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«La Cour suprême du Sénégal a confirmé le 1er juillet 2025, la condamnation de M. Ousmane SONKO pour diffamation, dans l'affaire l'opposant à Mame M'Baye NIANG, ancien ministre du tourisme du président Macky SALL. Le Premier ministre, toujours privé de ses droits civiques, a insulté les magistrats de la Cour suprême, qualifiés de «véreux», une forfaiture, une dérive de la démocratie sénégalaise vers la dictature ?» par Amadou Bal BA.
Le 1er juillet 2025, la Cour suprême du Sénégal, en chambres réunies, a confirmé Ousmane SONKO coupable de diffamation, l’a condamné aux dépens, à six mois avec sursis, une amende de 300 millions de FCFA (458 015 €), et donc la privation de droits civiques est maintenue. «Déclare irrecevable le mémoire du prévenu déposé le 27 octobre 2023 relatif à l’exception d’inconstitutionnalité de l’article 260 du Code pénal, et dit, en conséquence, n’y avoir lieu à surseoir à statuer pour transmission de l’exception au Conseil constitutionnel. Déclare fondée la troisième branche du premier moyen tirée de la violation de l’article 711 du Code de Procédure pénale. Casse et annule l’arrêt attaqué sur ce point mais dit que la cassation sera sans renvoi et qu’il sera procédé par voie de retranchement pour réparer l’illégalité portant sur la condamnation à la contrainte par corps du prévenu, toutes autres dispositions étant expressément maintenue » dit la Cour suprême qui s’est référée à sa jurisprudence constante.
Par conséquent, la requête en rabat d'arrêt a été rejetée, motif pris de ce que les juges de la chambre pénale n'avaient pas commis une erreur de procédure en rejetant la demande de sursis à statuer et de renvoi du dossier au Conseil Constitutionnel. Le Rabat d’arrêt, procédure exceptionnelle, permet à une partie ou au Procureur général près la Cour suprême de contester une décision lorsque celle-ci résulte d’une erreur imputable aux juges eux-mêmes et non aux parties, et que cette erreur a pu influer sur l’issue du procès. Pour sa part, le Procureur général a sollicité le rejet pur et simple de la requête, au motif que la loi d’amnistie récemment adoptée rend désormais sans objet toute procédure en lien avec les faits visés. La Cour suprême, juge de cassation, a exercé un contrôle normatif en se limitant au droit et n’avait pas pour vocation de revenir sur les faits qui ont déjà donné lieu à une loi d’amnistie. Finalement, la condamnation d’Ousmane SONKO, président du PASTEF, pour diffamation à l’encontre de Mame Mbaye NIANG, fait suite à un feuilleton judiciaire datant de fin 2022. L’actuel Premier ministre avait accusé l’ancien ministre du Tourisme de malversations financières dans le cadre du programme PRODAC. Une déclaration qui s’était appuyée, selon M. Ousmane SONKO, sur un rapport de l’Inspection générale des finances, document dont l’existence a été mise en doute et qui n’a jamais été produit lors des audiences.
Fait inhabituel, surprenant et particulièrement inquiétant pour l'Etat de droit au Sénégal, le Premier ministre, chef de l’Administration, Ousmane SONKO s'en est pris, publiquement, aux juges. «Il y a des magistrats honnêtes, mais il y a aussi des magistrats véreux à la solde des politiciens», dit-il. Je ne qualifierai pas les Pastéfiens de «gougnafiers», un terme insultant et désobligeant que je récuse ; c’est une règle essentielle en démocratie que d’observer le respect et la considération, notamment à l’égard des magistrats, un pilier essentiel de la démocratie. Pourtant, le PASTEF a mis au cœur de son projet politique l’indépendance de la justice en prétendant combattre son instrumentalisation. Aussi, les réactions de l’opposition n’ont pas tardé. «Le Pastef montre tous les jours sa vraie nature. Celle d’une secte qui pense que l’Etat de droit est une fiction à n’invoquer que lorsqu’il sert les intérêts ou ceux de son gourou. Ce clan ne croit ni à la démocratie, ni en l’indépendance de la justice. Désormais, tout donne à penser qu’au Sénégal la loi ne s’applique plus de la même façon à tous», écrit Thierno Alassane SALL. «Il est temps que l’opposition et le peuple sénégalais demandent la démission du Premier ministre. Sa déclaration du 1er juillet n’a de raison que pour masquer son camouflet judiciaire, de contester la décision de la Cour suprême qui le déboute de sa requête en rabat d’arrêt», dit Mamoudou Ibra KANE.
