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Billet de blog 17 octobre 2012

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Regard critique sur le sommet de la francophonie : A quand l’hommage des Africains à la mémoire des victimes de l’esclavage

Alexis Dieth

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dr.Alexis Dieth

Vienne. Autriche

Regard critique sur le sommet de la  francophonie : A quand  l’hommage des Africains  à  la mémoire des victimes de l’esclavage et de la traite négrière ?

Devant la maison des esclaves, face à l’océan Atlantique, François Hollande s’incline devant l’histoire et  s’engage pour la défense de la dignité  humaine en Afrique lors  de ce sommet de la francophonie dont  le respect des droits de l’homme et la démocratie constituent l’enjeu. Cette déclaration du Président français, solennelle et fondamentale, reconnait le crime contre l’humanité  que fut la traite négrière. Ne devrait-elle pas s’accompagner d’un retour de mémoire des  élites politiques  africaines au lieu d’en faire les éternelles victimes d’une politique de prédation venue d’Occident ? Cette déclaration devrait mettre les élites politiques africaines modernes  au  défi d’assumer leur part de responsabilité dans la tragédie humaine  que fut l’esclavage.  

Faut-il le rappeler ? Lorsque l’esclavage débute  en Afrique, la colonisation n’a pas encore commencé. Sur la côte atlantique, les premières transactions entre les explorateurs portugais et les chefs locaux datent de 1442. Les royautés et les aristocraties militaires qui règnent sur le continent traitent et commercent  d’égal à égal avec les blancs. Le continent est encore mal connu par ces derniers  qui de surcroit ne sont pas adaptés au rude climat pour pouvoir le pénétrer afin d’aller à la chasse aux esclaves. Alors la question se pose. Qui s’est occupé de la chasse, de la  capture des esclaves,  de leur convoyage et de leur vente  sur la Côte ? Qui administrait les comptoirs et organisait le commerce négrier à l’intérieur du continent et sur les Côtes africaines ?

Durant la période de la traite esclavagiste qui précède la colonisation,  la chasse, la capture des esclaves, le convoyage et la vente des esclaves sur les Côtes africaines  furent effectués par l’oligarchie politique des sociétés africaines qui était la plus grande consommatrice des produits échangés dans le commerce avec les blancs. L’historien Elikia Mbokolo révèle dans « Afrique Noire. Histoire et civilisation »  que ce furent « les chefs d’Etat, les chefs de guerre, et intermédiaires  avec les Européens qui se mêlaient directement de la capture et de la vente des esclaves » (p 119). Claude Meillassoux ajoute  dans son Anthropologie de l’esclavage (p 70) que les élites locales étaient largement impliquées en tant qu’acteurs centraux dans ce qui apparaît comme un mode de production fonctionnant  organiquement pour reproduire des rapports d’exploitation et de domination. Olivier Pétré-Grenouilleau précise dans Les traites négrières  que ces élites  entrèrent de leur plein gré dans  la traite esclavagiste qui était « au cœur de l’organisation fonctionnelle des sociétés précoloniales de l’Afrique Noire » (p100). « L’essentiel des captifs produits en Afrique noire le furent essentiellement par les pouvoirs en place  qui avec  les élites marchandes ont organisé les opérations de vente des captifs » p 91 « tout simplement parce que la traite rentable pour nombre d’élites locales puisqu’elle pouvait asseoir ainsi leur pouvoir économique, politique symbolique et même démographique » p 94.   Si épisodiquement les hommes du commun prirent part au trafic, le commerce honteux fut principalement l’apanage des élites politiques locales  qui avaient le monopole du commerce à longue distance des marchandises  de la traite négrière comme les  Etats modernes ont aujourd’hui le monopole du commerce à longue distance  des marchandises de l’économie de plantation.

Dans les Etats africains contemporains, la politique de prédation endogène qui se nourrit de la négation des droits humains et du piétinement constant de la dignité humaine est enracinée  sur  ce déni et ce refoulement de la réalité de l’esclavage intra-africain et de celui de l’implication active des élites précoloniales africaines dans l’organisation de la traite atlantique et orientale.  Les impostures se construisent et les imposteurs prospèrent sur cette déformation  de la trame effective du passé. N’est-ce pas grâce à cette occultation de l’histoire qu’un politicien apprenti dictateur qui cliva la société ivoirienne et travailla à sa décomposition sociale a pu se présenter frauduleusement comme un nouveau Sunjata aux yeux du peuple ivoirien qu’il asservissait  tout en traitant avec les multinationales occidentales,  alors que le vrai Sunjata unifia le royaume Mande en intégrant les étrangers combattit l’esclavage interne qui sévissait   et  la décomposition sociale qui menaçait le peuple Mande ?  

