Je viens de voir Cirkus Columbia, de Danis Tanovic, et ce film m'a bouleversé.
C'est un village de Bosnie, en 1991, peu avant la guerre. Le réalisateur filme une femme qui se fait expulser de sa maison simplement parce que deux hommes l'ont décidé autour d'un verre de whisky, et l'on sent passer quelque chose de la violence qui sourd et ne demande qu'à éclore…
Cette guerre m'a profondément marqué. Et ce film très doux est un beau rappel.Alors je me suis souvenu. Et les souvenirs, ça vient comme ça vient, un peu dans le désordre....
D'abord, j'avais lu, il y a quelque temps, l'interview de Rony Brauman, sur les bombardements en Libye. Cet article m'avait déplu, sans que je puisse vraiment me l'expliquer. Je n'étais pas franchement d'accord avec lui, mais c'était plus profond.
Rony Brauman parle beaucoup de mémoire, il dit qu'il faut se souvenir de l'Irak et de l'Afghanistan, pour critiquer les bombardements en Libye. Il a raison, bien sûr, de nous appeler à nous souvenir. Mais précisément, ce faisant, il oublie les bombardements de l'OTAN en Serbie, en 1999. Il ne les oublie pas vraiment, il les balaie, plutôt, négligemment. "Le Kosovo, si ce n'est pas un échec total, est loin d'être une réussite" dit-il. Peut-être que ce ne fut pas une réussite, mais je me souviens, moi, que ce qui les a rendus possible, ces bombardements de l'OTAN en Serbie en 1999, c'est, entre autre, le massacre de Srebrenica en 1993.
La guerre en Yougoslavie nous a montré beaucoup de choses, elle nous a notamment montré l'impuissance de l'ONU et de la communauté européenne à empêcher le retour du crime contre l'humanité en Europe.
Et s'il y a une chose que nous ne devrions pas oublier, je crois que c'est bien celle-ci.
Je me souviens, en 2007, avoir pris le soin de noter les paroles d'un journaliste de France Inter, tant elles m'avaient sidérées. Ces paroles sont, selon moi, représentatives d'une forme d'amnésie européenne. Il disait donc, ce journaliste, dans l'émission Transeuropéenne, en 2007 : "Que serions-nous aujourd'hui sans cette Europe qui nous apporte depuis un demi-siècle la paix, la liberté et la solidarité, un demi-siècle, c'est historique sur ce continent, un demi-siècle sans guerre, un demi-siècle où l'on se parle, on négocie, on apprend à vivre ensemble.." Il disait ceci, alors qu'à La Haye, quelques magistrats se sont battus (et se battent encore) pour tenter de faire comparaître des responsables de crime de guerre et de crime contre l'humanité au Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie. Je ne comprends pas comment il est possible d'oublier si rapidement cette guerre qui a eu lieu si récemment en Europe.
Alors oui, je crois que ce qui m'a profondément gêné, dans l'interview de Rony Brauman, c'est cette référence à l'oubli qui me faisait paradoxalement me souvenir de cette profonde amnésie européenne. Ce film, Cirkus Columbia, me l'a salutairement rappelée.
Une autre chose dont je me souviens également : les populations civiles massacrées en Bosnie étaient très majoritairement Musulmanes…