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Billet de blog 6 février 2013

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L’effondrement malien: Quelles leçons pour la démocratie en Afrique ?

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Dr Alexis Dieth

Vienne. Autriche

                  L’effondrement malien: Quelles leçons pour la démocratie en Afrique ?

L’effondrement de la démocratie malienne est un cas d’école pour la démocratisation des régimes politiques africains. Il soulève une série d’interrogations: Pourquoi une démocratie née en 1992, unanimement célébrée et proposée  comme modèle à l’Afrique a-t-elle  fini par conduire,  20 ans après,   à un coup d’état militaire, à un effondrement de l’Etat et à une quasi partition du pays? Cet effondrement s’explique-t-il par les effets de la crise économique mondiale qui affecte durement un pays enclavé aux ressources économiques limitées d’Afrique sub-saharienne? Au-delà des effets pervers de la mondialisation de l’économie et de  l’ouverture du marché malien à la concurrence internationale, l’écroulement malien  s’explique-t-il plutôt, en grande partie,  par une déficience du système politique de la démocratie malienne ? Etait-elle conforme à la lettre et à l’esprit d’une démocratie représentative?

La démocratie malienne était saluée à l’étranger. Mais à l’intérieur du pays  les Maliens dénonçaient  une démocratie « coquille vide », une « démocratie mirage »  à laquelle la liberté d’expression et  l’apparent dynamisme entrepreneurial,  culturel et artistique  de la société civile  naissante ne semblaient pas suffire à donner un contenu ! La démocratie malienne manquait d’un projet de société fondé sur une claire représentation du bien commun et de l’intérêt général de la nation  qui aurait permis de résoudre, par le compromis et l’intégration, les revendications corporatistes contradictoires et les demandes divergentes  des groupes sociaux. Les partis politiques  étaient incapables de mettre leurs critiques  en forme de programme d’ensemble  parce qu’ils ne disposaient  pas de projets de sociétés structurés et explicites. L’affrontement entre les partis  politiques a alors  pris, comme partout ailleurs en Afrique à l’ère du multipartisme , la forme d’un combat entre des  groupes  ennemis  ou celle  d’un  conflit entre personnes  luttant  pour s’emparer du pouvoir d’Etat.  De fait,  la rébellion touarègue et l’agression extérieure  des narcotrafiquants djihadistes,  qui ébranlèrent  l’apparente unité nationale  et la stabilité de l’Etat laïque malien en camouflant leur équipée affairiste et prédatrice sous le masque d’un islam politique dispensateur de justice sociale, révélèrent que la démocratie malienne souffrait  d’une crise de la représentativité  et de  la médiation entre  l’Etat  et la société civile. Elles  ont dévoilé  l’incapacité qui fut celle  du pouvoir malien  à répondre aux demandes sociales, à incarner et à intégrer les diverses composantes de la société, à représenter leurs intérêts  et à unifier la pluralité sociale par une conception citoyenne de la nationalité articulée par un projet de société explicite et émancipateur.

La démocratie semble donc avoir échoué au Mali parce que sa pratique  s’est réduite à l’électoralisme et à l’alternance du pouvoir pendant que le dynamisme apparent de la société civile donnait le change. Le système politique malien a été déficient dans l’exercice de son rôle de médiation. Les intérêts des acteurs sociaux n’ont pas été politiquement administrés et  organiquement  unifiés dans le respect de la diversité et dans l’intégration de la plus importante minorité. Les  trois dimensions de la démocratie libérale, la représentation des intérêts sociaux, le contrôle parlementaire  du Pouvoir et la citoyenneté, n’ont pas été mises en œuvre et  pleinement articulées.

Par la porte du gouvernement de consensus  inspiré  de la palabre africaine, l’unanimisme  a été réintroduit dans la démocratie malienne  qui s’est délestée de sa fonction essentielle : celle qui consiste à assurer la représentation politique des intérêts sociaux contradictoires, à intégrer la diversité sociale et à promouvoir par ce biais  un développement économique endogène. La démocratie du consensus a reconduit l’unanimisme,  la politique du ventre et la culture de la manducation du temps du parti unique. Elle a réintroduit  dans l’Etat  les partis et les leaders d’opinion de la société civile qui sont alors venus participer à l’exercice du pouvoir. Elle a ainsi mené à la désaffection des  lieux de contre-pouvoir. La participation politique ne s’est pas vécue comme critique constructive, et opposition  idéologique. Elle s’est déclinée  comme  participation au pouvoir d’Etat  et abolition de la représentation politique des intérêts sociaux conflictuels.  La confusion de la société civile,  de la société politique et de l’Etat, qui s’en est suivie a  conduit à la corruption du politique et de l’économique dont la corruption sociale et le chaos ont été la conséquence. La confusion du débat démocratique avec le consensus, confusion qui gomme et occulte les tensions entre les groupes sociaux  au lieu de les gérer et de les résoudre en  satisfaisant les intérêts contradictoires des parties par le compromis, a généré  la frustration des minorités. L’assimilation de l’économie de marché à la prospérité immédiate a entraîné  l’affairisme et la corruption.

