Un quinquennat de régressions sociale, écologique et démocratique
Dès l’été 2017, avec la suppression de 5 euros d’APL pour les plus pauvres et la fin de l’ISF pour les plus favorisés, Macron concrétisait son projet de « président des riches ». La Loi Travail, les cadeaux fiscaux aux grandes entreprises, le green washing du « make our planet great again », les petites phrases méprisantes à l’égard des gens qui ne sont rien… ont creusé le fossé entre la France de la « start up nation » et les autres, ceux qui sont à la traîne, au bout de la cordée. Le mouvement des Gilets Jaunes fut le moment paroxysmique de cet écart, et la sortie de crise par le Grand Débat n’a été qu’une immense opération de communication pour désamorcer les attentes en termes de justice sociale, démocratie et écologie. « La politique, ce n’est pas de résoudre les problèmes, mais de faire taire ceux qui les posent », disait Henri Queuille. L’opération de com’ côté pile, les tirs de LBD côté face. La deuxième partie du quinquennat, avec un projet de réforme des retraites présenté comme un « progrès social » par la Macronie, et la gestion liberticide de la crise du COVID (pass sanitaire, « j’emmerde les non-vaccinés »…) ont terminé de dévoiler le vrai visage du président.
Les Français opposés à Macron ont su développer des mouvements sociaux puissants et parfois innovants, notamment lors du surgissement des Gilets Jaunes. Mais comme le souligne Geoffroy de Lagasnerie (Sortir de notre impuissance politique, 2020), depuis des années les mouvements sociaux perdent car ils agissent en réaction aux réformes du gouvernement qui fixe les termes du débat, les sujets et surtout la temporalité. Or, « nous ne pouvons retrouver une gauche active qu’à condition de sortir de la « pensée dé- » ». Nous vivons un épuisement collectif permanent dans la « réaction à », avec peu de victoires. Et si victoire il y a, il s’agit en général d’une reculade du gouvernement (par exemple le retrait du CPE en 2006) et non d’une conquête sociale.
Force est de constater que ce ne sont pas les organisations politiques et syndicales qui ont constitué le principal obstacle à la politique de Macron. Ils n’ont pas su imposer leur temporalité et occuper suffisamment les espaces géographiques, médiatique et numérique. Jean-Luc Mélenchon et la France Insoumise ont tenté de structurer ce type d’opposition, mais elle n’a pas totalement fonctionné durant le quinquennat pour différentes raisons internes et surtout externes au mouvement. Seuls les Gilets Jaunes ont pu faire trembler le pouvoir et la temporalité du gouvernement, en sortant des règles établies par le pouvoir libéral et en occupant l’espace. La grande multitude de néophytes qui participaient au mouvement a donné une certaine fraicheur et [leur] aura laissé un temps l’illusion que tout était possible. Beaucoup n’avaient en effet pas intériorisé la culture de la défaite propre aux organisations de gauche, depuis les années 1980. Or, en renvoyant dos à dos les manifestants et le gouvernement, et en condamnant « toutes formes de violence dans l’expression des revendications » (déclaration du 6 décembre 2018), les principales organisations syndicales à l’exception de SUD ont manqué un tournant historique : l’ébranlement possible de la V° République et une réécriture des règles du jeu démocratique. Les partis politiques, à part la France Insoumise ou le NPA, n’ont pas vu ou n’ont pas voulu voir (car le mouvement leur échappait) l’importance du moment et l’espoir qui se dessinait alors. La gauche syndicale et politique a raté le rendez-vous avec un mouvement populaire sans précédent et une réconciliation possible entre les classes populaire et moyenne (pour aller vite), socle indispensable au bloc de gauche, selon Bruno Amable et Stefano Palombarini (L’illusion du bloc bourgeois, 2017).
Que faire maintenant ?
Le quinquennat est passé. Les blessures et les divisions parmi les forces d’opposition à Macron sont nombreuses. Des syndicalistes qui représentent les intérêts des travailleurs se sont opposés à des politiques de gauche qui mènent le combat contre les politiques de Macron (Martinez / Mélenchon par exemple). Des syndicalistes et des politiques de gauche ont critiqué et/ou condamné le mouvement des Gilets Jaunes. Parmi ces derniers, certains (une infime minorité) ont refusé de prendre part à des combats identifiés comme syndicaux (la réforme des retraites), arguant que les syndicats à l’époque ne les avaient pas soutenus, et d’autres (plus nombreux) ont brandi leur apolitisme comme étendard.
