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Billet de blog 12 juillet 2023

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La Tasmanie : success story écologique ?

La Tasmanie, Etat du sud de l'Australie, détient un bilan carbone négatif. Elle émet donc moins de CO2 que son territoire n'en absorbe. Bien que dotée de caractéristiques territoriales bien particulières, ce succès illustre l'impact positif de politiques de protection de l'environnement. Quelles sont ses clés de réussite ? Ses limites ? Où se situe la France ? Décryptage.

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C’est officiel, la Tasmanie a rejoint le clan des Etats vertueux : elle émet moins d’émissions de gaz à effet de serre (GES) que son territoire ne peut en absorber !  

Bon élève, l’Etat-île du sud de l’Australie se démarque du reste du pays dominé par le secteur des énergies fossiles. Ce succès s’explique par une forte politique de protection de ses forêts et d’ambitieux investissements dans le secteur des énergies renouvelables ; lui assurant une électricité 100% renouvelable depuis 2020.

Cerise sur le gâteau : la Tassie ne compte pas s’arrêter en si bon chemin ! En effet, elle vise 200% d’énergies renouvelables d’ici 2040 dans le but de décarboner son industrie et d’exporter le surplus vers son voisin du continent, l’Etat du Victoria.

Cette ambition s’inscrit dans un contexte national australien de réduction des émissions de GES suite à l’élection du gouvernement fédéral d’A. Albanese (Labor Party) en 2022. Celui-ci vise à :

  1. Atteindre 82% de production d’électricité nationale renouvelable d’ici 2030
  2. Etendre et moderniser le réseau électrique à bas coûts (Rewiring the Nation) via la construction de nouvelles centrales éoliennes et solaires et de batteries de stockage
  3. Produire de l’hydrogène vert pour l’industrie, les transports et les réseaux de distribution de gaz (Australia’s National Hydrogen Strategy)

En tant que partenaire de la France sur le marché des énergies renouvelables, son succès représente un exemple dont pourrait s’inspirer l’Hexagone dans l’atteinte de ses propres objectifs : atteindre 40% d’énergie renouvelable d’ici 2040 et la neutralité carbone d’ici 2050.

Ainsi, quels enseignements retenir de la success story écologique de la Tasmanie ?

1/ Laisser vieillir les forêts pour assurer leur rôle de puit de carbone

Recouverte à 49% de forêts (6,81 millions d’hectares) dont 91% de forêts primaires, la diversité écologique de la Tasmanie explique son rôle de puit de carbone hors-norme.

Deux éléments expliquent ce succès :

  1. Une politique de gestion forestière responsable issue de longues batailles militantes et juridiques opposant les mouvements de protection de l’environnement et le secteur industriel de la forêt depuis les années 1970. C’est ainsi que 90% de la nature sauvage et plus de 60% des forêts primaires ont été classées « aires protégées » (Regional Forest Agreements en 1997 et le Tasmanian Forest Agreement en 2013).
  2. La fin de l’industrie du bois en Tasmanie suite à la fermeture de l’entreprise Gunns en 2013 en raison de la volatilité du marché international. Usine de pâte à papier gigantesque, sa fermeture a eu un réel impact sur la diminution de la déforestation.

Les émissions de CO2 de la Tasmanie ont ainsi diminué d’environ 22 millions de tonnes par an entre 2011 et 2019.  

Concernant la France, recouverte à 31% de forêts (17,1 millions d’hectares – aucune forêt primaire), sa surface forestière a augmenté de 21% depuis 1985. Pour autant les scientifiques constatent :

  • Un appauvrissement des sols et de la biodiversité
  • Un ralentissement de la production biologique nette[1] de 10% en 10 ans
  • Une absorption des CO2 par les forêts deux fois moins importante en 10 ans[2]

Deux éléments expliquent cet échec :

  1. Une politique de production industrielle massive depuis les années 1960 : 75% de la forêt appartenant au secteur privé, les industriels sont incités à la sylviculture intensive (monoculture, pesticides, traitement du bois en Chine). Ce type de forêt est pauvre en biodiversité et facilite la propagation des feux de forêts.
  2. Le manque de moyen de l’Office Nationale des Forêts : en charge de la protection des forêts publiques (25%), celle-ci connait une crise sociale et économique sans précédent (déficit de plus de 400 millions d’€ en 2020) menant à une baisse d’effectifs et de moyens considérables pour mener à bien leur mission d’intérêt général.

En réponse le gouvernement fixe l’objectif de plantation de 45 000 hectares – au total – de forêts dans le but d’absorber 150 000 tonnes de CO2 par an supplémentaire (Plan de relance 2020). Pour autant, les ONG dénoncent une « malforestation »[3] et appellent à laisser vieillir les forêts et se régénérer naturellement, à l’instar de la Tasmanie.

2/ Miser sur une électricité 100% renouvelable pour réduire le bilan carbone

L’achèvement des parcs éoliens de Cattle Hill et de Granville Harbour en 2019 marque le passage au 100% renouvelable de l’électricité tasmanienne[4].

La Tasmanie ambitionne, de plus, de doubler sa production d’ici 2040 afin d’exporter cette électricité verte à bas coût vers l’Etat du Victoria via le Marinus Link (câbles sous-marins d’interconnexion électrique et de télécommunication prévus pour 2025).

