D’un seul coup, le glissement sémantique m’est apparu comme une évidence. Il suffit de porter son regard, son attention sur le sens des mots. Une amie citait Camus en exergue de son blog « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde ». C’est exactement cela.
Revenons au plus près du sens des mots. Gestation. Qu’est-ce que cela signifie ? État d’une femelle vivipare qui porte son petit, depuis la conception jusqu’à l’accouchement, me dit le dictionnaire. Et au figuré, travail latent qui prépare la naissance, la mise au jour d’une création de l’esprit, d’une situation nouvelle.
Mais alors, qui est Autrui ?
La réponse devrait être une évidence : Autrui ne peut être que l’enfant à naître.
Le sens profond de la gestation est d’être toujours pour autrui, toujours pour donner la vie à un autre que soi. C’est le don de la vie des parents à l’enfant. Quelles que soient nos croyances religieuses, athées, laïques, agnostiques, païennes, que sais-je encore… la perpétuation du don de la vie est au fondement du projet notre l’humanité. La gestation de la femme humaine ne peut être que pour autrui, et autrui ne peut être que l’enfant à naître, l’autre appelé à vivre.
Pourtant, dans l’expression Gestation Pour Autrui, il est clair qu’autrui n’est plus l’enfant. Autrui est le couple appelé à recevoir l’enfant. Et c’est là qu’est le glissement sémantique. Et je crois qu’il s’agit là d’un glissement particulièrement signifiant : l’enfant n’est plus le sujet du don, il devient l’objet du don.
Ce que je veux dire ici, ce n’est pas que je m’oppose à ce qu’une femme mette au monde un enfant que d’autres élèveront. Cela, il n’y a aucune raison de s’y opposer. Non. Ce à quoi je m’oppose, c’est que l’on nomme si mal les choses. Au moment, précisément où notre société est la plus inquiète, la plus vacillante sur la question du projet, au moment où le progressisme peine à s’affirmer comme vision de l’humanité génératrice d’horizon pour elle-même, apparaît ce glissement de sens de l’enfant sujet destinataire du don à l’enfant objet du don.
Certains députés appellent aujourd’hui à ouvrir un débat de société en vue d’une révision des lois de bioéthique, pour y inclure les questions concernant la naissance d’enfants. Je suis d’accord avec eux. Les grandes avancées de la science ont rendu floues les limites de la vie. Que ce soit du côté de la naissance, avec la question des embryons surnuméraires, de la PMA, du clonage humain, ou du côté de la mort, avec la question de l’euthanasie. Nous devons être capables de penser tout cela. De le penser dans le sens du projet humain, qui peut être défini au plus simple comme la perpétuation du don de la vie.
Ouvrir un débat sur la bioéthique, c’est faire le pari d’une société démocratique capable de se penser. À l’inverse, ne pas le faire, se réfugier dans une incapacité à penser ces questions ne peut qu’évoquer la politique de l’autruche. C’est à coup sûr laisser grandir dans l’ombre nos inquiétudes et nos fantasmes. C’est prendre le risque de laisser s'éteindre dans l’inertie le mince espoir qu’a fait naître dans l’opinion l’élection de François Hollande à la présidence de la République, au moment historique où la gauche a entre ses mains tous les leviers du pouvoir.
Pierre Marcelle écrit dans Libération, « social et sociétal avancent de pair, dans une ambition de gauche, comme la fin et les moyens ». Je partage cette conviction. Ouvrir un débat en vue de réviser les lois de bioéthique nous permettrait de trancher collectivement les questions épineuses qui se posent à notre humanité, en affirmant le sens du don de la vie. Ce serait une occasion formidable de redonner du souffle à notre démocratie. Car penser notre humanité, c’est redécouvrir les vertus du regard porté à l’horizon. C’est par là que nous retrouverons la légitimité d’affirmer que des moyens sont nécessaires pour permettre à notre projet collectif humain de se développer.
Utopique ?
Peut-être.
Résigné, certainement pas.