J’ai choisi.
Entre une vitre brisée et un œil crevé, j’ai choisi.
Entre une poubelle renversée et incendiée, et les commentateurs outrés et outragés qui la remplissent, j’ai choisi.
Entre une grève d’éboueurs et une indignation ordurière, j’ai choisi.
Entre un réalisme cynique et une indignation légitime, j’ai choisi.
Entre des forces du désordre établi surarmées et des citoyens pacifiques, j’ai choisi.
Entre des brutes obéissantes, jouissant de leurs passions violentes, entre des humains-machines sans libre arbitre, consentants et programmés pour frapper, mutiler, tuer à l’occasion, et leurs victimes, j’ai choisi.
Entre des jets de pierres et des tirs de lacrymogènes, d’armes et de munitions de guerre, j’ai choisi.
Entre des manifestants à pieds et des militaires ou para-militaires en quads, en motos, ou en armures, j’ai choisi.
Entre le bâillon posé sur la représentation nationale, entre son piétinement, entre les reniements, les mensonges, et des manifestants portant pancartes, chantant, même faux mais justes, criant slogans mêmes candides, même bêtes, j’ai choisi.
Entre ceux à qui on vole travail, années de vie, entre ceux variables d’ajustements et ceux qui en jouissent, qui font fortune et gloire de l’asservissement du travail humain, j’ai choisi.
Entre les serviteurs lâches, vils et zélés qui se bâfrent dans les auges des pouvoirs, et ceux qui en supportent le spectacle, l’insulte, le mépris, le discrédit, j’ai choisi.
Entre les opulents insatiables toujours indemnes de rendre des comptes, dispensés des règles communes, irresponsables pénalement, enrichis du travail des autres, et les nécessiteux méprisés et insultés, « assistés » disent les premiers, nécessaires pourtant au système qui les dévaluent, j’ai choisi.
Entre le fascisme en marche et renaissant, entre la violence déjà et toujours là de voyous intouchables, entre leur impunité, et la résistance obstinée de qui en souffre, j’ai choisi.
Entre une Constitution fourre-tout, arme létale pour la vie démocratique, pour assurer le bâillonnement du Parlement, l’impunité de l’Exécutif, le détournement de ses procédures, et paravent à ses tendances autoritaires croissantes, entre un Conseil constitutionnel juge et partie, inapte et irresponsable juridiquement lui-même, dont il n’y a pas grand chose, voire rien à attendre, entre un intérêt général auquel on voudrait bien croire, de plus en plus privatisé, voire exclusivement privatisé, et une représentation nationale, des corps intermédiaires piétinés, des droits démocratiques réduits à leur plus simple expression, et une population qui déserte les isoloirs et les urnes, qui manifeste pacifiquement dans la rue, espace de liberté lui-même mutilé, j’ai choisi.
Entre la fiction d’un peuple souverain et la réalité du peuple du travail indispensable à tous, qui ne veut pas courber indéfiniment l’échine, j’ai choisi.
Entre les sans-culottes et la monarchie, entre une société d’ordres, et une société d’égaux, l’Histoire a choisi. J’ai choisi avec elle.
Entre un avenir radieux hypothétique, un avenir radié certain, un travail obstiné à défaire toujours un peu plus un monde devenu déjà invivable, et les tentatives mêmes désespérées d’en ralentir la destruction, d’en garantir la sauvegarde et la protection pour tous, j’ai choisi.
Entre un ordre qui se nourrit sans jamais s’abreuver complètement du sang, de la sueur et des larmes de ceux qu’il vampirise, j’ai choisi.
C’est pourquoi je marche obstinément.