Voici quelques extraits d’un article intitulé « Le coït, l’avortement, la fausse tolérance du pouvoir, le conformisme des progressistes » que Pier Paolo Pasolini publia le 19 janvier 1975 dans le Corriere della sera, sous le titre « Je suis contre l’avortement. » Cet article fut publié en français dans le recueil Écrits Corsaires. En le relisant, je le trouve polémiste et provocateur : stimulant.
« (…) Aujourd’hui la liberté sexuelle de la majorité est en réalité une convention, une obligation, un devoir social, une anxiété sociale, une caractéristique - à laquelle on ne peut renoncer - de la qualité de la vie du consommateur. En somme, la fausse libéralisation du bien-être a créé une situation aussi malsaine sinon plus, que celle du temps de la pauvreté.
(…) Autrefois le couple était béni, aujourd’hui il est maudit. Les conventions et les journalistes imbéciles continuent de s’attendrir sur "le bon petit couple" (comme ils disent abominablement) sans s’apercevoir qu’il s’agit là d’un pacte criminel. Et les mariages : autrefois, c’étaient des fêtes, et leur caractère d’institution – si stupide et sinistre – était moins fort du fait qu’il était institué par, précisément, un processus heureux et joyeux. Aujourd’hui, au contraire, les mariages ressemblent à de hâtifs rites funèbres. La cause de toutes les choses terribles que je suis en train de dire est claire : autrefois "l’espèce" devait lutter pour survivre et, par conséquent le nombre des naissances devait dépasser celui des décès. Aujourd’hui, par contre, "l’espèce", si elle veut survivre, doit s’arranger pour que le nombre des naissances ne dépasse pas celui des décès. Et donc : chaque enfant qui naissait autrefois, représentant une garantie de vie, était béni, tandis que chaque enfant qui naît aujourd’hui, contribuant à l’autodestruction de l’humanité, est maudit.
(…) Au cours de ces dix dernières années est intervenue la société de consommation, c’est-à-dire un nouveau pouvoir faussement tolérant qui a relancé le couple sur une très grande échelle, en privilégiant tous les droits de son conformisme. Mais ce qui intéresse un tel pouvoir, ce n’est pas un couple générateur d’enfants (prolétaires), mais un couple consommateur (petit-bourgeois) : il a donc in pectore l’idée de la légalisation de l’avortement (comme il avait déjà celle de la ratification du divorce. (…) »
Je ne présente ici que des extraits de l’article de Pasolini. Mais relisant cet article, et notamment ces passages, je me demande si nous ne pourrions pas penser, à la suite de ces réflexions de Pasolini, que ce qu’il nommait le « pouvoir totalitaire de la consommation » a déjà in pectore la légalisation du mariage homosexuel, comme paradigme du couple consommateur, non générateur d’enfants ?