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Billet de blog 26 juin 2025

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Iran : entre guerre, trêve et impasse. Chronique d’un peuple pris en otage

Quelques jours se sont écoulés depuis l’annonce d’un cessez-le-feu. Douze jours de guerre qui ont laissé un arrière-goût amer dans la gorge de tous les Iraniens. Un répit précaire est venu s’installer. Il ne s’agit pas d’une paix. Seulement d’un silence lourd, presque suspect. Car derrière cette trêve fragile, les questions s’accumulent, sans réponses. Par Ali Zare Ghanatnowi, cinéaste iranien en exil.

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Quelques jours se sont écoulés depuis l’annonce d’un cessez-le-feu entre l’Iran et Israël. Douze jours de guerre, brefs mais terriblement destructeurs, qui ont laissé un arrière-goût amer dans la gorge de tous les Iraniens — en exil comme dans le pays. Un répit précaire est venu s’installer, sans pour autant effacer l’odeur de la peur, du sang et des ruines.

Il ne s’agit pas d’une paix. Seulement d’un silence lourd, presque suspect. Car derrière cette trêve fragile, les questions s’accumulent, sans réponses. Tout ça pour quoi ? Qui a vraiment gagné ? Qui a vraiment perdu ? Et surtout, à quel prix pour le peuple iranien ?

L’écho d’une fatigue historique

Je sens en moi — comme chez beaucoup d’autres — qu’il y a quelque chose de nouveau qui est né… ou peut-être que quelque chose est mort. Ce sentiment étrange et ambigu, je le ressens à chaque nouvelle crise. Nous ne sortons jamais indemnes des catastrophes, même quand elles s’achèvent. Une part de nous se transforme, vieillit, se brise.

Nous avons l’impression de revivre toujours le même cauchemar. Un peuple pris dans l’étau d’un pouvoir autoritaire d’un côté, et de calculs géopolitiques cyniques de l’autre. Un peuple qui paie le prix des guerres des autres. Un peuple qui n’en peut plus.

Illustration 1
© Ali Zare Ghanatnowi

Un régime ébranlé, mais toujours debout

Ce dernier conflit a révélé quelque chose d’inédit : la façade de toute-puissance du régime s’est fissurée. Les grandes démonstrations de force, les menaces, les slogans militaires… tout cela s’est effondré en quelques jours sous la pression militaire israélienne. Et derrière la propagande, on a découvert la vérité : la corde du pouvoir des mollahs est en train de pourrir. Elle est fragile et prête à rompre.

Le Guide suprême lui-même s’est terré dans un bunker, caché sous terre pendant deux semaines. Certains hauts gradés ont été éliminés. Les Gardiens de la révolution, autrefois arrogants, sont soudainement silencieux. Le régime a vacillé — mais il ne s’est pas effondré. Et c’est là que l’amertume surgit.

Combien de temps encore pourra-t-il maintenir cette mascarade ? Jusqu’à quand pourra-t-il dissimuler sa fragilité derrière l’appareil répressif ? Le peuple, lui, sent que le vernis craque, et sa colère, longtemps contenue, menace désormais de tout faire éclater.

Un cessez-le-feu arrangé : entre Qatar et Washington

Le cessez-le-feu n’est pas né d’un élan humanitaire. Il est le fruit d’un marchandage. Et l’un des grands médiateurs fut le Qatar. Pourquoi ? Parce que certains pays du Golfe Persique, comme le Qatar, ont un intérêt direct à maintenir un Iran faible mais stable. Le champ gazier (de Pars Sud), que le Qatar exploite massivement depuis des années, devrait être partagé avec l’Iran, qui ne peut en tirer profit à cause des sanctions.

Il fallait donc empêcher que le régime tombe complètement. C’est pour cela que l’émir du Qatar est intervenu. Une paix prématurée, artificielle, imposée pour éviter une chute totale du régime, qui aurait bouleversé l’équilibre régional.

Trump, les affaires et l’ombre des tractations

Selon plusieurs rumeurs, c’est Donald Trump, qui aurait exigé ce cessez-le-feu. En échange de quoi ? D’un marché, probablement. Donald Trump ne s’intéresse ni à la démocratie ni aux droits humains. Il voit des dollars. Et pour lui, maintenir un Iran affaibli mais fonctionnel est plus rentable que de gérer une un changement de régime avec ses risques d’instabilité même si, transitoire.