A l’époque de l’esclavage, relate Wa kamisoko cité par Meillassoux,  un brigandage endémique sévissait « du frère contre le frère » (pp. 143-146).  « Le rapt et la vente de captifs ne sont pas le fait d’étrangers mais de membres de la communauté elle-même agissant anonymement. Personne n’est à l’abri de ceux-là mêmes qui devraient être les protecteurs des communautés. La sœur est menacée par le frère, l’épouse par l’époux, l’enfant par le père ou par l’oncle », «  le plus forts capturaient les plus faibles et les emmenaient par le sentier de la trahison pour les vendre ». « Il n’y eut aucun de ceux qui régnèrent dans le pays qui n’eut placé le mors dans la bouche de quelque Malinke pour aller le vendre aux Maraka ».  «  Si tant de Malinke se trouvent encore aujourd’hui au Sahel ou dans le Sosso, c’est surtout les Malinke eux-mêmes qui en sont la cause ». Sunjata fit cesser la vente des gens du Mande et restaura  l’unité du royaume Mande. « Face à Sunjata les Maninka  cessèrent ainsi d’être des étrangers les uns pour les autres ». En mettant fin au clivage et la logique de l’asservissement interne, Sunjata est crédité de l’invention locale de la natio. En Côte d’Ivoire et en Afrique, l’ethno-nationalisme de celui qui s’est revendiqué frauduleusement de Sunjata,  en clivant la nation multiethnique en construction en Côte d’Ivoire et en stigmatisant une partie de la population considérée comme étant des  étrangers indésirables, a pu opérer son œuvre de tromperie  parce que  l’histoire de cet esclavage intérieur  et  l’œuvre de Sunjata  étaient ignorées.  La stigmatisation contemporaine de l’étranger  s’enracine dans le conditionnement à l’extranéité qui a structuré l’esclavage intérieur précolonial. L’Etat moderne  africain peut facilement mobiliser une  xénophobie refoulée pour camoufler les problèmes  économiques intérieurs liés à la mauvaise gouvernance. Aujourd’hui la stigmatisation de l’étranger et  le racisme entre Noirs qui sévissent dans les Etats africains, le mépris que certaines catégories de populations nourrissent envers d’autres , s’enracine dans l’idéologie de légitimation  de l’esclavage  qui opposait l’ensemble des citoyens francs des sociétés esclavagistes à l’ensemble des populations razziées ponctionnées  et que les dominants mobilisaient pour soutenir leurs prérogatives sur les dominés . « Chez les  Abrons, les esclaves sont Moshi (mosi) et gurunsi. Le Busansi, le Konkonba, le Tyokosi constituent pour les Asante et de façon plus générale pour les peuples akan, de véritables réservoirs d’esclaves (Meillassoux, pp. 68-69). Les captifs des Anyi sont originaires pour le grand nombre des savanes du nord et de Kong. Mais Kong est un marché où les captifs parviennent de région plus lointaines encore ».  Contrairement à la Côte d’Ivoire, le Burkina Faso échappe actuellement aux  crispations  identitaires. Cette exception ne résulte-t-elle pas de l’intégration politique exceptionnelle des populations que l’empire Mosi réalisa dans sa fonction protectrice des populations contre la capture esclavagiste  par les Sahéliens ? Le géographe Yves Lacoste estime que pour un grand nombre d’Etats africains les difficultés auxquelles se heurtent la diffusion de l’idée nationale parmi les populations, les antagonismes insurmontables  et les tensions récurrentes  qui opposent les groupes vivant sur le territoire de chacun d’eux, la compétition ethnique pour la prise du gouvernement et l’appropriation de l’Etat  qui sont considérés  comme un moyen de pouvoir et de domination, tiennent aux contentieux historiques et géopolitiques  non résolus qui remontent à la période de la traite des esclaves. Ces contentieux non formulés explicitement expliqueraient, en grande partie, la faiblesse, l’incurie et les exactions des Etats africains.

Il est alors indispensable de jeter un regard sans complaisance sur notre passé, à la fois pour nous grandir, pour nous réapproprier de notre responsabilité en tant qu’acteurs historiques à part entière,  pour maîtriser notre présent et pour construire notre avenir en apurant les contentieux liés à la traite des esclaves. Il importe, note Yves Lacoste, « que soient faites, dans le plus grand nombre d’Etats possible, des analyses précises des conséquences géopolitiques actuelles des conflits anciens provoqués par la traite des esclaves, et cela non pour raviver les antagonismes, mais au contraire pour essayer de les surmonter en les expliquant » (Hérodote n°65 p 11).  En ce sens la libération de la parole  et la reconquête de la responsabilité politique par les peuples  dans les démocraties naissantes d’Afrique doit être l’occasion d’organiser, dans chaque Etat, des sortes d’états généraux des peuples pour y amorcer une politique constructive de la nation. Ces états généraux des peuples permettraient d’y bâtir  des  communautés politiques  effectives  réconciliées  et unies autour de projets de société communs construits en rassemblant le génie culturel des peuples pour maîtriser le développement économique,  pour l’orienter dans le sens des besoins effectifs des peuples de chaque Etat  et de leurs  intérêts  supérieurs.

Dr Dieth Alexis

Vienne. Autriche

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