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«Pierre NORA (1931-2025), écrivain de la mémoire. In Memoriam», par Amadou Bal BA
Historien, éditeur et académicien, Pierre NORA, nous a quittés le 2 juin 2025. «Pierre Nora, figure tutélaire de notre vie intellectuelle, fut l’un des plus brillants artisans de la pensée française contemporaine. Par son œuvre éditoriale monumentale, éclectique et audacieuse, et par l’élégance rare de son écriture, il incarna l’âge d’or des sciences humaines, non seulement comme témoin, mais comme acteur, bâtisseur, et inspirateur», écrit Jacques LANG, ministre de la Culture de François MITTERRAND.
Juif ashkénaze, Pierre NORA est né, le 17 novembre 1931, à Paris 8e. Son père est Gaston NORA (1888-1975), un médecin, et sa mère, Julie LEHMAN (1895-1970). «Mon père était persuadé que c’était pour se franciser que mon ancêtre avait demandé en 1808, au moment de l’établissement de l’état civil en Alsace, d’inscrire lui-même et ses enfants sous le nom de Nora. Ma famille était profondément assimilée. Pourtant, quand mon père a voulu passer l’agrégation de médecine vers 1925, on l’en a écarté parce qu’il était juif. On lui a refusé ensuite l’entrée à la société d’urologie. Il est resté chirurgien à l’hôpital Rothschild, alors institution privée. Mon père était le type même du Français pour lequel la priorité absolue était le dévouement patriotique», dit-il au magazine "Elle". Pierre NORA raconte son enfance, dans «Jeunesse». Pierre NORA, marqué, dans son enfance et sa jeunesse, par la défaite de 1940, l'Occupation, l'affrontement entre gaullistes et communistes, et les guerres de décolonisation, a pris conscience du rapport de l'historien à son propre passé, et donc la place de la mémoire. «Historien, je devais penser le temps long, citoyen, j’étais obsédé par le temps court, et cette contradiction, je la vivais mal. L’histoire n’allait plus du passé à l’avenir, mais se vivait dominée par le présent, ce qui changeait notre regard sur le passé. Autrefois, l’histoire était vécue par ceux qui la faisaient, puis par ceux qui la faisaient connaître. Tout a changé avec le vécu de l’histoire en direct», dit-il.
Licencié en lettres et en philosophie, agrégé d'histoire, Pierre NORA est enseignant, en pleine guerre d’indépendance de l’Algérie, au lycée Lamoricière d'Oran. De cette expérience, il en tire, en 1961, son premier ouvrage, «Les Français d'Algérie». Pierre NORA démarre, en 1964, une carrière universitaire, de maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris, le cadre d’une histoire du présent à l’étude du sentiment national et à l’élaboration d’une problématique générale de la mémoire historique contemporaine. Recruté par les éditions Julliard, en 1962, puis en 1965, par Claude GALLIMARD (1914-1991). Il n’y a pas de grandes histoires, sans grands éditeurs. Aussi, il devient Directeur de plusieurs collections de cette maison d’édition : Archives de 1973 à 1998, depuis 1971 la Bibliothèque des Histoires, en 1966, la Bibliothèque des Sciences humaines, en 1990 Le Débat, 1980, la Revue Le Débat et depuis 1966 Témoins. «Sa réflexion sur la discipline historique et son lien à la mémoire, au patrimoine, à l’identité collective et à la nation a constitué le socle de ses recherches et de ses engagements. Son nom et son action resteront toujours associés à la «Belle époque des sciences humaines» et du boom de l’enseignement supérieur qui auront marqué le deuxième tiers du vingtième siècle. Pierre Nora était un homme de franchise et de tolérance, d’amitié et d’exigence, un être curieux de toutes choses», écrit Antoine GALLIMARD.
Académicien, depuis le 7 juin 2001, au fauteuil de Michel DROIT (1923-2000), Grand officier de la Légion d’honneur, Grand-croix de l’ordre national du Mérite, Commandeur des Arts et des Lettres, Pierre NORA se définit, sur son long parcours, comme un intellectuel atypique «Je me suis souvent défini comme marginal central. Marginal, parce que je n'ai pas été un universitaire classique, ni un éditeur professionnel, ni un historien typique, ni un écrivain authentique. Encore qu'un peu tout cela. Central cependant, parce que beaucoup des auteurs, beaucoup des idées d'une des époques les plus effervescentes et créatrices de la France contemporaine sont passées par mon petit bureau du premier étage de la rue Sébastien-Bottin, devenue Gaston-Gallimard», écrit Pierre NORA, dans «une étrange obstination».
