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Billet de blog 14 avril 2025

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"Mario VARGAS LLOSA (1936-2025), prix Nobel Littérature. In Memoriam" Amadou Bal BA

Mario VARGAS LLOSA (1936-2025), prix Nobel de littérature péruvien, journaliste, homme politique, romancier spécialiste de la description réaliste des sociétés, immense et talentueux écrivain, jadis engagé, a viré à droite. Amoureux de la France, de FLAUBERT, le président MACRON lui a rendu hommage.

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«Mario VARGAS LLOSA (1936-2025), prix Nobel de littérature péruvien, citoyen du monde, journaliste, homme politique et romancier spécialiste de la description réaliste des sociétés. In Memoriam» Amadou Bal BA

Né le 28 mars 1936, à Arequipa, au Pérou, naturalisé espagnol, Mario VARGAS LLOSA nous a quittés le 13 avril 2024, à Lima, à l’âge de 90 ans. Pendant son enfance, il est passé de son village, Arequipa, à Cocha-Bamba, entre l’âge d’un an à dix ans, puis à Piura, à Lima, et enfin à Piura. Cette enfance, c’est l’âge d’or, «Je vivais entouré de gens qui m’aimaient, qui me couvaient et me passaient tous mes caprices», dit-il dans ses mémoires. Sa famille était liée au président Jose Luis BUSTAMANTE Y RIVERO (1894-1989) président du Pérou de 1945 à 1948, et nomma son grand-père préfet de Piura. Dernier des grands Mohicans, un géant de la littérature latino-américaine et mondiale, sa contribution littéraire de qualité a été, unanimement, louée. «Son génie intellectuel et sa vaste œuvre resteront un héritage durable pour les générations futures», dit Madame Dina BOLUARTE, présidente du Pérou. Il a été qualifié de «grand chroniqueur de l'Amérique hispanique et interprète perspicace de ses chemins et de ses destins», par Bernardo AREVALO, président du Guatemala. «Maître des Maîtres, il nous laisse son œuvre, son admiration et son exemple. Il nous laisse une voie à suivre pour l'avenir» écrit, Alvaro URIBO, ancien président de Colombie. Sa disparition est «un deuil pour le Pérou, car personne ne nous a autant représentés dans le monde que lui, avec son œuvre en général, sa ténacité, sa pureté et son immensité», dit Alfredo Bryce ECHENIQUE, un écrivain péruvien.

Mario VARGAS LLOS est récipiendaire du prix Nobel de littérature, en 2010, pour «sa cartographie des structures du pouvoir et ses images aiguisées de la résistance de l’individu, de sa révolte et de son échec», dit l’Académie du Nobel. «La lecture transformait le rêve en vie et la vie en songe, en mettant à la portée du petit bonhomme que j'étais l'univers de la littérature. Faulkner, que la forme, écriture et structure, est ce qui grandit ou appauvrit les sujets. Martorell, Cervantès, Dickens, Balzac, Tolstoï, Conrad, Thomas Mann, que le nombre et l’ambition sont aussi importants dans un roman que l’habileté stylistique et la stratégie narrative. Sartre, que les mots sont des actes et qu’un roman, une pièce de théâtre, un essai, engagés dans l’actualité et le meilleur choix, peuvent changer le cours de l’histoire. Camus et Orwell, qu’une littérature dépourvue de morale est inhumaine, et Malraux, que l’héroïsme et la poésie épique avaient leur place dans l’actualité autant qu’à l’époque des Argonautes, l’Iliade et l’Odyssée», dit-il, le 7 décembre 2010, à Oslo, dans un discours intitulé «éloge de la lecture et de la fiction». Il a été aussi honoré de nombreuses autres distinctions dont le Prix Carlos-Fuentes, en 2012, Prix de la Liberté de la fondation Max-Schmidheiny, en 1988, Prix mondial de la Fondation Simone et Cino del Duca, en 2008, et, en 2012, Prix Roger Caillois pour l'ensemble de son œuvre. «Aucun autre penseur que Popper n’a probablement fait de la liberté une condition aussi indispensable à l’être humain. Pour lui, non seulement la liberté garantit des formes civilisées d’existence et encourage la créativité culturelle, mais elle est aussi la condition sine qua non du savoir», écrit Albert BENSOUSSAN, son traducteur, préfacier, mais aussi son biographe. «La chance de la littérature, c’est d’être associée aux destins de la liberté du monde : elle reste une forme fondamentale de contestation et de critique de l’existence», dit-il, en 2000, au Monde de l’éducation.

