Le jour des morts transformé en acte politique par une communauté indignée. La société civile mexicaine à l’étranger s’organise pour exercer une pression internationale sur le gouvernement.
Toulouse, samedi 1er novembre. À l’heure de la globalisation de la terreur, les luttes convergent. C’est ce qui s’est donné spontanément samedi à la place du Capitole à Toulouse. Aux côtés des Kurdes qui réclament la paix en Syrie et d’une manifestation contre le barrage de Testet, un groupe de mexicains, habitants de la ville rose, organisa le traditionnel autel des morts orné de fleurs, d’offrandes, et des photographies de leurs ancêtres : dans ce cas, une série de portraits d’activistes assassinés par la police, par l’État, des victimes n’ayant jamais trouvé justice. Les noms pourraient se multiplier au Mexique comme en Italie, ou récemment en France près du barrage de Testet : les milliers de femmes mortes à Ciudad Juárez depuis les années 1990, Rémi Fraisse, Carlo Giuliani, Digna Ochoa, Juan Vásquez Guzmán, entre autres.

En 2014, la fête des morts pour les mexicains à l’étranger prend une nouvelle ampleur, une toute autre signification. Le pays ne sera jamais le même après le 26 septembre, date où la police municipale d’Iguala (état de Guerrero, sud-ouest du pays) assassine six étudiants de l’école normale rurale d’Ayotzinapa et en fait disparaître quarante trois autres. Quelques jours après, les liens soupçonnés entre le maire d’Iguala, José Luis Abarca, et les cartels de la drogue deviennent une évidence. Depuis, la narcopolitique n’appartient plus à l’étiquette – facilement manipulable – de « théorie du complot » mais, plutôt, à la réalité d’un État ayant perdu sa crédibilité. La carte des alliances infernales entre politiciens, députés locaux, tueurs à gages, maires et chefs des cartels, est de plus en plus nette. La barbarie criminelle se confond avec l’administration de la justice. Ou, autrement dit, l’État administre l’injustice en lien avec des multinationales du crime. Rien de plus horrifiant que les bourreaux soient escortés par les autorités dans leur cortège sanguinaire.

Devant ces faits, les activistes mexicains à Toulouse se sont unis aux exigences civiles qui parcourent le pays. Ils accusèrent, depuis la France, le président François Hollande de fermer les yeux devant les atrocités qui ne cessent de s’accumuler dans un dossier de violations systématiques aux droits de l’Homme. Le dossier, juridiquement parlant, est vide, invisible. Depuis la guerre initiée par le président Felipe Calderón en 2006 contre les cartels de la drogue, l’État mexicain a été incapable de juger un seul responsable. Le chef de l’exécutif français n’est pas parvenu non plus à se positionner par rapport au cas « Azotzinapa », sans doute le plus scandaleux et insupportable, le plus cynique, parmi une liste interminable. Voici les paroles qui ont pris l’air du capitole samedi dernier :
Nous voulons manifester notre indignation face aux déclarations du président François Hollande qui, en avril de l’année en cours, a exprimé son soutient au narco-président qui gouverne actuellement le Mexique. Hollande a dit littéralement : « Peña Nieto peut conter sur la France car ses réformes sont aussi les nôtres ». Avec ces déclarations, on peut voir que le président français manque d’information sur ces violations systématiques aux droits de l’homme que souffre la population mexicaine. Ou peut-être, il est bien conscient de ce qui se passe, et il ferme les yeux juste pour remercier Peña Nieto d’avoir ouvert les portes aux multinationales pour s’emparer des ressources naturelles du Mexique, comme le pétrole, le gaz, la terre et les plages.
Devant une foule, réunie autour des trois manifestations, l’acte politique des mexicains se diversifiait ; prises de parole, groupes musicaux, mise en scène du massacre d’étudiants à Ayotzinapa le 26 septembre et présentation publique des chiffres de la terreur étatique qui assomme le pays : 22 personnes exécutées par l’armé en juin 2014 à Tlatlaya, 4419 féminicides entre 2006 et 2012, plus de 80 journalistes assassinés entre autres.
Vers 16h, ce fut l’occasion pour les mexicains de s’unir à la marche des opposants au barrage du Testet, qui réclament justice pour le meurtre du jeune écologiste Rémi Fraisse par un gendarme ayant lancé une grenade. Dès lors, la police nationale a déployé ses robots pour semer la panique et cueillir la provocation d’une population digne de sa rage. Des hélicoptères ont survolé le centre ville pendant quelques heures. La violence policière fut de nouveau à l’ordre du jour. Le 2 novembre, Arié Alimi, avocat pour la partie civile – les parents de Fraisse -, manifestait ainsi son indignation dans son blog de Mediapart :
Pourquoi le parquet a-t-il tenté de semer une confusion indécente sur les circonstances de sa mort en ne donnant que des bribes d’informations, en ne parlant lors de la première conférence de presse que d’une explosion, laissant croire à la possibilité d’un décès dû à un Cocktail molotov, pourquoi avoir lancé des fausse pistes, comme celles du sac à dos disparu, volontairement récupéré par les manifestants, et qui aurait pu contenir des substances explosives ? Simplement pour discréditer un jeune homme pacifiste, militant de la fédération Nature Environnement, botaniste, qui n’a jamais fait usage de violence ou eu maille à partir avec les forces de l’ordre. Salir l’image d’un jeune homme mort qui militait pour l’environnement et pour les générations à venir ? Y a-t-il attitude plus basse et plus veule ?

Comme dans le cas de Rémi Fraisse, les autorités mexicaines sèment la confusion. Elles trainent depuis plus d’un mois. Elles ne fournissent aucune réponse. Elles empêchent violemment les journalistes d’avoir accès aux fosses clandestines où ont été retrouvés des corps dans les municipalités d’Iguala et Cocula. Ayotzinapa a soulevé, plus que jamais, la question de la faillite de l’État. Combien de temps peut tenir debout un État dont la violence légitime se mêle aux pratiques terrifiantes – mutilation, torture, séquestration, assassinats massifs – des organisations criminelles ? La question se pose en France suite à la mort de Fraisse, comme nous le rappelle Alimi :
lorsque l’on utilise des armes de guerre non pas contre un autre État belligérant mais contre sa propre population, lorsque l’État tue ceux qu’il est censé protéger, alors la question de l’État, de son fonctionnement, de ses intérêts et de ses représentants doit inéluctablement être posée.
Devant ce règne de ténèbres, la rage partagée de tous les coins de la planète nous mobilise. À Toulouse, les échos d’Ayotzinapa sont aussi les cris des indignés du Testet.