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«Comme le temps passe vite, 70 ans déjà ! J’aimerais redevenir l’enfant que j’étais, à travers une cathédrale du Souvenir et d’Amour», Amadou Bal BA
En ce jour du 2 juin 2025, c’est l’occasion, devant le temps qui passe si vite, d’un bilan d’étape, d’une introspection dans le passé, questionnant le présent et l’avenir, une célébration de la cathédrale du Souvenir et de l’Amour filial. «Longtemps, je me suis couché de bonne heure. Parfois, à peine ma bougie éteinte, mes yeux se fermaient si vite que je n'avais pas le temps de me dire : «Je m'endors.» Et, une demi-heure après, la pensée qu'il était temps de chercher le sommeil m'éveillait ; je voulais poser le volume que je croyais avoir dans les mains et souffler ma lumière ; je n'avais pas cessé en dormant de faire des réflexions sur ce que je venais de lire, mais ces réflexions avaient pris un tour un peu particulier ; il me semblait que j'étais moi-même ce dont parlait l'ouvrage : une église, un quatuor, la rivalité de François Ier et de Charles-Quint. Cette croyance survivait pendant quelques secondes à mon réveil ; elle ne choquait pas ma raison, mais pesait comme des écailles sur mes yeux et les empêchait de se rendre compte que le bougeoir n'était plus allumé», c’est ainsi que démarre la «recherche du temps perdu», de Marcel PROUST (Voir mon article, Médiapart, 10 juillet 2021). D’une mémoire prodigieuse, si Marcel PROUST a pu reconstituer le paradis perdu de Combray, c’est grâce à la petite madeleine trempée dans le thé. Ces considérations débouchent sur cette vérité : si le temps efface tout, il ne peut pourtant pas effacer le souvenir, car l’essence des choses reste éternelle, et peut être ressentie tant dans le moment actuel que dans un temps éloigné. Ce à quoi s’intéresse PROUST, ce n’est point la description de la réalité, mais la psychologie dans le temps, une sensation vécue aussi bien, dans le passé que dans le présent, il veut édifier avec sa Recherche du temps perdu «une cathédrale du souvenir». À travers sa recherche du temps perdu, Marcel PROUST réussit à briser les entraves classiques du temps et de l’espace, se rendant capable de se promener à son gré dans le passé, le présent et le futur, tel le maître du temps. Si le temps s’écoule sans qu’on puisse l’arrêter, le souvenir et la mémoire nous permettent de retrouver le temps perdu. Le temps qui passe nous éloigne de merveilleux instants du passé, mais la mémoire involontaire et l’effort volontaire de la mémoire concourent à annuler cette distance, et finissent par ramener le passé dans le présent, contribuant à l’emporter sur le temps. Les entraves du temps sont brisées, le temps perdu deviendra finalement un temps retrouvé.
J’ai décidé donc d’accomplir un voyage dans la géographie du «Royaume de mon enfance», que je dédie à mes grands-parents, et en particulier, à mon oncle, Moussa N’DIAYE (1943-1975), dit Balla, mort en Libye, en 1975, 50 ans déjà, il voulait se rendre en France. Comme bon nombre de Foutankais, il était pauvre et avait traversé le désert. Moussa travaillait comme manœuvre, payé, au jour le jour. Un matin, il y avait une cargaison de bois à décharger. Les amarres ont lâché, et il fut écrasé, mortellement touché. Mort sans sépulture, enterré dans une tombe anonyme en Libye, ce désastre familial depuis 5 décennies me traumatise, j’avais du mal à en parler. Enfant aîné de la famille, choyé par tous, le lien qui m’unissait à mes grands-parents était puissant, et en particulier avec Moussa N’DIAYE, dit Balla. Il me rappelle la figure titulaire de Toko Waly, l’oncle de Léopold Sédar SENGHOR, frère aîné de sa mère. «J’étais animiste à cent pour cent. Tout mon univers intellectuel, moral, religieux était animiste, et cela m’a profondément marqué. C’est pourquoi, dans mes poèmes, je parle souvent du “Royaume d’Enfance”. C’était un royaume d’innocence et de bonheur : il n’y avait pas de frontières entre les Morts et les Vivants, entre la réalité et la fiction, entre le présent, le passé et l’avenir», écrit Léopold Sédar SENGHOR. Moussa N’DIAYE dit Balla, s’il voulait se rendre en France, au péril de sa vie, c’était les années 1970, après le choc pétrolier, et surtout des années de sécheresse. Les paysans Peuls du Fouta-Toro, comme les Soninkés, des héros du quotidien, préfèrent l’honneur et la dignité et sont près à mourir, en vue d’assurer la survie de leur famille. Ce sont les années où l’artiste Peul Thioukel SAM (1930-1983, Voir mon article, Médiapart, 2 juin 2020), rappelait aux Foutankais que chaque individu, devant la famine qui guette, doit se lever, aller à «Walla Feinddo» ou la France, son devoir d’assistance et de solidarité avec sa famille.
Le plus héritage qu’un parent puisse léguer à ses enfants, est le souvenir de son amour. «Nous ne grandissons jamais assez, pour nous passer de l’amour de nos parents» dit Nini FRENCH, écrivain anglais. Tout le reste est secondaire ou second dans la hiérarchie des valeurs. Ainsi, Romain GARY (1914-1980) et Albert COHEN (1895-1981) avaient célébré non pas l’amour, mais la dévotion pour leur mère. La piété familiale, «Le Neddo Ko Bandoum» des Peuls, si dénigré et perverti par certains, est à la base de l’humanisme. On doit se respecter, aimer ses parents, sa patrie et le monde entier. «Le propre de l’homme est d’aimer ; mais l’amour pour ses parents est son premier devoir, et sert de règle pour aimer les autres», dit Confucius, un philosophe chinois (Voir mon article). Par conséquent, ce qui m’accompagne et me soutient, c’est cette géographie de l’enfance, cette «immense cathédrale du souvenir» théorisée par Marcel PROUST. Fils aîné, j’ai grandi dans une immense concession entre mes deux grands-parents, mes oncles et ma mère, mon père étant parti à Kaolack, et est devenu cuisinier d’un bateau de la marine marchande bordelaise, faisant du cabotage en Afrique.
