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Billet de blog 31 mai 2014

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PMA – paradigme de l'errance progressiste

Sous couvert d'un progressisme affiché de bon aloi, la revendication des associations de femmes homosexuelles d'accéder à la PMA s'inscrit en réalité dans un mouvement de révolution conservatrice.

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© Seo Young-Deok

Pour rendre à cette revendication une dimension réellement progressiste, il faut la déprendre de ce mouvement de révolution conservatrice dans laquelle elle s'enferre.

Ce n'est pas en elle-même que cette revendication des couples de femmes homosexuelles est conservatrice, mais bien par le mouvement dans lequel elle est inscrite, mouvement qui révèle, pour qui prend le temps de s'y attarder quelque peu, sa nature profondément conservatrice.

Car que des couples de femmes puissent avoir accès à la PMA, rien de conservateur là-dedans. Je manifesterai volontiers avec les associations homosexuelles pour que ces femmes accèdent à ce droit – à la condition pourtant que cette revendication se réinscrive dans une dimension réellement progressiste.

Je vais tenter de dire en quoi les associations homosexuelles participent selon moi à un mouvement de révolution conservatrice.

Il y eut d'abord la loi concernant le mariage des couples homosexuels, à laquelle était associée cette revendication concernant la PMA. Face au mouvement réactionnaire de la droite traditionaliste et de l'extrême droite, le débat sur la PMA fut repoussé vers la loi sur la famille. Puis à nouveau sous cette pression traditionaliste et extrémiste, la loi sur la famille laissa de côté cette revendication, faisant dire à nombreux progressistes que c'était un renoncement du gouvernement. Du fait de cette mobilisation réactionnaire particulièrement virulente, celles et ceux qui doutaient de la nature progressiste du mouvement furent contraints de se taire. Cette question de la PMA occupe de manière récurrente l'espace médiatique pratiquement depuis l'élection de François Hollande à la présidence de la République. Dans la séquence, le premier élément de ce mouvement, l'accession au mariage des couples homosexuels est d'ailleurs parfois désigné comme la seule véritable avancée progressiste de ce gouvernement en deux ans. Je crois qu'il n'en est rien. Le retour au mariage, sous quelque forme que ce soit, ne peut être considéré comme une avancée progressiste, sauf à se leurrer sur l'idée même de progressisme.

Qu'est-ce que le mariage, sinon l'institution de la sexualité autorisée à visée reproductrice ?

Qu'est ce que le mariage sinon l'institution dont notre société s'est toujours servie pour affirmer le lien entre la sexualité et la procréation ?

Que les associations homosexuelles militent pour le droit des homosexuels à se marier entre eux est de ce point de vue déjà surprenant, pour ce que cela implique de volonté d'aller s'enfermer dans cette institution, dont beaucoup ont par ailleurs dénoncé le caractère morbide pour le désir. « Moi aussi, je veux un mariage chiant » revendiquaient-ils dans un trait d'humour particulièrement révélateur. L'institution du mariage a toujours eu vocation à encadrer la sexualité des individus pour l'attacher à la question de la reproduction.

Et voilà que les associations homosexuelles enfoncent le clou, en quelque sorte, et affirment que c'est bien cela que les couples homosexuels qu'elles représentent recherchent : se marier pour faire des enfants, entrer dans l'institution du mariage et relier leur sexualité à la reproduction.

Bien qu'étant né moi-même en 1968, je ne crois pas me tromper en disant que la révolution sexuelle des années 60-70 était portée par le désir d'un horizon à l'exact inverse de cela. Il y était question d'enfin séparer la question de la sexualité de celle de la reproduction. Les femmes et les hommes de cette époque voulaient s'affranchir du carcan du mariage, et de ce que cela signifiait d'une visée procréatrice de la sexualité. Les femmes particulièrement le revendiquaient, elles qui étaient, bien davantage que les hommes, enfermées dans le mariage.

Considérant cela, la manière dont est aujourd'hui traitée la question de la PMA m'évoque un tournant conservateur : une volonté de faire revenir la sexualité dans le giron du mariage, avec ce que cela signifie de visée reproductrice. C'est en cela que cette question de la PMA est paradigmatique de l'errance progressiste.

L'errance progressiste, oui, c'est-à-dire l'avancée aveugle de la gauche aujourd'hui. Une gauche qui n'imagine, ne dessine plus aucun horizon nouveau pour l'humanité. Une gauche qui ne fait en l’occurrence que laborieusement ravaler la façade de l'institution conservatrice du mariage en plâtrant dans ses fissures de faux semblants progressistes qui auront tôt fait de s'effriter. Une gauche qui essaie de faire entrer aux forceps dans l'institution du mariage différentes formes de sexualité, révélant par là son incapacité à imaginer un ailleurs du mariage.

