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Billet de blog 27 mai 2017

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Non, l'urgence démocratique ne commandait pas de voter Macron le 7 mai dernier

Peut-être est-ce possible de le dire aujourd'hui que Marine Le Pen, comme attendu, n'est pas devenue présidente de la République, ayant recueilli, au deuxième tour de cette sinistre présidentielle, deux fois moins de suffrages qu'Emmanuel Macron. C'était impossible de l'affirmer avant cela, sans se voir dénoncé comme irresponsable ou insulté de collusion avec le fascisme.

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Pierre Bourdieu, dans une émission d'Arrêt sur Image devenue référence pour certains, traitant du journalisme télévisuel après les grèves de 1995, conclut ainsi : « Je dis ça sans agressivité, tous les univers sociaux impliquent de l'inconscience, je pense que simplement le monde des journalistes, qui implique beaucoup d'inconscience, fait peser son inconscient sur les autres. » Il y avait là un rappel, par le citoyen Bourdieu, de la responsabilité sociale du journaliste, dont Mediapart ferait peut-être bien de se souvenir.

Car cet inconscient y était probablement pour beaucoup dans qui a pesé sur notre journal et sur son lectorat, entre les deux tour de la présidentielle, avec cette si nette injonction à voter Macron, portée tambour battant par Edwy Plenel. Il convient d'être juste, c'est ce qui s'est produit dans la plupart des médias français, qui a donné le résultat qu'on connait, une large autant que prévisible victoire du candidat d'En Marche. Edwy Plenel l'a dit on ne peut plus clairement en accueillant Macron à la veille du second tour, parlant de ces voix de gauche que son invité allait recueillir « les voix de tous ceux qui veulent dire non, non à l'extrême droite, non aux héritiers du fascisme, non aux tenants de la haine et des peurs. » Tous ceux qui veulent lutter contre le fascisme doivent donc... Il est là, l'inconscient du journaliste dont parle Bourdieu, dans cette affirmation indignée, ni interrogée, ni analysée qui voudrait qu'un positionnement moral singulier devienne une évidence incontestable.

C'est bien cette ouverture en forme d'injonction qui a permis à Macron, ensuite, de tranquillement dérouler son TINA à lui sur Mediapart : « Il y a une chose qu'il ne faudrait pas réinventer, qui est un deuxième tour classique d'une élection présidentielle. Au premier tour on choisit, au deuxième tour, on élimine, dit-on souvent. Et donc oui, au premier tour, il y a beaucoup de femmes et d'hommes qui ont voté pour un candidat qui n'est pas sélectionné, et donc au deuxième tour, ils se retournent vers un candidat qui n'était pas forcément leur préférence. J'ai le sentiment, dans le débat qu'on a depuis le soir du premier tour qu'on a oublié cela. C'est la règle de la vie démocratique. Donc je ne vais pas rentrer dans une espèce de logique de défaite ou de honte de soi que réclament certains, qui consisterait à dire, "comme on a plus le choix pour le candidat qu'on préférait, il faut nous expliquer comment vous allez nous convaincre." La démocratie n'est pas un jeu auquel on gagne à chaque fois. Donc c'est la règle d'un deuxième tour. Donc, cette partie-là des électeurs, je leur dit positionnez vous vers l'offre politique qui vous convainc le plus ou vous déplait le moins. Et, somme toute, vous avez eu le même choix entre François Hollande et Nicolas Sarkozy la dernière fois, et on peut remonter, et chroniquer ainsi les élections de la cinquième. » Le tour de passe-passe était habile. Macron commence par un sibyllin "dit-on souvent" qu'il transforme ensuite allègrement en "règle de la vie démocratique". Or, même si aucun journaliste présent ne le remarque, du fait de l'entame doucement comminatoire d'Edwy Plenel, ce que Macron affirme là est faux. La règle démocratique n'exclut absolument pas la possibilité de voter blanc, d'annuler son vote ou de s'abstenir. Après cela, Macron put insister à loisir sur le « devoir moral et citoyen » de... voter pour lui. Sans, encore une fois, que les journalistes de Mediapart ne se décident à creuser cette question démocratique, en commençant par exemple par dénoncer les termes inacceptables avec lesquels l'encore candidat à la Présidence de la République la posait.

Au lieu de cette salutaire réflexion qui devra bien un jour être menée1, nous avons donc subi une injonction à voter Macron, comme seul choix possible pour tout démocrate qui se respecte, sommés donc de ne pas nous abstenir, ni de voter blanc ou nul. Le front républicain de pacotille (ça dure un jour et on oublie tout jusqu'à la prochaine fois) avec Macron comme seule réponse envisageable à l'inquiétante progression du FN.

