Voilà l'hypothèse: nous ne sommes plus collectivement là. Nous ne sommes plus collectivement dans le présent. Le collectif est passé ou à venir. Il n'est jamais dans la verticalité du temps. Il est un souvenir, une commémoration. Tous ensemble! Tous ensemble! ouhai! ouhai!. Il est une manifestation Bastille Nation, Bastille République et République Saint-Augustin, un voyage touristique à l'intérieur du mouvement ouvrier muséal. Il est le futur 1er mai 2009 qualifié d'historique. 2 899 000 fantômes selon les pompes funèbres générales. 1 500 000 selon l'institut médico-légal.
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Voilà, le collectif est un vœu pieux, pieu comme celui que l'on doit planter dans le cœur d'un vampire pour qu'il meure enfin. Une religion, une espérance d'avenir, une larme de passé, un crime de masse ou une masse de crimes.
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Dans la verticalité du temps, on est seul. Le collectif est resté scotché à la fin des années soixante. CRS-SS, ça gueule encore dans les oreilles! Connerie de vingt et un an (l'âge de la majorité en 68) qui avait déjà pas mal d'heures de vol. P'tit gris, feuille de papier cigarette à rouler, paquet de celtique, P4 Gauloise. Zypo à essence au capuchon métallique qui claque après avoir roulé sur la toile d’un Levy Strauss.
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Aujourd'hui t'es seul avec ton paquet de violence et d'aigreur, de bonheur, de sexe, d'amour peut-être aussi. Quat-quat rutilant, pneus continental brûlés. On s'additionne. On s'addictionne à la fausse Rolex ou aux imitations Prada, aux crocodiles et autres Ray Ban. Le marché qui monte, celui de la contre façon n'est que le miroir du nous absent. A côté du miroir face book, le fichier Edwige était une douce plaisanterie. Le nous miroir, le collectif virtuel, est une addition qui rate. Un plus un ne fait plus deux. 1+1, c'est 0101. Mais une opération qui nous traque, une division, qui nous scrute dans nos moindres particules de désir.
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Le collectif est devenu connectif (cf Joël de Rosnay). Ensemble en temps réel. Un post puis Enter et paf, t'as le connectif, le Nous façon windows ou linux, qui te tombe dessus ou qui t'ignore. On sombre vite dans l'horreur écarlate du blackberry muet. Pas de SMS, pas d’appel, personne ne t'aime. Le connectif te boude. Trop, il t’envahit. C'est le forfait temps. Le dernier forfait du temps, le vole de temps.
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Dans la rame, t’as la tête baissée sur ton i-phone avec deux boules Quiès électroniques dans les esgourdes reliées par un fil à une numérique machine. T’as le pouce qui bouge à toute vitesse sur ton écran tactile à côté d’une africaine effrayée, les joues creuses, qui serre son bébé contre elle avec entre les jambes un sac plastique à 0,70€ bourré à craquer de victuailles et de Pampers low-coast.
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Sur la quai du RER, station anonyme, un gars s'agite en survêtement à l'amerloque, la main dans la poche direction les breloques qui gratouillent. "Love is not a word of my vocabulary, baby. But if you want to fuck...". Poétique! Le gars tourne dans tous les sens en beuglant ses insanités. Lui est là, bien dans le présent sur le quai glacé dans l'attente d'un RER qui n'arrivera pas à temps. Voilà l'homme nouveau. Sweat, capuchon, couche culotte et baskets.
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Fucking machin, fucking machine. Voilà le temps instant. Appareil collé à l’oreille. Appareil dans l’oreille en permanence comme un sonotone pour mal entendant. L’excitation, la stimulation électrique, qui règnent en maître. L’attente permanente de l’incident, son désir peut-être, c’est le temps violent. Le temps « bouge ton corps ». Le temps « rien d’autre à défendre que sa peau et son territoire ».
Il y a aussi l’impossibilité de ne pas avoir les yeux rivés sur un écran (ordinateur, téléphone, télé, livre numérique, vidéo surveillance, écran d’information, affiche JC Decaux, 4X3 etc.). C’est le temps écran. Avec ou sans canette de bière t’es face à des autres, des nous électriques en mouvements : des réseaux, des flux, des individus « nuages de corrélations statistiques ». (R. Castel)
Le 1er mai 2009 sera historique : 3 500 000 connectés absent-présents.