Après tout cela, que faire ? Avant tout, réfléchir au programme qui permettrait d’avoir un avenir social, écologique et démocratique, qui serait l’antithèse du « projet » macronien. Un programme qui permettrait de « se figurer » un autre modèle, positif, réellement communiste, selon la réflexion que propose Frédéric Lordon (Figures du communisme, 2021). « Pour être imaginairement, puis politiquement viable, le communisme doit tout se réapproprier. Il doit même revendiquer le luxe – puisque lux c’est la lumière […], lumière dans l’existence ». Ainsi, la figuration d’un idéal communiste, libéré des représentations négatives du passé, doit être un préalable. L’Avenir en Commun, programme de l’Union Populaire de Jean-Luc Mélenchon, figure aujourd’hui cet idéal.
La réalisation de celui-ci ne peut se faire qu’en conjuguant des forces politiques, syndicales et citoyennes – dont certains mouvements ont comme mode d’action la « sortie du cadre », à l’instar des Gilets Jaunes ou des zadistes. C’est ce spontanéisme fertile – dans l’opposition – qu’il faut parvenir à associer avec le temps politique des élections présidentielles. Celles-ci, quoi qu’on en pense, fixent une partie des règles pour les 5 années à venir. Elles permettent d’éviter l’action / réaction des manifestations à répétition (qui ont leur légitimité, mais qui s’enferment trop souvent dans un rituel défaitiste). Et donc de s’économiser pour réfléchir et construire un autre modèle.
Or les élections présidentielles françaises reposent sur une hyper-personnalisation de la vie politique, avec des candidats qui incarnent plus ou moins une vision de la société. Sur les douze hommes et femmes politiques, seuls deux peuvent (pensent) gagner. Emmanuel Macron, en rassemblant son bloc bourgeois issu de la « gauche sociétale » et de la « droite libérale » (cf Bruno Amable et Stefano Palombarini). Jean-Luc Mélenchon, s’il parvient à réunir les classes populaire et moyenne, autour d’un discours qui mêle défis démocratiques, sociaux et écologiques. Parmi les autres candidats, certains jouent la survie pour les législatives et la recomposition (Roussel, Hidalgo, Jadot). Quant à Marine Le Pen, elle mène son baroud d’honneur, tandis qu’Eric Zemmour joue la partie d’après (2027), pour lui ou un.e autre (Marion Maréchal ?).
Pour la gauche : Mélenchon… ou une pièce de plus dans la machine ?
Objectivement, personne à part Jean-Luc Mélenchon ne peut gagner à gauche. Il porte le programme le plus sérieux, détaillé et peaufiné. Sa personnalité – souvent décriée et considérée comme un problème – est aussi un atout de par sa notoriété, son charisme et sa force dans les débats et meetings. Crédité de 15 % deux semaines avant le premier tour des élections, il a su rassembler des dizaines de milliers de personnes à Paris ou Marseille, et des centaines de personnalités dans le Parlement Populaire. C’est aujourd’hui la seule chance pour la gauche. L’unique rempart au macronisme. Le seul espoir d’un autre monde possible.
Sinon, c’est un quinquennat libéral de régressions sociale, écologique et démocratique de plus. Et il faudra attendre l’émergence d’une nouvelle hégémonie culturelle de gauche, selon la pensée d’Antonio Gramsci. Or, la droite libérale et plus ou moins conservatrice a mis 40 ans pour accéder à cette hégémonie culturelle, selon Frédérique Matonti (Comment sommes-nous devenus réacs ?, 2021). Le spectre médiatique actuel en est un excellent exemple : c’est celui-ci qui impose la temporalité et les débats centrés sur la dette ou la question migratoire-sécuritaire-islamo-gauchiste…). Nous sommes dans un moment politique de basculement. L’offensive d’un bloc de gauche peut se mettre en route avec ces élections. Le « bloc bourgeois » macronien (cf Bruno Amable et Stefano Palombarini) et le « bloc réactionnaire » (qui est tout aussi libéral d’un point de vue économique) peuvent être fissurés et battus car s’il se mobilise, le bloc de gauche est majoritaire. Si nous n’y parvenons pas aujourd’hui, il faudra peut-être 40 ans à la gauche pour reconquérir cette hégémonie culturelle, nécessaire à toute conquête du pouvoir et donc à tout changement politique.