Et c'est là que je voudrais introduire la question de l'urgence démocratique. Ne pourrions-nous donc pas commencer à considérer, depuis maintenant plus de trente ans que ce parti d'extrême-droite existe au-delà de 14%, qu'un moyen véritablement efficace de lutter contre sa progression serait de parvenir à faire entendre et comprendre de manière aussi incontournable que définitive aux autres partis politiques que sa présence d'épouvantail à électeurs ne rendra plus jamais service à personne ?

Souvenons-nous donc un peu des services déjà rendus par le FN à nos bons représentants démocrates.

Dernier en date à en avoir profité, donc, Macron, évidemment. Chacun se souvient, et se souviendra encore longtemps des cris de joie des militants d'En Marche en découvrant que leur champion était qualifié au deuxième tour de la présidentielle avec Marine Le Pen pour adversaire. Dans cette configuration, c'était gagné dès le premier tour, les petits macrons firent d'ailleurs immédiatement la fête en conséquence (ce que quelques esprits chagrins leur reprochèrent, eut égard aux convenances) et la suite leur donna évidemment raison.

Un peu plus loin, on pourra se souvenir aussi de ce vaillant Estrosi se drapant dignement dans la figure du résistant pour faire battre Maréchal Le Pen et, au passage, gagner le conseil régional.

Plus loin encore, d'aucuns auront un souvenir ému pour Chirac en 2002, Hollande aux régionales de 1998, et pourront verser une larme en levant le coude à toutes ces triangulaires gagnées par les socialistes, à tant d'élections, grâce à la présence du FN au second tour. On se souviendra historiquement que ce "bon usage" de la présence du Front National dans le jeu démocratique fut instauré par la figure tutélaire de Mitterrand, qui, en 1986, fit glorieusement entrer une trentaine de députés FN à l'assemblée, par le jeu de la proportionnelle, pour tenter de priver la droite d'une majorité absolue qu'ils obtinrent de justesse, du fait de ce savant stratagème.

Dans la circonscription où j'habite, à Paris, on pourrait dire que le candide candidat Cambadelis illustre jusqu'à la caricature cette posture qui prétend dénoncer le FN et l'extrême-droite, tout en en profitant largement : à quelques années d'intervalle, il fonde le Manifeste contre le Front National puis se fait embaucher par Yves Laisné, ancien cadre du FN. Un emploi fictif qui lui rapporte d'abord 400 000 francs, puis une condamnation en justice. Je me souviens du dessin de Plantu à cette époque, faisant dire au sieur Cambadélis comparaissant devant ses juges « on ne va pas me reprocher d'être Mitterrandien... »

Combien de temps encore ? Ne pourrions nous, avant qu'il soit réellement trop tard, partager largement la conviction que ce jeu dangereux avec l'extrême-droite auquel s'adonnent nombre d'élus depuis plus de trente ans n'a déjà que beaucoup trop duré ? Ne pourrions-nous réfléchir ensemble activement à ce qui mettrait effectivement un terme à cette instrumentalisation détestable de la présence de l'extrême-droite dans le jeu électoral par celles et ceux qui prétendent diriger le pays en démocrates ?

Sitôt l'élection finie, chacun rentre chez soi et on n'en reparle plus jusqu'à la prochaine fois. C'est donc bien au moment de l'élection qu'il est possible d'agir et, au minimum, de débattre réellement. Pour cela, il serait nécessaire de sortir de cette logique dictée par la peur qui consiste à appeller à voter pour le démocrate le mieux placé face au FN. Car faire cela, c'est nourrir la tentation déjà énorme des politiques à profiter encore et toujours de la présence du FN au second tour pour gagner facilement une élection, comme Macron vient de le faire une fois encore à nos larges dépens. Et la presse a évidemment un rôle important à jouer dans cette affaire. Car si, comme le disait Bourdieu, son inconscient pèse sur la société, sa conscience du danger peut l'éclairer et grandement contribuer à organiser la réflexion qui permettra d'en sortir.

Pour terminer sur une note lyrique, je citerai Victor Hugo : « Les nations ont au-dessus d'elles quelque chose qui est au-dessous d'elles, les gouvernements. À de certains moments, ce contre-sens éclate (…) Il y a des heures où la conscience humaine prend la parole et donne aux gouvernements l'ordre de l'écouter. »

Nous devons intimer à nos dirigeants l'ordre de cesser de jouer avec le FN.

1Il faut être juste, il y eut un débat sur Mediapart, entre les deux tours, intitulé « Voter ou ne pas voter Macron, quand on est de gauche » avec quatre intervenants... qui affirmaient tous leur choix de voter Macron !

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