, du pluralisme des opinions et des intérêts, et sous la forme du débat démocratique centré sur le compromis. La tolérance et l’hospitalité envers l’Etranger se manifestent désormais sous la forme de l’ouverture à l’universalisme des valeurs.

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