Ainsi, l’Iran a été vendu. Et les Iraniens, trahis. Une fois de plus.

Une illusion de mieux être avortée

Les Iraniens ne croient plus en rien. Ni aux réformes, ni aux élections, ni à la révolution. Ce dernier conflit a achevé de briser le peu d’espoir qu’il leur restait. Même la guerre, pensent certains, n’a pas suffi à faire tomber le régime. Alors que reste-t-il ?

Cette frustration, cette fatigue morale, est une douleur nouvelle. Elle ne se soigne pas avec des discours. Elle se propage lentement, ronge le cœur et l’esprit. On dirait que, nous ne serons jamais délivrés de ce régime. Et cette pensée-là, répétée, partagée, devient une forme de désespoir collectif. Cependant, durant la courte période de cessez-le-feu, le régime a rapidement repris la guerre contre le peuple iranien et a intensifié les arrestations et les exécutions de ses opposants. Ce serpent blessé a été relâché, prêt à perpétrer un nouveau massacre dans notre progression.

Illustration 2
© Ali Zare Ghanatnowi

Une jeunesse en état d’alerte

Mais attention : ce désespoir n’est pas passivité. La jeunesse iranienne est à bout. Elle ne croit plus aux promesses. Elle veut des actes et elle est prête à exploser. Chaque crise est un déclencheur possible. Chaque humiliation, une étincelle.

La génération née après la révolution de 1979 a grandi entre répression, censure, sanctions et guerre. Elle ne rêve plus. Elle exige. Elle veut vivre, libre. Et si le monde ne l’aide pas, elle finira peut-être par tout brûler autour d’elle. Non par haine, mais par nécessité.

L’ingérence étrangère : ennemie du peuple

Les États-Unis, l’Europe, Israël, les monarchies du Golfe Persique… tous ont un discours sur l’Iran. Mais aucun ne parle vraiment au nom du peuple. Tous agissent pour des intérêts stratégiques : pétrole, gaz, nucléaire, sécurité régionale. Le peuple iranien ? Un dommage collatéral.

C’est un système mondialisé d’hypocrisie. On condamne les violences du régime… mais on négocie avec lui. On critique la répression… mais on signe des accords sous la table. Le peuple iranien est pris entre deux tyrannies : la sienne et celle des autres.

Créer, malgré tout

Et pourtant, l’Iran ne meurt pas… Il survit… Il résiste… Il crée. La culture iranienne, bien que censurée, continue de briller. Les artistes trouvent des chemins, les écrivains contournent les interdits, les cinéastes filment en secret. Chaque œuvre est un acte de résistance.

Dans les prisons, les détenus politiques écrivent. Dans les rues, les femmes défient les lois patriarcales. Dans les universités, les étudiants rêvent encore. Vivre en Iran aujourd’hui, c’est déjà résister. Et cette résistance est notre plus grande victoire.

L’exil : entre culpabilité et devoir

Nous, les exilés, portons une double peine. Celle d’avoir fui et celle de devoir témoigner. Nous vivons dans des pays libres, mais nos cœurs sont restés là-bas. Chaque nouvelle, chaque mort, chaque arrestation nous transperce.

Nous écrivons, filmons, parlons. Non par confort, mais par devoir. Il ne s’agit pas de faire carrière sur la souffrance, mais de transmettre une mémoire. De rappeler que derrière les statistiques, il y a des visages, des voix, des histoires.

Ne pas détourner le regard

Le régime iranien ne tombera pas par miracle. Il ne tombera pas sans douleur. Mais il tombera. Car aucun pouvoir ne peut survivre indéfiniment contre son peuple.

Mais pour cela, le peuple a besoin de soutien. Pas de bombes…Pas de sanctions aveugles... Pas de deals politiques... De lumière… De relais médiatiques… De reconnaissance.

Chaque fois que nous détournons le regard, nous trahissons un peuple. Chaque fois que nous restons silencieux, nous participons à l’oppression.

Ali Zare Ghanatnowi

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.