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«Ibrahima FALL et son livre : Mal nommée ! Mal contée ! L’histoire tue du Sénégal. Entre mémoire, colonialisme, souveraineté, estime de soi et bien-vivre ensemble» par Amadou Bal BA
Cet ouvrage en autoédition d’Ibrahima FALL, «Mal nommée ! Mal contée ! L’histoire du Sénégal», m’inspire trois observations préalables. Tout d’abord, si le Sénégal est un «Grand petit pays», c’est que désormais de talentueux écrivains sénégalais ont décidé de suivre le chemin tracé par le président-poète, Léopold Sédar SENGHOR, une figure tutélaire de l’Afrique et de ses diasporas. Ibrahima FALL, un francophile, est incontestablement de ceux-là, par la qualité de son expression écrite. «J’aime profondément la langue française, et je suis fasciné par l’histoire de la France, dont je réclame une part à travers les sacrifices des dignes fils de cette France, dont le Sénégal a fait partie. Je reçois l’héritage de la colonisation avec tout ce qu’il comporte, car il me façonne aujourd’hui », écrit Ibrahima FALL. Jusqu’ici, Ibrahima était resté dans l’ombre, en «nègre», il écrivait pour les autres. Désormais, Ibrahima a décidé de sortir du bois, pour exposer, publiquement, la mesure de son immense talent. «Avant d’être une réflexion, c’est une ballade érudite, à travers les siècles et les terres qui ont façonné le Sénégal. J’y suis entré avec l’intention d’y traquer une faute de syntaxe, une coquille orthographique, une maladresse de ponctuation. Chou blanc. Tout est impeccable, jusque dans la fluidité de la forme. La rigueur de sa documentation est impressionnante et témoigne d’une lecture assidue avant l’écriture. En refermant cet ouvrage, j’ai ressenti une fièvre jubilatoire. L’écriture d’Ibrahima, vibrante et audacieuse, fait honneur à la quête de la vérité et à la liberté intellectuelle.», écrit Moctar DIA, dans la préface.
Ensuite, Ibrahima FALL remercie son entourage, et en particulier son épouse, pour son soutien et ses encouragements. «Mon ancre, ma lumière, et mon inspiration, pour ton amour inébranlable, ta patience infinie et ton soutien indéfectible. Tu as cru en moi, m’encourageant à poser mes mots sur le papier, à signer mes écrits, à sortir de l’anonymat pour me confronter au regard des lecteurs», écrit-il en hommage à son épouse, Mairame. Le doyen Amady Aly DIENG (1932-2018), faisait cette remarque que les écrivains sénégalais, mariés à une Africaine, devenaient moins productifs, sur le plan intellectuel, dès qu’ils revenaient au pays, en raison du poids étouffant et particulièrement chronophage des traditions, empêchant toute création littéraire. L’écrivain doit être proche de la société, pour en saisir les enjeux et les problèmes, mais aussi distant, l’ambition littéraire exigeant une grande solitude. Or, semble-t-il, Ibrahima FALL, en quittant son statut de «nègre», pour celui d’écrivain, semble démontrer que l’on peut vivre au Sénégal, être marié à une Sénégalaise, et être productif sur le plan intellectuel.
Enfin, Ibrahima FALL aborde la question de la mémoire, de l’histoire, en particulier, celle de la colonialité. «Quant au fond, il (cet ouvrage) m’a profondément interpellé. Je découvre en Ibrahima un intellectuel iconoclaste, prêt à secouer les certitudes et revisiter les dogmes historiques. L’épisode de la bataille de Dakar, par exemple, a résonné particulièrement en moi. Sur les Tirailleurs sénégalais, deux sujets de mes conférences récentes, je me suis surpris à valider chaque détail historique. C’est l’audace intellectuelle d’Ibrahima qui m’a le plus marqué. Il ne s’épargne aucun pan de notre histoire : marabouts, résistants, héros redécouverts à Thiès, pères de la Nation et de l’Indépendance, tous sont scrutés sous sa plume incisive. J’ai particulièrement apprécié sa réhabilitation de Valdiodio N’DIAYE, comme figure centrale de l’indépendance, au détriment de SENGHOR et de DIA.», écrit, dans la préface, Moctar DIA. Bien des gens nous disent que «le colonialisme, le néocolonialisme, c’est du passé. Il ne faudrait traiter que l’histoire de notre temps.» Or, l’actualité brûlante, violente, avec des comportements arrogants et peu respectueux, atteste bien que l’esclavage et le colonialisme, loin de disparaître, se sont modernisés et adaptés à notre époque, pour mieux assujettir les faibles, en vue de la prédation de leurs matières premières. «Le naufrage de la Méduse ne fut pas seulement une tragédie maritime, mais un symbole de l’arrogance coloniale et de la vaine tentative de dominer une terre qui refusait de se soumettre. La Méduse incarna la résistance silencieuse, mais résolue du Sénégal, cette maîtresse insoumise qui rappela à ses conquérants que certaines terres et certains peuples ne peuvent être conquis qu’à un prix terrible», écrit Ibrahima FALL.
