LIKE A WINDSOR
Tu ouvres ton poste de radio. Tu es sur une station qui répète souvent les mêmes informations. Tu aimes bien cette station. Tu entends le nom Medvedev, et tout de suite, tu ne sais pas encore pourquoi, tu imagines les chapeaux de la Reine Elisabeth. Mm Windsor est une souveraine sans pouvoir. Tu n’imagines pas Medvedev avec les chapeaux de la Reine d'Angleterre sur la tête. Mais tu ne l'imagines pas non plus avec les pouvoirs d’un chef. Pas de chapeau, pas de pouvoir. Il y a du Windsor en Medvedev. Que veux-tu, « nul n’est soi-même, tout le monde est l’autre » (M. Heidegger, optimiste). Il y a du chef sans pouvoir chez cet homme que tu oses à peine dire d'Etat comme chez les indiens d’Amérique. « Il est si peu nécessaire au discours du chef d’être écouté que les indiens ne lui prêtent aucune attention »(P. Clastre « La société contre l’état »)
BACK IN USSR
Les discours, les cris de la troupe, les mouvements, les coups de canon, rien n'a manqué à la cérémonie d'intronisation du président de toutes les Russies. Tu étais dans la bagnole. Ça ne t'as pas manqué de ne pas voir le spectacle. Tu as pu entendre comme des “bruits de stade” à pleine oreille dans le poste, des bruits “tout militaire“. Il ne manquait plus que la musique et tu te serais cru à Santiago après le coup d’Etat et la mort d’Allende.
Poutine change de casquette mais garde intact son pouvoir sur ce que Staline appelait "les divisions" en s’interrogeant sur le pape. Il prend maintenant la tête de son parti ou plutôt le parti prend sa tête, son visage son front son corps, sa silhouette. Le parti devient lui. Il est maintenant là, "tout contre" son sémillant successeur, un peu comme s'il était une arme braquée sur la tempe du dauphin. En fait, il devient de plus en plus l’homme éternellement fort de la fédération Russie.
Voilà, tu penses que c’est peut-être le retour en arrière, l’involution négative, la reconstitution de l’ère soviétique du parti Etat. Vieux souvenirs de la Loubianka et du Goulag. Tu te remets à penser aux discours, aux cris, aux coups de canon du Kremlin.
C’est rétro, c’est ringard, c’est grandiloquent et misérable.
Follement rétro, follement kitch. Combien de morts, combien de prisonniers, combien de Tchétchénie(s) ?
MURDERER
Comme si les murs se reconstruisaient ou n’étaient jamais tombés.
Tu te dis que ce serait mieux que Medvedev ait un peu de courage démocratique, qu’il ne soit pas trop windsorisé. Tu te dis que décidément les russes sont un peuple difficile à comprendre. Tu vas dans la bibliothèque. Tu regardes un livre de Lénine, un autre de Trotski. Tu les regardes mais tu ne les touches pas. Et puis ton regard se déplace vers un pavé. C’est « Vie et Destin » de Vassili Grossman et juste à côté le Livre Noir dont il a réuni les textes avec Ilya Ehrenbourg à la suite d’une suggestion d’Albert Einstein. Tu avances ta main. Tu sors le livre et tu parcours quelques pages.
A nouveau tu repenses aux cris des militaires après l’allocution de Poutine. Tu repenses aux coups de canon. Combien y en avaient-ils ?
Au fond, tu penses à tout ça de loin et puis d’un seul coup tu te souviens d’un meurtre, mais tu as perdu le nom de la victime. Le souvenir, souvent, revient sous la forme d’un trou de mémoire. Tu vas sur Internet, tu tapes journalistes russe assassinée et le nom sort tout de suite : Anna Politkovskaia.