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Billet de blog 24 juin 2025

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Iran : entre la guerre et l’espoir fragile de liberté

Depuis chez moi en exil, en France, je vis au rythme d’un pays à feu et à sang. Le téléphone vissé à la main, le souffle suspendu à chaque vibration, je scrute les nouvelles venues d’Iran. Ce n’est pas seulement l’angoisse d’un exilé : c’est une terreur intime, physique, qui me pousse à me cacher au moindre bruit de moto ou d’hélicoptère. Comme si la guerre avait franchi les frontières, pour s’installer en moi. Par Ali Zare Ghanatnowi, cinéaste iranien en exil.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Depuis chez moi en exil, en France, je vis au rythme d’un pays à feu et à sang. Le téléphone vissé à la main, le souffle suspendu à chaque vibration, je scrute les nouvelles venues d’Iran. Ce n’est pas seulement l’angoisse d’un exilé : c’est une terreur intime, physique, qui me pousse à me cacher au moindre bruit de moto ou d’hélicoptère. Comme si la guerre avait franchi les frontières, pour s’installer en moi.

Depuis deux semaines, l’Iran est plongé dans une guerre d’un genre particulier : silencieuse pour ceux qui regardent de loin, fracassante pour ceux qui la vivent. Cette guerre n’est pas seulement militaire ; elle est psychologique, sociale et morale. Elle déchire les familles, broie les esprits, fige un peuple tout entier dans une peur sans nom ; une peur avec une nouvelle définition.

Illustration 1
© Ali Zare Ghanatnowi

Mon cœur balance entre espoir et chagrin. Espoir, quand je vois les images des sièges de la police des mœurs ou des centres du Corps des gardiens de la révolution islamique réduits en cendres. Chagrin, lorsque je reconnais à côté de ces bâtiments là, une rue de mon enfance, un café détruit, une vitrine brisée sur le boulevard Enghelab, ou encore cette petite boutique de fleurs près de l’université, toujours ouverte malgré les et ses effets collatéraux. Ce pays saigne, et avec lui, chacun de ses enfants.

L’enfance sous les bombes

Quand j’ai enfin pu parler à mes proches, c’est la voix de mon neveu de 11 ans qui m’a le plus bouleversé. « Les trois premières nuits, j’ai eu peur à cause des tirs et des roquettes. La quatrième nuit, cela me semblait normal. » Normal ? À son âge, la guerre est déjà devenue une routine. Et malgré cela, il continue d’aller à ses leçons de violon et à ses cours de natation. Heureusement ce sont les vacances scolaires. Une enfance volée, banalisée par l’absurde.

Je suis né, moi aussi, pendant une guerre. Mon père, architecte, avait construit un abri dans notre maison. La peur ne l’a jamais quitté, elle est aujourd’hui mon héritage. Mais la guerre actuelle est plus cruelle : elle ne se contente pas de bombarder, elle oppresse, elle mutile l’espoir. L’Iran est aujourd’hui prisonnier d’une double violence : celle, brutale et visible, des frappes israéliennes, et celle, beaucoup plus sournoise et perverse, d’un régime autoritaire qui dure depuis quarante-six ans.

Un régime en sursis, un peuple à bout de souffle

La République islamique d’Iran n’a survécu que dans la répression, la peur et la négation des libertés les plus fondamentales. Aujourd’hui affaiblie, elle concentre ses forces non pas pour protéger le pays d’une guerre extérieure, mais pour prévenir toute révolte intérieure. Elle arrête, elle torture, elle exécute, elle cherche à étouffer dans l’œuf tout élan de soulèvement populaire. Ce n’est pas une guerre défensive ; c’est une terreur organisée.

L’absurde atteint son paroxysme : nous ne pouvons même pas rire de la chute d’un commandant des gardiens de la révolution, ni pleurer publiquement nos morts. Ce silence est devenu notre quotidien, ce silence est notre prison.

Illustration 2
© Ali Zare Ghanatnowi

Une société en quête de renaissance

Et pourtant, au cœur de ce chaos, des signes d’espoir émergent. L’opposition iranienne, longtemps marginalisée, discréditée, et même tuée pour certains retrouve une voix. Reza Pahlavi, figure controversée mais aujourd’hui rassemblante, affirme ne pas vouloir devenir roi, mais servir de trait d’union vers une transition démocratique.  Il souhaite que le peuple iranien décide de son avenir par un vote démocratique. Ce geste fort a suffi à instiller la peur dans les rangs du pouvoir en place. Car le peuple iranien n’est pas dupe. Nous ne sommes plus en 1979. Reza Pahlavi n’est pas son père, mais n’est pas Khomeini non plus. Nous avons appris de l’Histoire.

Mais que voulons-nous, vraiment ? C’est toute la question. Nous savons ce que nous rejetons : l’injustice, la corruption, la censure, la brutalité. Mais quel avenir construire après un demi-siècle de mutilation politique ? Le chemin vers une démocratie réelle ne peut être qu’iranien. Il ne sera ni militaire, ni importé. Il doit naître d’un peuple exsangue mais debout, décidé à tourner la page, à guérir enfin.

Une maladie qu’il faut extirper

La République islamique s’est insinuée en nous comme un poison. Une infection chronique qui a tué chez certains l’espoir, mais qui a aussi forgé une conscience politique nouvelle chez d’autres. Nous sommes peut-être encore loin du remède, mais nous avons commencé le traitement : par les mots, par l’art, par les larmes. Ce régime ne tombera peut-être pas demain, mais après demain.

La guerre en Iran n’est pas qu’un affrontement de puissances. C’est un drame humain, une tragédie contemporaine. Derrière chaque missile, il y a des enfants qui ne dorment plus, des mères qui tremblent, des artistes en exil qui pleurent en silence. Le monde ne doit pas détourner les yeux. Car si nous perdons ce combat, ce n’est pas seulement l’Iran qui basculera dans les ténèbres, c’est une part de notre humanité commune.

Ali Zareghanatnowi

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