«On va faire un effort considérable sur la vidéo surveillance, un moyen moderne de protéger les Français… » Le président de la République.
Il semble qu’un rapport de Scotland Yard sur la vidéo surveillance donne tord à notre président au moins sur ce sujet. Mais, là n’est pas la question. Après tout pourquoi ne pas raisonner par l’absurde et poser comme principe qu’il faut ces fameuses caméras.
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➀ Voilà la frontière du légal et de l’illégale qui se déplace car il faudrait être assez considérablement idiot, impulsif ou inattentif pour commettre ses forfaits en plein champ. Donc, c’est hors champ que la délinquance s’accroit. C’est dans les limites tracées par l’œil de la caméra que le péquin moyen qui aura su refouler très au fond de lui-même la violence nécessaire à la transgression des lois, ne commette pas son agression et reste dans la légalité. Non seulement nous n’existerons plus sans empreintes devenues contraintes mais, qui plus est, nous serons jugés sur la trace devenue forcément trahison que nous aurons laissée. On ne sera vraiment légal que par l’image, la représentation que nous laisserons de nous-mêmes. Hors champ point de salut !
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➁Voilà l’espace jusqu’à présent public dédié à la numérisation. Rue, artères, parcs, rives de rivières ou de fleuves, tous et toutes seront irrémédiablement enfouis dans la masse des déchets informationnels à recycler. Nous nous promènerons dans une survivance pré-virtuelle, un espace pré-dégradé, un prêt-à-scanner.
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➂Voilà l’emprise ! Pas l’œil de Moscou ou big Brother, non l’emprise, la précaution partout, le potentiel de délinquance de tel ou tel morceau de ville évalué et quadrillé, sous traité, loué, pixellisé. L’attention générale portée sur tous mouvements hors du champ privé.
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➃Voilà l’impossibilité d’imaginer Notre-Dame-de-Paris, Nadja, Rocambole, Lacenaire, Baptiste, Garance, le changement d’atmosphère, la vente du New York Herald Tribune sur les champs Elysée, le fiacre de Mm de Guermantes, la démarche distinguée du baron de Charlus. L’imagination qu’il faut pour se promener dans les rues sera captée, autant dire enfermée, étouffée. La vie deviendra une prise permanente. Nous serons enfin les acteurs de l‘histoire, les acteurs locaux, les acteurs de terrain. Tout le temps à jouer, tout le temps en représentation, tout le temps à se demander ou pas si l’on a la mine qu’il faut ou bien comment on est de dos, si la démarche n’est pas trop mauvaise.
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➄ Nerval ne pourra plus se pendre rue de la Vieille Lanterne.
➅ Seules, folles et dernières espérances, la panne généralisée et irréversible d’électricité, la fusion destructrice des réseaux d’énergie, la foudre sur le central de télésurveillance.
Pour, dans l’angle enfin partout définitivement mort
Entendre et aimer aveuglément
Mon pauvre enfant ta voix dans le bois de Boulogne