On pouvait penser qu'être un film c'était être emprisonné dans un livre, un scénario, un budget, un jeu d'acteurs, une technique, une temporalité et puis s'en libérer. Un film libéré de sa prison d'auteur, de sa servitude involontaire, de ses chaînes réalisateur, cinéaste, metteur en scène, producteur, distributeur, c'est-à-dire, un film dans la steppe, dans la pampa, dans Paris si petit, dans un train, dans la nuit, au pied d'une montagne, au bord de la mer. Un film sans personne qui le guide ou qui le suive, sans personne à côté. Un film abandonné sur une planète. Un film déchainé contre la mort d'une mère, contre des corps, contre des méchants, contre des enfants, contre la guerre. Un film aux pieds entravés par les chaînes d'une galère, d'un dieu, d'un ou de plusieurs amours.
Un film libéré, c’est-à-dire livré pieds et poings liés à l’imagination et aux fantasmes des amoureux des salles obscures.
On pouvait le penser.
Et puis il y eut cette trilogie qui voulut remonter le temps pour aller aux sources de son esclavage, de son génie tortionnaire. Au lieu de se laisser dériver sur les pensées des spectateurs, libre de toute contrainte, la trilogie a voulu dire ce qu'elle avait été avant le premier tour de manivelle, avant la toute première image de sa libération.
Il y aurait pu y avoir des millions de retours aux sources. Hélas, il n’y en eut que trois comme tout autant de films refus de se laisser emmener par les vagues enfantines des millions de spectateurs. Trois suites antérieures de films saturés de narrations, de chronologies, d'explications cohérentes, de généalogies. Des films avant les films enfermés en eux-mêmes comme de pâles copies d'eux mêmes. Des suites de film tueuses de liberté de penser, d’interpréter, de se souvenir de scènes qui n’auraient pas existé et de se remémorer un film qui n'aurait jamais été réalisé.