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Billet de blog 15 janvier 2016

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Le modèle Mandela ou le modèle Kagamé pour le salut politique et économique de l’Afrique? 2eme partie.

En Afrique Noire la limitation constitutionnelle de la durée du mandat présidentielle est un objectif fondamental du combat démocratique. La brève remise en question de cet acquis de la démocratie ivoirienne par l'ex-ministre Bacongo Cissé dans ce qui semblait être un ballon d'essai, illustre la nécessité de la vigilance des opinions publiques africaines sur ce sujet.

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Les explications du Ministre Bacongo Cissé ne sont pas convaincantes.

Nul  démocrate et républicain ivoirien ne songerait à  contester  la proposition du Ministre Bacongo Cissé relative  à  la modification du Code de la nationalité  dans l’article 35 de la Constitution de 2000. Ce passage de  l’article 35  constituait un viol perpétré contre  l’esprit de la République en Côte d’Ivoire.   Le problème est toutefois que cet article 35 qui doit être impérativement  modifié  est un article complexe parce qu’il comporte plusieurs dimensions. L’abrogation des alinéas portant sur le code de la nationalité étant légitime, la tentation existe en effet de reformer l’article 35 en entier en abrogeant par la même occasion l’alinéa portant sur la limitation de la durée du mandat présidentiel à 5 ans renouvelable 1 fois. Cet alinéa  est formellement  en accord avec l’esprit de la République et de la démocratie. Le danger est en effet de reformer la Constitution de 2000   pour restaurer dans la nouvelle  Constitution à venir  de 2016,  l’article 9 de la Constitution de 1960 qui instaurait une présidence illimité en stipulant tout simplement que « le président de la République est élu pour cinq ans au suffrage universel direct. Il est rééligible ».  La thèse du ministre Bacongo est problématique en ce qu’elle  s’efforce de délégitimer à force d’arguments et d’exemples historiques, cette limitation constitutionnelle du pouvoir  qui devrait  pourtant être considéré  comme un acquis de la démocratie ivoirienne.

Les explications par lesquelles le Ministre Bacongo s’efforce de fonder en raison sa proposition d’abroger de la Constitution  la limitation de la durée du mandat présidentiel sont contestables car ce sont des sophismes. Pour dénoncer  cette  limitation, le ministre en appelle implicitement à l’exemple de certaines démocraties célèbres qui fonctionnèrent durant des décennies entières  sans cette clause. Cette réalité historique  suffirait-elle pour autant à  faire de la limitation constitutionnelle de la durée du mandat présidentiel un principe contingent et à tout le moins illégitime qui attaquerait la souveraineté du peuple en démocratie ?  Les faits  seraient-ils devenus  la norme du droit ? L’argument du ministre, de cet éminent juriste ivoirien, est un sophisme d’autant plus inconséquent qu’il subordonne le droit au fait au lieu de faire du principe de droit la norme des faits et de l’exercice du pouvoir. 

En réalité le principe de la limitation de la durée du mandat présidentielle en démocratie  est  un principe normatif  qui fut, dans le cours de la temporalité démocratique des pays concernés, gravé dans le marbre de la Loi fondamentale afin d’avoir force de loi contraignante. Cette inscription était destinée à instituer constitutionnellement l’exigence d’alternance du pouvoir afin de préserver la souveraineté du peuple contre un arbitraire possible du pouvoir. Le principe de la limitation de la durée du mandat présidentiel régentait déjà l’exercice des démocrates et des républicains Américains et Français comme un principe constitutif à priori de la démocratie, avant d’être gravé dans le marbre de la Loi fondamentale. La quadruple  réélection de Franklin Delano Roosevelt aux Etats-Unis d’Amérique fut l’exception qui confirmait la règle. Nelson Mandela restituant gracieusement le pouvoir au peuple Sud-Africain après son premier mandat se plaçait dans la tradition de cette conviction démocratique subjective que l’inscription constitutionnelle consacre dans le processus de perfectionnement de la démocratie. 1947 aux Etats Unis d’Amérique et 2008 en France  furent l’acmé d’une dynamique de perfectionnement historique continue du régime démocratique en ces pays et non pas des moments de dérive de la démocratie.

En insinuant que la démocratie Sénégalaise a progressé vers l’abrogation de la limitation constitutionnelle  de la durée du Mandat présidentiel  dans le but d’accréditer sa thèse à partir d’un exemple pris sur le continent Africain,  le Ministre Bacongo  Cissé avance une contre-vérité pour étayer son sophisme. Au Sénégal le débat porte plutôt sur l’abrogation du septennat  au profit  du quinquennat ou sur la conservation du septennat au détriment du quinquennat La démocratie américaine  et la démocratie française de même que la démocratie sénégalaise  se sont perfectionnées  en évoluant vers la limitation de la durée du mandat présidentiel comme vers le télos de ce régime.

 La limitation du pouvoir est un principe a priori de la raison démocratique et donc un principe constitutif de la démocratie qui progresse  en gravant la  limitation de la durée du mandat présidentiel  dans le marbre de la Loi Fondamentale. Au sens Aristotélicien du terme cette limitation est à la fois la cause formelle et la cause finale du régime démocratique en tant que régime de la souveraineté du peuple. Contrairement à ce qu’insinue le Ministre Bacongo Cissé, la limitation constitutionnelle de la durée  du mandat présidentiel est donc  en démocratie  un signe de progrès démocratique et non de régression démocratique. Cette limitation n’attaque pas la souveraineté du peuple. C’est au contraire l’absence de limitation constitutionnelle du mandat présidentiel qui met en danger la souveraineté du peuple en livrant le peuple à l’arbitraire possible du pouvoir.

La limitation constitutionnelle de la durée du mandat présidentiel garantit l’alternance du pouvoir qui est une condition essentielle de la démocratie. Elle protège la souveraineté du peuple en mettant un verrou constitutionnel  à l’arbitraire du pouvoir. Elle préserve sa capacité de choisir librement ses dirigeants sans subir la contrainte subtile et insidieuse du gouvernement en place. Elle libère le peuple  de l’emprise d’un prince qui voudrait capitaliser politiquement ses capacités technocratiques et son expérience  pour conserver le pouvoir au terme de la durée légale de son mandat comme au Rwanda. Elle le sauvegarde de la propagande et des appareils de contrôle social  d’un monarque qui  pour maintenir ses privilèges, voudrait accaparer le pouvoir grâce à l’aide d’un parlement instrumentalisé ou  au moyen d’un référendum tuyauté  comme au Congo

Contrairement aux propos du Ministre Bacongo il  y a donc  bel et bien  en démocratie  une justification  qui fonde  la  disqualification du  magistrat  compétent au terme de la durée légale de sa mandature : c’est l’exigence  d’alternance  du pouvoir comme bouclier  qui préserve en aval la société contre le danger d’arbitraire du pouvoir.  La  limitation constitutionnelle de la durée du mandat présidentiel est un principe normatif qui ne dérive pas de la volonté arbitraire du pouvoir et des appareils partisans. C’est aussi un principe de précaution de la raison démocratique. Aux conditions discriminatoires d’éligibilité qui préserve en amont la magistrature suprême de l’aventurisme s’ajoute en aval  une règle constitutionnelle discriminatoire  qui empêche son accaparement. (A suivre)

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