Cet essai est explosif par la charge violente contre le colonialisme, dans sa grande méprise de la culture des autres, la hiérarchisation des valeurs humaines, en somme la laideur de leurs sentiments à l’encontre de l’indigène «Nous étions top laids, trop sales, tellement sauvages et niais que le colon se crut dans l’obligation de nous affranchir, de nous civiliser, de nous acculturer et de nous éduquer», écrit Ibrahima FALL. En effet, en toile de fond de ce brûlot, il y a l’histoire du radeau de la Méduse qu’une peinture à l'huile en 1819 de Théodore GERICAULT (1791-1824), a immortalisée, en hommage aux victimes de ce bateau de colons français du Sénégal échoué, le 2 juillet 1816, au large des côtes mauritaniennes : 160 morts, dont 146 abandonnés sur un radeau de fortune. En effet, Julien-Désiré SCHMALTZ (1771-1827), gouverneur de la colonie du Sénégal de 1816 à 1820, dans sa grande lâcheté s’est sauvé dans un canot. C'est Gaspard-Theodore MOLLIEN (1796-1872), un explorateur qui allait au Fouta-Toro, en 1818, du temps des Almamy, un des rares survivants de ce drame, qui avait dénoncé le gouverneur du Sénégal, Julien-Désiré SCHMALTZ (Voir mon article sur Thioukel SAM, Médiapart, 3 juin 2020). Par conséquent, le naufrage de la frégate de la Méduse est une histoire de forfaiture et d’incompétence des autorités coloniales, mais aussi de cannibalisme de la part de ceux qui «portent le monde sur leurs épaules», en référence à une expression de Cheikh Hamidou KANE. «Sur le radeau de fortune, fabriqué en hâte pour ceux qui n’avaient plus de place dans les canots de sauvetage, la cruauté humaine se révéla. Le Sénégal, avec ses mystères et ses périls, força les colonisateurs à dévoiler leurs instincts les plus primitifs. La faim, la soif et le désespoir les transformèrent en bêtes, les poussant à s’entretuer pour survivre. Le cannibalisme, ultime déchéance de ces prétendus civilisateurs, devint la loi sur ce radeau perdu en mer», écrit Ibrahima FALL.
Tous connaissent le Titanic, popularisé par un film de Hollywood, qui avait fait 1500 morts. Dans notre histoire récente, montre le Joola, le Titanic, la souffrance des autres est mise en lumière, tandis que celle des racisés est négligée et sous-estimée. Le naufrage du Joola, un Ferry reliant la Casamance à Dakar, le 26 septembre 2002, la plus grande catastrophe maritime de l'histoire de l'humanité. C’est ce bateau surchargé, 1920 passagers au lieu des 580 autorisés, qui s'est retourné sur sa coque. On dénombre, officiellement, 1863 victimes, et seulement 62 survivants. Jusqu’ici on ne se sait pas combien exactement transportait de personnes le Joola. En effet, les militaires et leurs familles ainsi que les enfants de moins de 5 ans ont un accès gratuit et sans billet au Joola. Les corps de beaucoup de familles entières décimées, des étudiants, des enfants ou des Européens, sont restés jusqu'à ce jour prisonniers du Joola, devenu une immense sépulture maritime.