Face aux calomnies et insultes dont ont été injustement l’objet les magistrats, qualifiés de «véreux», je suis consterné devant le silence assourdissant du Syndicat de la magistrature dont la mission est justement d’assurer la défense de leurs collègues victimes d’un lynchage public, mais astreints à un important devoir de réserve. Aussi, les magistrats de la Cour suprême, à juste titre, refusent de déférer à la convocation du Premier ministre, après ses violentes attaques, sa bourde, une véritable forfaiture. Cela atteste, une fois de plus, cette gouvernance inquiétante, empreinte d'amateurisme, et même autoritariste du PASTEF. Le chef de l'Administration, au mépris de la séparation des pouvoirs, qu'il avait dans l'opposition défendue, impliqué justement dans cette affaire judiciaire, ne craignant un grave conflit d'intérêts, comment peut-il convoquer des juges en charge de son dossier, qu'il vient justement d'insulter ? «La parole, c’est comme de l’eau, une fois tombée à terre, on ne peut plus la ramasser», dit un proverbe peul. J’invite nos autorités face à un débat politique passionné de l’invective, de l’insulte, loin des préoccupations politiques majeures des Sénégalais, à ne pas alimenter ces discussions du niveau du caniveau, à prendre du recul, de la hauteur, pour mieux servir l’Etat. Rien n’obligeait le Premier ministre à réagir à chaud, le jour de la décision de la Cour suprême. Une méditation et une consultation de ses directeurs de conscience s’imposaient au préalable.
Je suis consterné par le silence assourdissant du syndicat de la magistrature du Sénégal qui n’a pas défendu de manière vigoureuse ses collègues. En effet, dans cette affaire les magistrats, de plus en plus indépendants et audacieux, n’ont fait que dire le droit. Il faudrait s’en féliciter. Je rappelle, alors qu’il était dans l’opposition et donc sous Macky SALL, une ordonnance du Tribunal d’Instance hors classe de Dakar, en date du 14 décembre 2023, a déclaré nulle la radiation des listes électorales d’Ousmane SONKO et ordonné sa réintégration. Le coup d’Etat électoral du président Macky SALL a été censuré par un retentissant arrêt du Conseil constitutionnel en date du 3 février 2024 (Voir mon article, Médiapart, 3 février 2024). Dans l’affaire Adji SARR, un jugement du 1er juin 2023, si M. SONKO a été relaxé des faits de viol et de menace de mort, il a été, en revanche, condamné pour «à la corruption de la jeunesse», et solidairement avec la patronne du salon de massage à 20 000 000 FCA (30 354€) de dommages et intérêts pour la victime, avec exécution provisoire. Le salon de massage de N’Dèye Khady N’DIAYE a été fermé pour «incitation à la débauche». Là aussi en dépit des passions suscitées par cette affaire, le juge sénégalais a su faire la part des choses, avec un jugement particulièrement circonstancié et motivé de 35 pages. Je rappelle que c’est le Conseil constitutionnel qui avait retoqué la candidature de Karim Meissa WADE, en raison de sa fausse déclaration sur sa double nationalité, et a validé la candidature de Bassirou Diomaye FAYE du PASTEF (Voir mon article, Médiapart, 18 janvier 2024).
Finalement, c’est cette condamnation qui avait privé Ousmane SONKO président du PASTEF de ses droits civiques, et l'avait donc empêché de se présenter à la présidentielle du 24 mars 2024. Toute la dramaturgie du PASTEF est là. Bassirou Diomaye FAYE s'est présenté à la présidentielle de 2024, les Sénégalais l'ont élu chef de l’État, mais le vrai patron, c'est M. Ousmane SONKO. «Ce dossier (condamnation pour diffamation), n’a aucun rapport avec ma candidature. De ce qui reste de mon existence, si je ne participe pas à une élection, ce serait de ma propre volonté, parce que rien ne peut m’empêcher d’être candidat», Ousmane SONKO, dès le 1er juillet 2025.
Ousmane SONKO a déjà les yeux rivés sur la présidentielle de 2029. Il a gagné haut la main ses législatives anticipées du 17 novembre 2024. Théoriquement, il a toutes les cartes en mains, mais cette décision de la Cour suprême du Sénégal, du 1er juillet 2025, confirmant sa condamnation pénale, sa privation de droits civiques, est un grain de sable dans son ascension politique. En effet, Ousmane SONKO, un chef incontesté, mais victime cependant d'une sorte de castration, d'une sorte d’impuissance politique, en raison de cette condamnation pénale le privant de ses droits civiques, toutes ses ambitions politiques semblent compromises.
Dès le 2 juillet 2025, par ses conseils, le premier ministre, M. Ousmane SONKO a déposé une requête auprès de M. Ousmane DIAGNE, Garde des Sceaux, Ministre de la justice, pour solliciter la révision de son procès, une faculté ouverte dans la réglementation sénégalaise, en cas d’éléments nouveaux. Selon lui, M. Mame M’Baye NIANG, ancien ministre du tourisme, serait impliqué dans des détournements de deniers publics.
A suivre …
Références bibliographiques
Cour suprême, chambres réunies, affaire J/30/RG/24, Ousmane SONKO contre Mame M’Baye NIANG et Ministère public ;
Tribunal d’Instance hors classe de Dakar, n°1 Greffe, Ordonnance du 14 décembre 2023, Ousmane SONKO contre Etat du Sénégal ; cette ordonnance déclare nulle la radiation des listes électorales et ordonne sa réintégration ;
Tribunal d’Instance hors classe de Dakar, chambre criminelle, jugement n°67, du 1er juin 2023, Le Ministre public et Adji Raby SARR contre Ousmane SONKO et N’Dèye N’DIAYE, affaire du salon de massage.
Paris, le 6 juillet 2025 par Amadou Bal BA
Paris, le 6 juillet 2025 par Amadou Bal BA