Quelque chose qui vient et qui n’est pas la fin totale d’un monde. Une surprise, une catastrophe, pire peut-être, un rien. C’est un corps frêle qui s’ébroue, une lumière étroite qui vacille, un cardigan ouvert sur une poitrine à vif. C’est une nuit noire engloutie par elle-même, dévorée par l’absence de lune, absence de reflet sur les vagues.
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Quelque chose qui s’avance lourdement et qui se veut une passante stagnante, un geste vitrifié, un doigt de caresses avec tellement de douceur que la peau se brise et part en eau croupie. C’est un bas de soie qui roule, seule, sans jambe à dénuder, un rouge à lèvre sans lèvre, un fard sans visage.
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Quelque chose qui s’appuie sur le vide, sur les cadavres qui remontent à la surface parce qu’ils ne veulent pas brûler en enfer ! C’est une chaîne de souffrances qui tentent un rictus collectif le long d’un couloir blanchâtre. Toutes se tiennent par la main.
Ils ne se perdent pas, les cris sourds et les cris aigus qui se suivent à la queue leu leu. Leurs cheveux tombent ; traces indestructibles de leur passage. Cheveux lourds de conséquence, lourds de regards gênés, lourds de mots prononcés à voix basse derrière leur dos, à la fin du dîner de famille ou de la promenade avec un ami de longue date qui se racle la gorge toutes les cinq minutes et attire une attention absente sur des machins naturels inacceptables parce que jolis: hirondelles, pensées, séquoias, cumulonimbus, lièvres, girolles. Les douleurs quelle qu’elles soient ne se perdent jamais. Elles suivent leurs poils abandonnés qu’aucun oiseau, fut-il corbeau ou vautour, ne viendra picorer. Nul ne peut les perdre dans la grande forêt.
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Quelque chose qui se tourne vers la boue dans la pluie. Un danseur nu, sans chaussure qui se frotte à un réverbère avec des sons qui sortent de sa bouche comme des asticots ou comme les mouches qui feraient irruption des trous de la main d’un christ cinématographique. Des sons de chanson gaie qui ne sont plus que de la poussière de bonheur illusoire. Des alignements mouvementés de fourmis sans têtes qui vont de la narine droite à l’orteil gauche en passant par les parties intimes chatouillées mais inertes, insensibles.
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Quelque chose de pétrifié qui dessinent des yeux une autre chose dans la crasse du plafond néon de la chambre mouroir. Cette autre chose qu’il faut, à nouveau, suivre du cœur comme une bohémienne suit la ligne de vie d’un double manchot. Intimité fer à béton rouillée, intimité qui ne se roule plus d’un bord à l’autre du lit. C’est comme la destruction d’un vieil immeuble par grignotage à la pelleteuse mécanique éléphantesque qui rugit et qui fume. Ça casse une cheminée, ça casse une baignoire, une cuisinière qui s’accrochait au mur avant de sombrer. C’est une écriture de gravats, de mouchoirs désolés, de bidets éventrés, des mots de toilettes à la turque au fond de la cour et de cacahuètes grillées sur le zinc à côté d'un verre à vin brisé.
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Quelque chose qui pourrit en nous, qui s’effondre et qui dégobille sur nos chaussures vernies.
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Quelque chose puis plus grand chose.
La fin comme maladie.
(cf l'article du Monde du 19 novembre 2008 p.4: "Dans l'UE, on vit "sans incapacité" jusqu'à 68 ans")