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éducateur avec des adolescents, je vis à Paris depuis près de 40 ans, avec dans la tête un paysage de campagne.

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Billet de blog 19 novembre 2010

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La création des établissements de réinsertion scolaire, chronique d'un fiasco annoncé ?

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Le président avait annoncé leur création, alors le ministre de l'éducation les a faits, à peine quelques mois plus tard... Les établissements de réinsertion scolaire, structure "nouvelle" sensés accueillir en internat des élèves en rupture scolaire ont ainsi vu le jour...

Chaînon manquant.

 
Déjà, avec l'annonce de Luc Chatel, notre ministre de l'éducation, ça partait mal : "Entre les classes relais et les centres éducatifs fermés, il manquait un maillon dans la chaîne des réponses éducatives" a-t-il sobrement déclaré pour annoncer les ERS.
Bon.
Ne nous attardons pas sur ce qu'une telle formule peut signifier en terme de passerelle de l'école vers la prison...
En maniant ce genre de signifiant, on pouvait de toutes façons s'attendre au pire sur la façon dont seraient perçus les malheureux bénéficiaires du dispositif "chaînon manquant".
Et ça n'a pas traîné...


Incidents et Mayenne, en Basse-Normandie...

 
Pourtant, beaucoup de professionnels de l'éducation le savent par expérience, lorsqu'on désigne un petit groupe comme "différent" au sein d'un établissement scolaire, on génère automatiquement de la stigmatisation qui peut s'exprimer violemment. (Voir par exemple les classes CLIS, SEGPA, Non-francophones...) Les responsables de ces dispositifs savent bien que pour que leurs élèves puissent évoluer relativement sereinement au sein d'un établissement scolaire, il convient de mettre en place des actions de dé-stigmatisation qui concerneront l'ensemble des élèves et permettront à chacun de se reconnaître dans ses différences, mais aussi peut-être dans ses affinités. Je me souviens personnellement m'être appuyé sur la fête des ateliers culturels de l'établissement. J'avais demandé que le petit groupe particulier d'adolescents en grande difficulté scolaire dont je m'occupais puisse y participer et s'y exprimer. Nous avions donc eu un temps pour nous lors de cette fête, et des élèves du circuit dit "normal" étaient même finalement venus se joindre à nous. Cela avait permis au groupe de ne plus être considéré comme des parias par le reste du collège, ce qui était pourtant le cas jusqu'alors.


Or pour les ERS, il est bien spécifié que les "élèves à problème" doivent "éviter de croiser la route" des élèves dits-normaux. Lorsqu'on regarde les images qui ont été réalisées après les incidents qui ont eu lieu en Mayenne, on est saisi par l'effet hyper-stigmatisant qu'elle transmettent. Les élèves, les parent, les enseignants et même les journalistes paraissent tous dans cette même rhétorique de stigmatisation qui vire parfois à l'outrance : Les professeurs parlent d'élèves "polyexclus", de "choc culturel" à leur arrivée, les parents les décrivent comme des "élèves qui viennent semer la terreur", les élèves du collège semblent traumatisés par le choc du déferlement de violence et le journaliste finit par annoncer qu'heureusement "les adolescents qui très vite sèment la panique" ont été "expulsés"...


À quel moment s'interroge-t-on sur ce qui a pu provoquer cette irruption de violence ?
À quel moment parle-t-on du fait que le projet pédagogique de ces ERS à l'air inexistant, qu'il n'a visiblement pas pris en compte cet effet stigmatisant dans sa préparation en amont (sinon en affirmant que les élèves du collège ne doivent pas croiser ceux des ERS, est-ce cela, la réinsertion ?), que les personnels encadrant sont souvent des jeunes gens non qualifiés effectuant leur service civique, ou que les locaux paraissent bien souvent inadaptés ?
À quel moment dit-on l'évidence : que ce projet vite fait mal fait, fut exécuté dans la précipitation pour répondre avec zèle et empressement à la commande politique, sans prendre le temps de réfléchir, sans essayer de profiter du savoir faire de nombreux professionnels sur des dispositifs relais, par exemple ?
Les aberrations dans la mise en place de ces projets auraient pu être levées dès le départ, encore aurait-il fallu que les politiques qui l'ont souhaité ne se contentent pas de vouloir des mesures d'affichage à visée électorale, mais profitent un peu de l'expérience et des capacités de réflexion des professionnels de l'éducation qui travaillent dans de nombreux ministère. On aurait ainsi évité, il me semble, de faire du mal aux élèves concernés par ces dispositifs et à ceux qui ont vu arriver ces dispositifs dans leurs établissements. On aurait aussi évité de jeter de l'argent public par la fenêtre, ce qui, en ces temps de réduction budgétaire à tout va, n'est pas rien non plus...

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