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Alexis Flanagan

éducateur avec des adolescents, je vis à Paris depuis près de 40 ans, avec dans la tête un paysage de campagne.

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Billet de blog 23 janvier 2012

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Comme le regard devient érotique...

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En lisant La Peinture et le mal, de Jacques Henric, quelques lignes sur Watteau retiennent mon attention « une servante accroupie, éponge à la main, s’apprête à essuyer le con de sa maîtresse qui écarte bien largement les jambes face à elle : le regard admiratif, vaguement complice de la brave dame devant les cuisses dégoulinantes de foutre. Sans doute le plus obscène tableau de Watteau. » Aucune mention du titre du tableau qui ne fut pourtant pas difficile à retrouver. La toilette intime, peinte par Watteau probablement un peu avant sa mort, en 1721.

Je regarde le tableau et le spectateur que je suis - qui n’en voit pourtant qu’une copie électronique, mauvaise reproduction de la toile - se prend à rêver… Il y a là deux femme, l’une assise sur un grand lit défait, et l’autre accroupie devant elle, qui la regarde en souriant. Elle ont des attitudes bien différentes, et pourtant le rouge est monté aux joues de chacune. Et je me demande alors ce qui se joue entre elles, ces femmes avec ce rouge aux joues qui les rassemble. J’imagine la femme assise sur le lit, qui se dévoile devant l’autre. Elle a esquissé un geste plein d’une délicate pudeur qui vise à découvrir l’endroit qu’elle souhaite que l’autre lave. Ce geste, et la manière qui l’accompagne, signifie à la fois ce qui vient de se passer, et le courage qu’il lui faut, à cette femme presque nue pour l’assumer en cet instant. Et l’autre la regarde, délicieusement complice. Elle rougit du plaisir qu’elle sait. Je peux imaginer toute une histoire entre elles autour de cet instant disant l’accomplissement d’un désir maintes fois tu lors d’interminables échanges dans cette sorte d’intimité profonde et particulière qui les lie toutes deux. Elle est heureuse, cette femme rieuse, pour l’autre qui ne lui en dira rien. Et elle rit de bon cœur parce que c’est drôle - tout ça pour ça - et ça vous met dans quel état !

Mais la scène, bien sûr, est une création du peintre. C’est Watteau qui la compose, cette scène qu’il voit, ou qu'il anime, qui l’anime suffisamment pour qu’il s’aventure à la réaliser sur une toile, pour qu’il s’y consacre et se risque à la produire. C’est une scène qui se passe en lui, de sa profonde intimité à lui qu’il nous donne à voir, portée par des formes, par des modèles qu’il a peut être trouvé au dehors. Ce tableau est bien le lieu où ce qui se passe se situe et se joue entre les deux femmes. Le sujet du tableau est la substance, cette substance qui se trouve entre elles, enjeu de leur interaction. Et cette substance quelle est elle ? Elle est la délicate sensualité de l’une, sa féminité à peine dévoilée, peut être caressée par le pinceau du peintre, jamais saisie. Elle est aussi la joie rieuse de l’autre qui accueille le plaisir avec tendresse. La substance du peintre dont il a recouvert sa toile avec application, dans cette aventure si risquée qui consiste à donner la forme la plus juste à son rêve…

Mais la scène, bien sûr, c’est moi qui la regarde… et alors je me prends à rêver à mon tour, ayant pour un instant le talent du peintre, que la substance y soit effectivement la mienne, et qu’elle y fut si merveilleusement reçue…

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