Vaste chantier, la Tasmanie doit moderniser son parc énergétique pour aligner sa capacité de production et de stockage électrique au Marinus Link (1500MW) au travers de :

  • La rénovation de la station hydraulique de Tarraleah pour augmenter sa production de 30% (décision finale attendue mi-2024)
  • La création d’un site de pompage hydroélectrique au Lac Cethana pour stocker l’électricité de manière fiable et à faible coût (l’étude de faisabilité finale en cours)
  • La construction de parcs solaires et éoliens (« Renewable Energy Zones »). Les zones géographiques cibles sont en encore en cours d’étude.

Quant à la France, bien que son électricité soit à 92% décarbonée, près de 70% relève du nucléaire et seulement 20% du renouvelable[5].

Toutefois, le gestionnaire du Réseau de Transport d’Electricité français (RTE) constate une rupture en raison de la hausse des prix et des fortes chaleurs pour l’année en 2022 :

  • Une baisse de l’hydraulique et l’installation record de 5GW d’énergie éolienne et solaire
  • Une baisse du nucléaire (maintenances de réacteurs) et la quasi-sortie du charbon (0,6%)
  • Une hausse des émissions de CO2 (25 MtCO2eq contre 21,5 en 2021) due à la hausse de l’utilisation du gaz devenant 3ème source d’électricité devant l’éolien terrestre

De plus, la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit pour 2018-2028 :

Enfin, la relance du projet de loi de construction de nouveaux réacteurs (mai 2023) et les scénarios 2050 de RTE présagent une continuité du nucléaire pour les années à venir.

La France est donc en retard en comparaison de la Tasmanie concernant l’électricité renouvelable, ne bénéficiant pas de ses variables environnementales (pluie, marées, vents)[7] particulièrement favorables ; pour autant les politiques énergétiques relèvent avant tout de choix politiques stratégiques.

En bref : des forêts, du vent, du soleil et de l’eau pour une société décarbonée !

Deux enseignements sont à retenir de la success story écologique de la Tasmanie :

  1. Protéger les forêts de toute intervention de l’homme – autrement dit les laisser vieillir – renforce leur rôle de puit de carbone. Plus les surfaces de forêts sont étendues et diversifiées, plus les émissions de CO2 sont absorbées.
  2. Bien que la Tasmanie soit dotée d’atouts environnementaux hors normes, investir dans les énergies renouvelables est avant tout un choix politique stratégique ; qui paie !

C’est ainsi que la Tasmanie a rejoint le Suriname, le Costa Rica, le Panama et le Bhoutan au sein du club exclusif des territoires neutres en carbone, en ayant misé sur les priorités : la protection de la forêt (jusqu’à l’inscrire dans la Constitution le Bhoutan) et les énergies renouvelables.

Pour autant, les énergies renouvelables et la protection de la nature ne sont pas toujours compatibles comme le dénoncent la Bob Brown Foundation et le parti écologique Greens. En effet, ces derniers pointent du doigt l’atteinte à l’environnement et aux sites aborigènes des installations renouvelables. Ainsi, bilan carbone négatif ou non, l’intervention de l’homme sur son environnement ne sera jamais sans conséquence !

Pour aller plus loin :

France :

Pour comprendre le fonctionnement et les enjeux de l’hydraulique, l’éolien et le solaire photovoltaïque : chaîne Youtube « Le Réveilleur ».

Les chiffres clés des énergies renouvelables en France : rapport 2022 du Ministère de la transition énergétique

Base de données des rapports de l’ADEME sur les énergies renouvelables : https://librairie.ademe.fr/

Programmation pluriannuelle de l’énergie pour 2018-2028 : DATALAB du Ministère de la transition énergétique

Rapports RTE : sur le futur énergétique de la France (horizon 2050) et le bilan électrique 2022

A propos du plan de relance 2020 sur le renouvellement des forêts françaises : Présentation du Ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire

Le lien entre la France et l’Australie sur le marché des énergies renouvelables : article de Business France

Tasmanie (en anglais) :

A propos de l’évolution des émissions de gaz à effet de serre : étude australienne et rapport 2021 du gouvernement de Tasmanie

Evolution de la réglementation de la protection de la forêt : historique des négociations et article du Guardian

Evolution de la forêt en Tasmanienne : historique du conflit environnementalistes-industries et synthèse gouvernementale

A propos de l’évolution des énergies renouvelables : rapport 2022 du gouvernement tasmanien

[1] C’est-à-dire la différence entre la croissance et la mortalité des arbres sur une période donnée.

[2] Seulement 3% des émissions de CO2 de la France sont absorbées via ses terres et forêts, soit 14 millions de tonnes de CO2 sur un total de 404 millions en 2019.

[3] https://www.vie-publique.fr/eclairage/286488-forets-francaises-quel-avenir-face-au-changement-climatique

[4] Son électricité renouvelable est composée à 84% d’hydraulique, 10% de solaire et 6% d’éolien (chiffres 2022).

[5] Son mix renouvelable est composé de 49% d’hydraulique, 31% de l’éolien et 12% solaire (chiffres 2021).

[6] Ses seules marges de manœuvre se situent au niveau de la création de petits barrages (potentiel de +5% de production).

[7] Ses caractéristiques géographiques lui offrent une richesse énergétique en raison de l’importance de la pluie, du vent et des marées. Elle détient par exemple le plus fort potentiel d’éoliennes offshore d’Australie (détroit de Bass et sud de l’Etat).

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