Pour reprendre cette question de la PMA, je ne comprends pas comment celles et ceux, de gauche et de bonne foi, qui désirent inventer un projet de société tourné vers l'avenir, en arrivent à poser le débat sur la PMA en ces termes : pour ou contre l'accès à la PMA pour les couples de femmes homosexuelles et les femmes célibataires.

Pourquoi ne pas considérer d'abord en quoi cette question – la PMA – pourrait nous aider à repenser notre société, en tenant compte des avancées de la science, et de fabriquer de l'universel à partir de là  ? Fabriquer de l'universel, n'est-ce pas là le moteur fondamental du progressisme ?

La PMA, c'est une révolution. Une révolution déjà ancienne, oui, mais qui comporte une dimension inouïe non explorée. L'inouï de la PMA, c'est qu'il n'y a pas besoin de relation sexuelle pour faire des enfants. C'est une évidence dont nous n'avons pas encore su mettre à jour la richesse.

Comme l'écrivait Hervé Glévarec dans Le Monde « Ce qui apparaît inouï c'est qu'un sujet puisse dorénavant, et c'est le cas dans le réel, avoir trois mères différentes (biologique, gestationnelle et sociale) et deux pères (biologique et social). »

Comment se fait-il que le débat sur la PMA ne parte pas de là ? Comment se fait il que le débat sur la PMA ne parte pas du sujet de la PMA, c'est-à-dire de l'enfant né de la PMA ? Des enfants nés de la PMA, il y en a déjà beaucoup, de plus en plus. Beaucoup sont aujourd'hui des adultes. Et que disent-ils, ces adultes ? Dans quel sens irait le progrès, selon eux ? Eux qui vivent dans leur chair la réalité de la PMA ? Si nombre d'entre eux ne disent rien, la grande et claire revendication qui monte d'associations d'adultes nés avec recours à la PMA, dans de nombreux pays, est celle qui concerne la levée de l'anonymat des donneurs de gamètes (ovocyte ou spermatozoïde).

Au nom de quoi, en France, oppose-t-on une fin de non recevoir à cette revendication ? On dit rapidement, cela risquerait de dissuader les donneurs – même si, d'une part, c'est loin d'être vérifié dans les nombreux pays ayant déjà levé l'anonymat (Suède, Suisse, Autriche, Islande, Norvège, Pays Bas, Royaume Uni, Finlande, Belgique...) et d'autre part, ce n'est évidemment pas un argument recevable. Si cela risque effectivement de décourager des donneurs, c'est qu'il faudrait peut-être trouver de nouvelles manières de les encourager, plutôt que de dire à ces associations d'êtres humains nés avec recours à la PMA de se taire.

Aussi, toujours pour justifier ce refus, on avance un bien curieux argument, adressé à ces adultes nés avec la PMA... un bien étrange argument qui prend la forme d'un soupçon... Ils voudraient davantage, ces enfants nés avec la PMA, que mettre un visage sur le donneur de gamète. Ils voudraient peut-être de l'amour, aimer ce donneur et être aimé de lui, réclamer un héritage, s’immiscer dans sa vie de famille... J'avoue avoir du mal à prendre au sérieux celles et ceux qui portent ce genre de soupçon et s’appuient dessus pour maintenir l'anonymat. Se rendent-ils bien compte que ce qu'il craignent, ici, ce qu'ils veulent empêcher, c'est une rencontre entre deux adultes ? Se rendent-ils compte que ce qu'ils révèlent, par cet argument tordu, c'est la force de leur conservatisme ? Leur incapacité à imaginer qu'il puisse y avoir entre ces donneurs de gamètes et ces adultes nés avec recours à la PMA, une relation d'une autre nature qu'une relation familiale ? Sont-ils à ce point marqués par le mariage et la famille, de ne pouvoir imaginer cette relation d'une nature nouvelle, sans autre engagement que celui d'une reconnaissance mutuelle ?

Car pourquoi ces adultes aujourd'hui, enfants nés de la PMA demandent-ils à avoir le droit de connaître l’identité du donneur de gamète ? Pour l'aimer ? Pour lui demander de l'aimer ? Pour lui réclamer une part d'héritage ? Pour se placer en rivalité avec les enfants éventuels du donneur ? Non. Ils souhaitent simplement mettre un visage à la place de ce point aveugle de leur identité, cette partie manquante à la reconnaissance de leur propre visage. Sur le site PMA, le témoignage d'une jeune femme le dit remarquablement bien : « quand je me regarde dans la glace (...) mon visage me brûle » Une autre le dit aussi clairement : « Je voudrais simplement voir une photo. Mettre un visage sur celui qui a permis de me donner la vie. »

Et au lieu d'avoir la simplicité de lever l'anonymat des donneurs de gamètes, on préfère continuer, en France, à interdire cette rencontre entre adultes, en se cachant au besoin derrière son petit doigt. Comme le disait une banderole photographiée par Cartier-Bresson « Enfoncer leur tête dans le sable n'a jamais empêché les autruches de se faire botter le cul. »

Cet interdit est maintenu au nom d'une vision conservatrice de la famille, soutenue aujourd'hui par une gauche qui ne sait plus ce que signifie le progressisme.

