Le Littré, Edition du cap, Monté Carlo, belle couverture noire, un cadeau de mon père: je le fouille, le farfouille et n'en crois pas mes yeux. Je relis les colonnes et les lignes à la lettre "e" suivi du "c", du "o": néant. Le mot écologie n'existe pas pour le Littré cuvée 1970. Je re-regarde. Rien, vraiment rien. C'est amusant de penser qu'un mot inventé au 19 ème siècle, vers 1850/60, un siècle plus tard n'est pas reconnu comme mot par le plus prestigieux des dictionnaires.
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Pour ce venger, "écologie", le mot, est aujourd'hui sur toutes les lèvres. Incontournable. C'est quoi cette vengeance? je me dis. C'est quoi ce mot rancunier qui nous impose sa présence massive, partout, tout le temps; qui entre dans ma vie par la porte principale, par la fenêtre, par le radiateur, les fils électriques, le gaz, la toiture, la poubelle, le petit déjeuner, la balade du week-end, les gamins qui reviennent de l'école etc.? C'est quoi ce substantif qui envahit ma vie, cette épée de Damoclès sur et dans la tête de notre toute petite humanité et dans la mienne?
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J'ai vu le film de Hulot qui n'est pas vraiment son film mais dans lequel il parle tout le temps. Il dit qu'il a peur, très peur. Loin du personnage de la télévision qui parlait goulûment de la "séquence émotion", Hulot au cinéma, c'est un type qui a une vision très noire des choses dès que l'homme y est. Quand il passe à la télé dans son émission il retrouve son regard émerveillé sur des paysage, des territoires où il n'y a plus d'humain comme acteur. Il n' y a plus que les animaux dans le regard de femmes et d'hommes avec leurs caméras et leurs micros, des Hommes spectateurs adorateurs inoffensifs de la nature. Hulot dans son "syndrome du Titanique" se fait christique. Il prend sur lui la folie consumériste. Il se demande comment il va s'extraire lui-même du mode de vie actuel qui nous fait courir à la catastrophe. Il y a du millénarisme dans ce film discursif. Comme si on n'avait jamais connu de grande catastrophe!!! Hulot ne semble pas penser à Auchwitz. Il y a quelque chose de très sincère et un appétit de découvertes très séduisant dans ses propos. Et puis il y a quelque chose de très ignorant, un trou, peut-être le trou de sa peur millénariste dans lequel il perd la mémoire. Il y a un angle mort à sa caméra-état-d'âme qui lui fait oublier la Shoa. On n'est pas tout le temps obligé de parler de la Shoa mais quand on parle de catastrophe il faut poser quelques références pour garder la tête froide, réfléchir et agir. Une fois qu'on se rappelle d'où l'on vient tous, il n' y a pas si longtemps, c'est plus simple d'avoir moins peur.
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Donc le mot écologie se venge d'avoir été oublié en 1970 dans le fameux dictionnaire Littré. On doit changer nos modes de vie. On doit se dire que le geste qu'on fait, le voyage qu'on effectue doit faire le moins possible de saletés carbone. C'est très dure parce que on est des animaux qui avons beaucoup besoin de "salir pour s'approprier" (M. Serres). On doit lutter contre notre nature, la seconde comme dit Pascal, c'est-à-dire la coutume. Il faut changer de seconde nature. Ça! c'est une très grosse vengeance du mot écologie.
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La planète risque de mourir. Là, c'est très grave bien entendu. C'est grave pour nous et notre descendance mais aussi grave pour tout ce que l'univers contient à cause de l'effet papillon. Nouvelle révolution dans nos mentalités: il faut penser que ce qui est grave ne l'est pas seulement pour notre espèce mais aussi pour tout le reste dont nous ne sommes qu'une infime partie. Et puis il faut penser dans le temps. Pas le temps messianique des révolutionnaires celui qui n'arrive jamais, mais le temps de demain, celui dont on ne fera plus partie. Très dure aussi cette épreuve que nous inflige le "mot-oublié".
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Bon! tous ces changements m'inquiètent mais je vais me débrouiller avec. La vengeance du mot nous entraîne dans la complexité.
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Positivement, il y a enfin une expression concrète de l'intérêt général qui n'est pas seulement celui des humains mais qui est vraiment général, global, pour tous, que l'on soit bigorneau, marteau, beau mec, jeune jolie, vieille moche ou galaxie lointaine.
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Négativement, c'est encore un truc qui ne nous appartient plus. L'intérêt général n'est plus exclusivement le notre, plus exclusivement humain. On n'arrête pas d'être dépossédé dans cette histoire d'écologie. Je me méfie. Comment cette politique qu'il faut mener va-t-elle évoluer? On sent bien qu'on pourrait glisser facilement vers une sorte de nouvelle hétéronomie qui nous ferait marcher sur la tête au nom du risque de destruction totale. La vengeance du mot écologie pourrait nous produire un ou une dingue qui se prendrait pour un Adolphe ou un Sauveur. Ça pourrait se transformer en néo-camps, en néo-massacres. Mais je sais bien aussi que tout peut se transformer en la pire des choses que nous puissions inventer. Alors je vais essayer de faire face, d'assumer la vengeance du mot écologie en gardant un œil vigilant sur les éditions à venir du Littré afin d'y repérer le mot manquant qui voudra forcément un jour se venger.