Ibrahima FALL fait remarquer que si le Sénégal, l’Afrique et leurs diasporas ont survécu des tragédies de l’esclavage et du colonialisme, c’est en raison de leur résilience, de leur tolérance et aptitude de résistance. L’ambition du colonialisme «ne se limitait pas à exploiter nos terres, mais aussi à nous transformer à leur image. Ils tentèrent de nous inculquer leur langue, leur religion et leurs valeurs, mais notre esprit libre et notre culture résistèrent», écrit Ibrahima FALL. L’auteur se livre à un rappel historique des batailles entre Portugais, Hollandais, Anglais et Français sur le territoire sénégalais. Le colonisateur s’est acharné à changer les noms de nos rues, en passant même par la façon d’orthographier les patronymes des Sénégalais. Aucune trace de la mémoire ne devrait subsister de ce Sénégal des temps anciens.
Le titre de l’ouvrage d’Ibrahima FALL est hautement instructif «Mal nommée ! Mal contée ! L’histoire du Sénégal». Suivant un dicton africain, «Celui qui ne sait pas d'où il vient ne peut savoir où il va, car il ne sait pas où il est». C’est en ce sens que le passé est la rampe de lancement vers l'avenir. Aussi, pour guérir les blessures du passé, Ibrahima FALL appelle à la possibilité de «bâtir une mémoire partagée où justice et dignité se rejoignent, pour honorer tous ceux qui ont souffert de l’histoire officielle». Pour lui, le héros de l’indépendance du Sénégal, ce n’est ni Léopold Sédar SENGHOR, ni Mamadou DIA, qui n’avaient osé affronté le général Charles de GAULLE lors de son passage à Dakar, à l’occasion du référendum du 26 septembre 1958, mais Valdiodio N’DIAYE (1923-1984), futur Garde des Sceaux, ministre de la Justice, accompagné par les porteurs de pancartes. En effet, Mamadou DIA (1910-, voir mon article, Médiapart, 13 août 2020), dans ses mémoires, a révélé que Léopold Sédar SENGHOR ne voulait pas de l’indépendance en 1960, mais en 1980. Devant ce désaccord qu’ils ne voulaient pas afficher publiquement, ils ont décidé de ne pas venir à la place Protêt, devenue Place de l’indépendance.
La liste des héros qui ont «souffert de l’histoire officielle» est longue et enfouie sous un tapis de poussière. Je ne citerai que le puissant empire du Fouta-Toro, fondé par Coly Tenguella BA, dont la dynastie des Satiguis a résisté pendant plus que quatre siècles au colonisateur, dont les comptoirs devaient s’acquitter de diverses taxes et droits de douane. Je mettrai l’accent particulier sur la Révolution des Torodos, conduite par Thierno Sileymane BAL, en 1776, bien avant les révolutions américaine et française, avec une charte d’interdiction de l’esclavage, de bonne gouvernance et de destitution immédiate d’un Almamy en cas d’enrichissement illicite. Le colonisateur n’a pas pu vaincre et soumettre le Sénégal, qu’à la suite de l’effondrement des Almamy en 1890. D’autres grands héros ont été carrément invisibilisés, car ils avaient combattu le colon au péril de leur vie, et peu de gens de parlent d’eux : El Hadji Oumar Foutiyou TALL (Voir mon article, Médiapart, 28 mars 2019), Maba Diakou BA (Voir mon article, Médiapart, 22 mars 2019) ; on parle de Lat-Dior, qui avait fui que le Bour Sine avait tué Maba Diakou son protecteur ; Mamadou Lamine DRAME (1835-1887) et Moussa Molo BALDE (1846-1931). Je réserverai une mention spéciale à Alboury N’DIAYE (1848-1901), le Bourba du Djolof, qui avait réclamé, devant l’avancée des troupes d’Alfred DODDS (1842-1922), une jonction des luttes. Alboury a fini par rejoindre, au Mali, Amadou TALL (1833-1898), le fils d’El Hadji Omar, pour finalement mourir dans l’Empire de Sokoto. La pièce de théâtre, «Albouri», de Cheikh Aliou NDAO (voir mon article, Médiapart, 25 février 2025) a sauvé l’honneur devant cette grande amnésie sélective.