La famille traditionnelle est en crise. Cette institution, dont la fonction est de circonscrire la sexualité pour la lier à la procréation, se décompose depuis de nombreuses années. Et que tente notre gouvernement progressiste ? De la restaurer, ni plus ni moins.

Or, plutôt que de vouloir ainsi faire entrer aux forceps les différentes formes de sexualité dans l'institution matriarcale et familiale, ne serait-il pas temps d'enfin ouvrir la famille au monde ? D'en finir avec cette clôture de l'espace familial qui prétend exclure de l'identité des enfants toute autre personne que celles et ceux qui effectivement couchent, ou ont couché ensemble ? Ne pourrait-on pas progresser sur ce chemin ouvert dans les années soixante, qui se proposait de dissocier, pour ce qui est de l'être humain, la sexualité de la procréation ?

La revendication de ces enfants nés avec la PMA a une valeur universelle, car elle porte sur cette relation d'une autre nature que familiale entre le donneur de gamètes et la personne humaine née avec recours à la PMA. Et c'est en cela qu'elle est passionnante et qu'elle m'intéresse bien davantage que cette révolution conservatrice dont nombre de pseudo-progressistes se gargarisent aujourd'hui

Cette portée universelle quelle est-elle ? Elle se propose de prendre en compte l'inouï d'aujourd'hui. L'inouï d'aujourd'hui, ce n'est pas vraiment, à mon sens, qu'un enfant puisse avoir trois mères et deux pères. Car dire les choses comme cela, c'est encore s'en tenir au modèle familial. L'inouï d'aujourd'hui, par la PMA, c'est qu'il n'est plus nécessaire de coucher ensemble pour faire des enfants. L'inouï d'aujourd'hui, c'est qu'une personne n'ayant aucun projet parental, aucune relation d'amour, puisse, à l'extérieur de la relation d'amour, participer à la naissance d'un enfant. L'inouï d'aujourd'hui, c'est que la clôture familiale est tombée.

Pour reprendre le mot de Gide « Famille, je vous hais ! foyers clos, possessions jalouses du bonheur », je crois que ce n'est pas la famille qui est haïe en tant que telle par notre société du démariage, mais sa clôture jalouse et ce qu'elle a toujours signifié de morbidité pour le désir. Comment ne pas entendre un écho à cette clôture jalouse dans le refus paré d'arguments fallacieux d'accorder aux adultes nés avec recours à la PMA le droit de connaître le visage du donneur de gamètes ?

Dans la revendication des adultes nés avec la PMA, j'entends la demande d'une prise en compte du fait que la clôture familiale est tombée. C'est en cela que cette revendication a une portée universelle. Grâce à la PMA, l'espace familial n'est plus clos. Il est ouvert sur l'extérieur. Le donneur de gamètes, homme ou femme, est hors de la famille, il n'est pas un père ni une mère de plus, mais il participe indiscutablement à l'identité de l'enfant. C'est une réalité absolument nouvelle.

Notre société peut se réinventer à partir de là. Nous pouvons nous remettre à penser l'universel en acceptant de prendre en compte cette absence de clôture de l'espace familial. Cela nous conduirait probablement à repenser la notion de communauté. La notion de communauté humaine. Ces hommes et ces femmes nés avec la PMA, qui demandent à mettre un visage sur le donneur de gamètes, nous y aident par leur revendication. L'espace familial des donneurs n'est pas menacé par cette demande, pas plus que l'espace familial des adultes nés avec recours à la PMA. La menace sur l'espace familial n'existe que si on considère la famille comme un espace clos, elle disparaît lorsqu'on la considère comme ouverte.

Je n'ai personnellement plus aucun projet d'enfant, et je veux bien en aider d'autres à avoir des enfants. Si ces enfants devenus adultes viennent ensuite me voir, quel problème ? Nous irons boire un verre ensemble. Ils ont leurs parents et j'ai mes enfants. Nous nous rencontrerons dans cet espace ouvert, nous qui ne considérerons plus nos familles comme des espaces clos. Il y a là du nouveau, de l'inouï pour la communauté.

Une communauté ouverte qui se pense à rebours des espaces clos du communautarisme dans lesquels nous sommes si souvent pris, qu'il soient familiaux, sexuels, religieux... la liste serait longue de ces espaces clos dans lesquels, par paresse de pensée, nous nous laissons enfermer.

Les associations homosexuelles, en se plaçant à côté des adultes nés avec recours à la PMA, qui luttent pour la levée de l'anonymat des donneurs de gamètes, ont là une merveilleuse occasion de donner une dimension universelle à leur juste revendication de faire des enfants avec recours à la PMA.

Je les rejoindrai alors avec joie dans leur lutte.

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