Deux articles récents  de   Jean François Bayart  dans le Monde  attestent  de  cette carence du dispositif spécifique qui confère à la démocratie libérale son pouvoir émancipateur. La démocratie  malienne a été incapable  de lutter contre les inégalités  et les clivages sociaux.  Elle  n’a pas su  gérer  démocratiquement  des tensions qui touchent au foncier et aux luttes agraires. Elle a été incapable de  mettre en œuvre  une redistribution  équitable.  Elle n’a pas su promouvoir  l’intégration nationale tout en assurant  le respect de la diversité culturelle et confessionnelle. Elle a été, note Jean-François Bayart,  incapable   d’« imaginer un nouveau modèle d'Etat-nation qui accorde au Nord une véritable autonomie et un large transfert de compétences, et qui parvienne à trouver un nouvel équilibre entre la laïcité de la République et l'islamisation croissante de la société ».   

 Le cas d’école  malien,  modèle exemplaire des dérives qui menacent la démocratisation des régimes africains,  révèle donc que la limitation de la démocratie à  sa forme institutionnelle  au détriment de son esprit peut renforcer le  tropisme du pouvoir  et  favoriser un électoralisme qui fausse le jeu de la démocratie en oubliant sa tâche essentielle qui consiste à réaliser l’intégration sociale. Une telle conception de la démocratie  fait  en effet peu de cas de la représentativité  des acteurs politiques et de la fonction principale du politique qui consiste à articuler la société civile à l’Etat et à harmoniser les intérêts sociaux. Dans la continuité  de la culture des partis uniques,  l’alternance est alors  appréhendée comme un dispositif politique qui doit permettre à chaque candidat  d’occuper la table du pouvoir afin de  se servir personnellement  dans un laps de temps déterminé. Dans cette course au mât de cocagne auquel le pouvoir est alors assimilé,  la gestion politique institutionnelle  des tensions, des demandes  et des contradictions sociales est délaissée. La reconstruction d’un système politique, qui doit permettre  d’élaborer  l’unité à partir de la diversité   et assurer la représentativité,  est abandonnée au profit de la gouvernabilité  qui doit garantir le fonctionnement sans entrave de l’économie de marché livrée  à sa propre logique. Mais réduite ainsi à  sa forme institutionnelle, la politique du ventre et la culture de la manducation politique peuvent  se déployer de plus belle sous la protection du camouflage de la démocratie formelle et sans contenu.  Il est aisé de voir que cette conception exclusivement  institutionnelle  de la démocratie a régenté  autant  la démocratie malienne  que la démocratie nigériane  qui connaissent toutes les deux, symptomatiquement,  le clivage social, la menace récurrente de la partition,  et le terrorisme de l’islamisme politique. Ces fléaux  résultent en effet  de la déficience  du dispositif  qui devait permettre de donner du contenu à la démocratie à travers la représentation politique  des intérêts de la pluralité sociale et l’intégration de la diversité confessionnelle et culturelle. 

La crise de la démocratie malienne oblige donc à rechercher au-delà de l’alternance du pouvoir et de la création de l’économie de marché,  les conditions de la réussite de démocratie libérale en Afrique.   La démocratie libérale  ne saurait se réduire à la création d’une économie soustraite au contrôle politique et idéologique de l’Etat et à l’alternance formelle du pouvoir ! Elle est en effet destinée à mettre en place un système politique qui soit à même de représenter les intérêts sociaux et de réaliser l’unité de la diversité en subordonnant cette unité à la diversité. La démocratie libérale se trouve donc dans l’efficience du système politique, c’est-à-dire dans la représentation parlementaire et dans la représentation partisane en tant qu’elles s’attèlent à limiter le Pouvoir,  à administrer les rapports de forces qui existent au niveau de la société civile, et à articuler dialectiquement la société civile et l’Etat en organisant l’unité à partir de la diversitéElle se réalise à travers la fonction médiatrice du système politique.  Elle se concrétise dans  la discussion réelle et  dans les débats d’idées constructifs  entre des partis qui représentent les principaux groupes sociaux du pays, proposent  des projets de société structurés et des programmes de gouvernement explicites,  expriment effectivement les diverses tendances de l’opinion,  incarnent les principales valeurs et conceptions du bien commun entre lesquelles se partage la société. Elle se caractérise surtout par une compétition partisane qui ne frustre pas et ne marginalise pas les minorités et notamment une importante minorité ! Au Mali, en plus de l’absence  d’un projet de société qui serait d’unifier la diversité sociale  en la respectant, la démocratie pêcha par le non-respect de  cette condition absolue de la démocratie  représentative : l’intégration de la minorité.

A l’adresse du mouvement de démocratisation des régimes politiques en Afrique, l’effondrement malien porte  l’enseignement suivant : Le pouvoir émancipateur de la  démocratie représentative ne pourra se concrétiser  en Afrique que si le système politique joue pleinement son rôle de médiation entre l’Etat et la société civile,  et accomplit sa fonction d’intégration des minorités. Elle ne pourra réaliser l’unité sociale  que si la représentation parlementaire et la représentation partisane accomplissent leur tâche de représentation des intérêts de la diversité sociale. Elle ne pourra promouvoir le développement économique et social que  si l’intégration permet d’unir la pluralité sociale par des valeurs communes et des projets  de société émancipateurs  qui rassemblent les énergies collectives vers des buts volontaires et délibérés de développement.

Dr Alexis Dieth

Vienne. Autriche

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