Il n’a échappé à personne que ces héros du Sénégal invisibilisés, tous de grands résistants contre le colon, l’ont été par différents gouvernements successifs de notre pays redoutant les foudres du Maître. Et pourtant, Léopold Sédar SENGHOR, le fondateur de la nation sénégalaise, chantre de la Négritude, avait combattu le racisme. «Vous Tirailleurs Sénégalais, mes frères noirs à la main chaude sous la glace et la mort qui pourra vous chanter si ce n’est votre frère d’armes, votre frère de sang ? Je ne laisserai pas la parole aux ministres, et pas aux généraux. Je ne laisserai pas – non ! - les louanges de mépris vous enterrer furtivement. Vous n’êtes pas des pauvres aux poches vides sans honneur. Mais je déchirerai les rires banania sur tous les murs de France», écrit-il. C’est lui aussi le président-poète, qui avaient rendu hommage aux Tirailleurs sénégalais massacrés le 1er décembre 1944, au Camp de Thiaroye. «Prisonniers noirs je dis bien prisonniers français, est-ce donc vrai que la France n’est plus la France ? Est-ce donc vrai que l’ennemi lui a dérobé son visage ? (…) Non, vous n’êtes pas morts gratuits ô Morts ! Ce sang n’est pas de l’eau tépide. Il arrose épais notre espoir, qui fleurira au crépuscule. Il est notre soif, notre faim d’honneur, ces grandes reines absolues. Non, vous n’êtes pas morts gratuits. Vous êtes les témoins de l’Afrique immortelle. Vous êtes les témoins du monde nouveau qui sera demain», écrit-il, dans le poème, «Tyaroye». Plus de 80 ans après, le Sénégal réclame Vérité et Justice. On ne lâchera rien !
Je suis sûr qu’on entendra encore parler d’Ibrahima FALL, maintenant qu’il a décidé de sortir du bois, pour nous faire profiter de son talent qui transparaît bien, avec un immense potentiel, dans cet ouvrage, «Mal nommée ! Mal contée. L’histoire tue du Sénégal». Ibrahima FALL, né en 1976, est un écrivain et rédacteur sénégalais passionné par l’histoire et la culture de ce Sénégal français, témoin d’une période où les destins du Sénégal et de la France étaient intimement liés. Francophile assumé, il explore dans ses écrits les liens profonds et complexes qui ont marqué cette histoire commune, mêlant une réflexion critique à une analyse sensible et éclairée. Avec une riche carrière dans la communication stratégique, il s’est illustré comme concepteur-rédacteur, créant des messages publicitaires marquants et rédigeant plus d’une centaine de discours institutionnels pour des figures de premier plan. Il a également collaboré à une dizaine d’ouvrages en tant que nègre littéraire, démontrant son talent pour structurer des récits captivants et porteurs de sens.
Également chroniqueur et analyste, il collabore régulièrement avec un quotidien sous un pseudonyme, abordant des thématiques variées, notamment l'actualité politique, la société, et les enjeux nationaux. Cette contribution discrète mais engagée lui permet d’apporter un regard analytique et éclairé sur les sujets qui animent le débat public.
Voyageur curieux et cosmopolite, il a exploré près de 50 pays et vécu dans plusieurs d’entre eux, notamment en Guinée, au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Maroc, au Bénin et au Sénégal. Ces expériences multiculturelles lui ont permis d’enrichir sa compréhension des dynamiques historiques et sociales, qu’il intègre avec finesse dans son écriture.
Diplômé dans les domaines de la communication, du management des médias, de l’administration des affaires, du marketing et de la sémiotique, il a également obtenu des certifications spécialisées en science politique, anthropologie, enjeux du développement durable, Fondements de l’économie sociale et solidaire, et responsabilité sociétale des entreprises (RSE).
Références bibliographiques
A – Le livre d’Ibrahima FALL
FALL (Ibrahima), Mal nommée ! Mal contée. L’histoire tue du Sénégal, préface de Moctar DIA, Autoédition, 2024, 85 pages.
B – Autres références
CORREARD (Alexandre), Naufrage de la frégate, «La Méduse» faisant partie de l’expédition du Sénégal en 1816, Paris, Corréard librairie, 1821, 507 pages ;
MOLLIEN (Gaspard-Théodore), Voyage dans l’intérieur de l’Afrique, aux sources du Sénégal et de la Gambie, Paris, Arthus Bertrand, 1822, 415 pages, spéc pages 1-2.
Paris, le 9 mars 2025, par Amadou Bal BA