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Billet de blog 28 avril 2013

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De la pénétration

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Au plus près de sa définition[1],

PÉNÉTRATION, subst. fém.

A. − 1. Action de pénétrer, mouvement par lequel un corps pénètre (dans un autre corps, dans une matière ou à l'intérieur d'un espace circonscrit, en traversant ce qui fait obstacle ou offre une résistance).

B. − Résultat de cette action; le fait d'être pénétré.

C. − Au fig. Activité intellectuelle par laquelle on pénètre avant dans les choses, notamment dans la compréhension en profondeur des choses complexes, difficiles; le fait de comprendre.

C’est probablement du fait de cette dernière définition qu’au premier rang des synonymes du mot pénétration, je trouve intelligence[2]. En relation à ces définitions, je trouve aussi introduction, envahissement, intrusion, appréhension… Ou encore connaissance, compréhension, ouverture d’esprit, finesse, délicatesseprofondeur…  

Le mot pénétration apparaît également – et uniquement cette action-là – dans la définition juridique du viol :

Code pénal – Article 222-23[3] – Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. Le viol est puni de quinze ans de réclusion criminelle.

Aussi la pornographie est-elle le lieu d’une exhibition de la pénétration. Dans la plupart des films pornographiques « classiques » une femme réduite à l’état d’objet de jouissance est pénétrée par un homme réduit à l’état de machine à pénétrer.

Le pénis pénétrant, puis jouissant – jouissance caractérisée par l’émission séminale – est l’image valorisée d’une sexualité accomplie depuis des lustres, dont on peut voir les innombrables répliques métaphoriques, jusque dans les feux d’artifices du 14 juillet au-dessus de la Tour Eiffel. Cette image associée à la jouissance de l’homme est le plus souvent aussi la négation de la jouissance de la femme.

Peut-on pour autant dire que cette image valorisée d’une jouissance pénienne apporte davantage de satisfaction à l’homme qu’à la femme ?

Depuis que les hommes parviennent à parler de leur sexualité, ne disent-ils pas plutôt le contraire ? Ne disent-ils pas que malgré cette valorisation d’une jouissance pénienne, leur sexualité leur pose autant problème qu’elle en pose aux femmes ? Ne peut-on même entendre certains d’entre eux dire qu’il est parfois difficile d’assumer l’action de pénétration de celle qu’ils aiment, comme il est parfois difficile pour une femme d’accueillir l’action de pénétration de celui qu’elle aime ?

N’y aurait-il pas quelque ressemblance entre les hommes et les femmes qui se fait jour autour de la question de la pénétration ?

Ne pourrait-on imaginer qu’il soit souvent aussi délicat et complexe pour un homme que pour une femme, d’assumer que d’accueillir, d’être chacun pour soi et pour l’autre, acteur et actrice de la pénétration ?

Serait-il incongru d’avancer que ce modèle du pénis pénétrant, de cette mécanique de la jouissance qui trouve sa caricature dans la pornographie, est probablement aussi oppressant pour l’homme qu’il l’est pour la femme ?

Et ne pourrait-on finalement imaginer d’autres voies pour la pénétration que cette image infailliblement érigée vers l’émission pénienne ?

À partir de la pénétration, en prenant appui sur le roman de Simenon, Le train, François Jullien développe son idée de l’intime[4] : « Il y a pénétration d’un corps dans l’autre pour ouvrir là, planter là, au milieu de tous ces corps étrangers, dans cet étrange dortoir ambulant et menacé, dans ce lieu d’impudeur où ils sont bestialement parqués, quelque chose qui en soit l’envers : quelque chose comme une intimité. Ou ce que je voudrais appeler, plus justement, la ressource de l’intime : ouvrir de l’intime entre eux deux comme puissance et comme résistance – les seules qui restent ? »

Cette ressource de l’intime qu’il décrit est ce lieu où « l’Autre se défait de son extériorité ». Cela commence souvent par un geste « d’abord une audace : j’ose ». « Le geste intime opère une brèche dans cette frontière invisible par laquelle chacun se garde et s’appartient. » Geste pénétrant, donc, par lequel chacun s’ouvre à l’autre, ouvrant ainsi l’espace de l’intime, où chacun découvre aussi « ce plus profond que soi, et qu’on tient à l’abri des autres ». Et c’est là sans doute la réflexion la plus stimulante de François Jullien par rapport à la pénétration : l’espace intime, qu’il situe « loin du bruyant Amour » – « "je t’aime" réduit l’autre à n’être qu’un objet », cette ressource de l’intime qui s’ouvre par la pénétration de l’un en l’autre permet à chacun – chacun pour soi – de pénétrer plus avant, plus profondément en soi, découvrir « cet Autre ou cet Extérieur à soi sur lequel ouvre l’intime au plus profond de soi ».

Nous retournons là à cette définition de la pénétration évoquée au départ : « compréhension en profondeur des choses complexes » synonyme d’intelligence – nouvelle intelligence de soi, pénétration en soi, découverte de cette part mystérieuse, étrangère à soi-même, se trouvant pourtant au plus profond de soi, dans cette relation particulière à l’autre, que chacun s’autorise, dont chacun devient l’acteur, l’actrice.


[1] Définition du Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales.

[2] Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales.

[3] Légifrance – le service public de la diffusion du droit.

[4] De l’intime – Loin du bruyant amour, François Jullien, Grasset & Fasquelle, 2013.

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