Une jolie blonde longue, est debout au milieu d’un groupe de jeunes filles. Un groupe qui marche joyeusement comme s'il était au bord de la mer pris dans la gaité de la vivacité du vent. Ce sont des jeunes filles multicolores qui avancent dans leur époque cadencée par les flux RSS et qui, en même temps, semblent marcher doucement le long des sables du passé. Comme j'attends, je pense en voyant ces jeunes femmes qu’il s’agit, peut-être, de nouvelles Albertine et de nouvelles Andrée.
Pas le temps de rêvasser, du con…
Gare du Nord, j'attends mon train. Comme des milliers de voyageurs RER, je scrute les tableaux électroniques sur lesquels on m'annonce les horaires. Je tends anxieusement l'oreille pour ne pas louper le message du speaker qui va dire les minutes de retard. J'attends mon retard.
La blonde longue détache son corps du groupe. Elle s’en va. Je la suis des yeux. Elle avance lentement. Elle flâne.
La sonnerie tinte. Les portes claquent. La rame ronfle et s’ébranle. Je viens de rater mon « 18H24 ».
Faut pas regarder la jeune fille en fleurs.
Autour d’elle, c’est l’effervescence. La meute de dix huit heure trente est en pleine manœuvre. Dans tous les sens, les « hommes et les femmes trajectoires » se déplacent. Plus personne hormis cette blonde hors ligne ne se promène. Tout est mouvements et négociations. Les mots (quand il y a des mots) se font signaux de détresse, clignotants, aiguillages. À droite, à gauche. Stop, passez, attention, je repars. Les yeux sont électroniques, loupes, GPS. La bouche et les mains sont téléphones mobiles, écouteurs, casques, micro, pavés tactiles.
Parmi tous ces bolides qui tracent entre la ligne 4 et la ligne D, entre l’escalator et le portillon automatique, la blonde indolente dérive. Peut-être pense-t-elle à un rendez-vous tout à l’heure au vert galant ? En tous cas elle n’est pas là. J’ai beau essayé de la tenir prisonnière dans mes regards, elle est déjà trop loin. Son image est dans mes yeux mais son âme a disparu. Il reste son empreinte argentique, un négatif à développer plus tard dans la chambre noire de mes souvenirs.
Soudain…Parmi toutes les routes qui se croisent, toutes les traces de masses humaines en mouvement, parmi tous ces hommes-métro, ses sillages, je vois comme un amas de bras et de jambes. J’ai priorité, je suis pressé, je viens de la droite, vous deviez me laisser passer. La blonde vient de se faire percuter alors qu’elle oscillait sur la trajectoire d’un voyageur-banlieue. Manque d’attention de sa part, elle saigne du menton. L’homme-18H45, celui qui l’a renversée n’a rien. La sonnerie tinte. Les portes claquent. Il repart.
Fini les sables du passé, les jeunes filles en fleurs, le train lent. Fini les lucioles, les robes blanches et la vivacité du vent.
Voici les êtres-collisions.