«L'enfant est le père de l'homme» tel le poème de William WORDSWORTH (1770-1850). En effet, c'est dans l'enfance que se forment les héros, les judas et les écrivains. «Tout enfant vient au monde avec, dans une certaine mesure, le sens de l’Amour ; mais il dépend de ses parents, que cet amour soit celui qui sauve ou damne», écrit Graham GREENE (1904-1991), écrivain et scénariste britannique. Aussi, je ne cesse de dire à mes deux enfants que ce qui structure une personne, c’est avant tout son environnement familial, la puissance de l’Amour des parents, un viatique, dont on ne se rend pas compte quand on est encore adolescents. Par leur fait et gestes, parfois anodins, les parents véhiculent des principes et valeurs, parfois codés, qui vont vous accompagner toute la vie. Quand on est enfant, on a dû mal à les décrypter ; c’est plus tard, quand ils ne sont plus là qu’on devient inconsolable du manque d’attention, voire de considération qu’on aurait dû leur apporter. «Vos parents vieillissent, jusqu’à un certain âge, où leur image se fige dans votre mémoire. Il suffit de fermer les yeux et de penser à eux pour les voir à jamais, tels qu’ils étaient, comme si l’amour qu’on leur porte avait le pouvoir d’arrêter le temps», écrit Marc LEVY, écrivain français.
L’autre jour, ma fille me disait que j’étais une antiquité du XVIe siècle. Je lui ai répondu que j’étais même que j’étais très fier, et m’en glorifie d’appartenir au siècle des Lumières, éclairant les esprits par la connaissance, pour les éloigner des ténèbres. Moi aussi, il m’a été arrivé d’être jeune, c’est l’objet de cet article. C’est vrai qu’à trente ans, avec la fuite du temps, j’avais déprimé. Mais de nos jours, je suis en paix avec moi-même avec les autres. «La vie est un songe», comme le dirait Calderon, un voyage intime qui nous fait découvrir les vraies valeurs de la vie, parmi lesquelles l’Amour est une question centrale. Pendant leur enfance, en voyageur immobile, dans Paris ou à l’étranger, j’étais toujours escorté par mes enfants qui ne me quittaient pas d’une semelle. Maintenant qu’ils sont un peu plus grands, chacun s’enferme dans sa chambre, avec son ordinateur et son portable. Fini les promenades dans Paris ou les repas ensemble. «Jusqu’à 25 ans, les enfants aiment leurs parents ; à vingt-cinq ans, ils les jugent ; ensuite, il leur pardonnent», écrit Hippolyte TAINE (1828-1893), historien, philosophe et critique littéraire.
Les valeurs positives de la famille sont véhiculées notamment par mes deux grands-mères, Hapsa Elimane SALL, la mère de mon père, et Fatima Demba DIALLO. Je naviguais entre leurs deux cases. La société villageoise de mon temps, essentiellement agricole et pastorale, avait sa division du travail bien huilée. Les hommes allaient aux champs et s’occupaient du bétail. Les jeunes partaient à la ville gagner de l’argent pour s’acquitter des impôts et s’habiller. Les femmes âgées gardaient les enfants et faisaient la cuisine. Chacun avait sa place dans la société, notamment la nécessité d'inculquer aux enfants des règles d’harmonie de la société traditionnelle.
De nos jours, la valeur travail a tendance à disparaître. Il pleut, mais certains jeunes du village ne veulent pas souvent se salir les mains, en allant cultiver leurs champs. En France, l’éducation des nouvelles générations issues de l’immigration laisse à désirer. La facilité, la consommation et la dépendance ont tout pourri. L’échec scolaire fleurit, les prisons se remplissent, dans un beau pays comme la France, que mon oncle Moussa N’DIAYE n’a pas eu la chance d’y venir, où on peut se former et avoir sa juste place dans la société. Ni Français, ni Africains, inconscients de la chance, ces jeunes issus de l’immigration brûlent tout quand ils sont mécontents, notamment les voitures de leurs pauvres voisins, sauf les immeubles de la Caisse d’allocations familiales ; ils saccagent également tout, même s’ils sont aussi heureux. A Paris, 400 interpellations le 31 mai 2025, jour de la célébration de la victoire du PSG, c’est le comble de l’imbécilité ! Le projet des forces du Chaos, c’est d’agrandir les prisons, et de leur coller un casier judiciaire, et voila que ces écervelés foncent joyeusement vers la maison d’arrêt.
En définitive, la famille est un havre de paix, un lieu d’apprentissage de la vie, des principes et valeurs qu’on n’apprend pas à l’école, forgeant le destin de tous, pour un avenir meilleur. J’ai longtemps réclamé une maison d’Afrique à Paris, mais aussi des études africaines dans les universités françaises, afin que les jeunes générations issues de l’immigration puissent bien vivre leur double culture, et réussir leur vie.
Paris, en cet auguste jour du 2 juin 2025, mon 70e anniversaire, une «cathédrale du souvenir» et d’Amour, par Amadou Bal BA