Pierre NORA a été marié à Françoise CACHIN (1936-2011), historienne de l’art et conservatrice de musée, de 1964 à 1976, dont le grand-père est le communiste, Marcel CACHIN (1869-1958) a vécu, en dernier lieu, avec Anne SINCLAIR, journaliste. En effet, Anne SINCLAIR avec rencontré Pierre NORA, quelques mois après le scandale de DSK : «Dix ans plus tard je me trouve plus épanouie que je ne l’ai jamais été. Pierre a eu une compagne pendant trente-cinq ans puis s’est retrouvé veuf. Moi je sortais d’une tourmente invraisemblable», dit-elle. La première femme qui avait comptée dans sa vie de jeune homme, c’était une Malgache, fille d’un général français et d’une aristocrate de Madagascar, que lui avait présentée René CHAR (1907-1988).
«J’ai voulu laisser un témoignage, une foison de souvenirs, avec le sentiment que j’en avais le devoir, car j’avais été au cœur d’une des époques les plus effervescentes intellectuellement de la France contemporaine» dit Pierre NORA à France culture. En quoi, la question de la mémoire pourrait-elle, en particulier, concerner l’Afrique et ses diasporas en France ?
Jusqu’ici la mémoire ou l’histoire, celle écrite par les vainqueurs. Les questions de mémoire au nom au des valeurs républicaines, veulent enjamber la question raciale, alors que la France est devenue multiculturelle. Certains comme Nicolas SARKOZY ne voulaient parler que d’eux-mêmes, refusant, au nom d’un Code de l’indigénat, non écrit, «la concurrence mémorielle», une hiérarchisation des valeurs de la vie.
Le président Emmanuel MACRON, depuis quelque temps, s’intéresse particulièrement aux questions mémorielles, à travers notamment la restitution des biens culturels, le débat sur le Camp de Thiaroye, mais en refusant une commission d’enquête parlementaire ou l’ouverture des archives, les massacres coloniaux au Cameroun et à Madagascar, le grand scandale, du racket de la dette haïtienne, des questions restées jusqu’ici taboues. Disciple de Paul RICOEUR, il fait un pas en avant et un pas en arrière.
Les Africains, et en particulier, au Sénégal, on a compris, qu’aucun développement ne peut être construit, sans l’estime de soi, la dignité et le respect. Le nom de Mamadou DIA, l’ancien président du Conseil, a remplacé celui de Charles de GAULLE. Le président Macky SALL, sous la direction du professeur Iba Der THIAM avait pondu 25 volumes sur l’histoire du Sénégal, que le PASEF réexamine et va probablement réécrire. La mémoire est une question centrale pour chaque peuple, notamment colonisé, à qui on avait enseigné que ses ancêtres étaient des Gaulois, ils étaient grands et blonds. En temps de guerre, il fallait venir défendre la «Mère-patrie».
Références bibliographiques
A – Contributions de Pierre NORA
NORA (Pierre) LACOUTURE (Jean), ROUSSEL (Eric), Qui était Charles de Gaulle ?, Paris Gallimard, 2005, 175 pages ;
NORA (Pierre), ARIKOVSKI (Antoine), Esquisse d’ego-histoire. Suivi de l’historien, le pouvoir et le passé, Paris, Desclée de Brouwer, 2013, 97 pages ;
NORA (Pierre), Contre vents et marées, Paris, 2018, Le Débat mi-août 2018, pages 3-8 ;
NORA (Pierre), DECAUX (Alain), L’histoire médiatique, entretiens, Paris, Gallimard, 2016, 80 pages ;
NORA (Pierre), directeur de publication, Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, Vol I, La République, la Nation, les Français, 1997, 1642 pages, Vol II, La mémoire de France, la Gloire des mots, 1984, 682 pages, Vol III, la France, de l’archive à l’emblème, 1992, 1034 pages ;
NORA (Pierre), Historien public, Paris, Gallimard, 2014, pages ;
NORA (Pierre), Jeunesse, Paris, Gallimard, 2021, 233 pages ;
NORA (Pierre), l’étrange obstination, Paris, Gallimard, 2022, 340 pages ;
NORA (Pierre), La culture du passé, Paris Gallimard, 2013, 192 pages ;
NORA (Pierre), Le débat, histoire, politique et société, Paris Gallimard, 2013, 224 pages ;
NORA (Pierre), Le multiculturalisme, comme réalité, comme politique, Paris, Gallimard, 2015, 192 pages ;
NORA (Pierre), Les Français d’Algérie, préface de Charles-André Julien, Paris, René-Julliard, 1961, 252 pages ;
NORA (Pierre), Michelet, historien de la France, Paris, Gallimard, collection à haute voix, 1999, audio, 61minutes57secondes ;
NORA (Pierre), Recherche de la mémoire, Paris, Gallimard, 2013, 608 pages.
B- Biographies et critiques
DOSSE (Françoise), Pierre Nora, Homo Historicus, Paris, Perrin, 2011, 611 pages ;
PIVOT (Bernard), Le métier de lire, réponse à Pierre Nora, Paris, Gallimard, 1990, 193 pages.
Paris, le 2 juin 2025, par Amadou Bal BA