Mario VARGAS a grandi entre deux pays, le Pérou et la Bolivie ; son père, Juan Ernesto VARGAS MALDONADO (1904-1979) étant un militaire absent ; sa mère est Maria Dora LLOSA URETA (1914-195). Après la séparation de ses parents, il passe son enfance avec sa mère et son grand-père maternel dans la ville de Cochabamba en Bolivie. Comme le grand-père a une mission dans la ville de Piura au Pérou, la famille y déménage. Les parents se réconcilient, en 1947, et s’installent à Lima. «Lima signifia beaucoup de choses pour moi ; et d’abord me coupa de ma famille. Ma mère était désormais la propriété de ce Monsieur qui, en fait, me terrorisait. C’était un homme très dur, qui représenta, pour moi, la torture. Alors, dans la grande solitude, où me plongea cette arrivée à Lima, la lecture devient un refuge merveilleux, vraiment merveilleux», dit-il dans ses mémoires. En effet, son père autoritaire et violent, criblé de dettes, l’envoie à Lima, dans une académie militaire. «Avant de connaître l’autoritarisme politique, j’avais connu l’autoritarisme paternel. Je ne serai pas devenu un écrivain, si mon père n’était pas aussi hostile. Ma manière de résister fut d’entrer en littérature», écrit-il. Finalement, l’écriture devient, pour lui, un acte de résistance. «La littérature est le seul domaine où j’étais souverain. Pour le reste, je n’étais qu’un appendice de mon père, j’étais ce que mon père voulait ce que je sois. Quand je lisais, j’écrivais, j’étais indépendant», écrit-il dans ses mémoires. De sa vie collégienne, à Leoncio Prado de Lima, au Pérou, Mario VARGAS LLOSA en tire un roman polyphonique et autobiographique, «La ville et les chiens», prix Bibliotheca Breve et de la Critique espagnole. En effet, dans ce roman sulfureux sur l’exaspération sexuelle d’un groupe de jeunes broyés par une éducation sexuelle absurde, les cadets ont fondé «le cercle», groupe secret de quatre garçons décidés à contrer la terrible discipline qui les écrase. Surnommés «les chiens», ces jeunes gens ont institué leurs propres règles. Brimades, vols, mensonges, voilà le monde sur lequel règne le plus fort d'entre eux, le Jaguar. Devenus hommes, les chiens tenteront de situer les frontières entre le bien et le mal, l'honneur et la trahison, le courage et la lâcheté. Dans un autre roman autobiographique, les «chiots», il relate la vie de jeunes garçons turbulents de la banlieue de Lima qui tentent de s'affirmer, de devenir adultes. Parmi eux, Cuéllar, cruellement surnommé Petit-Zizi, dans un monde où règne le mythe de la virilité. En grandissant, les différences se font plus sensibles, les jeux plus violents et Cuéllar se retrouve en marge. Son innocence est broyée par les rouages implacables de la société péruvienne. C’est un roman tragique, sur la mémoire, l’espérance de la jeunesse, ses éclats, sa beauté, sa résignation et l’oubli, plein de cruautés, bien écrit naturellement, un adieu à la jeunesse et aux illusions laissant croire que l'on peut dévorer le ciel lorsqu'on est jeune.

«Héros discret», en référence au titre d’un de ses ouvrages, faisant «l’éloge de la lecture et de la fiction», Mario VARGAS LLOSA, écrivain très prolifique et iconoclaste, est omniprésent dans ses romans, souvent à dimension autobiographique, ses chroniques, ses prises de position et ses engagements : «Il est d'une pièce, à prendre ou à laisser», écrit en 2018, Guy SORMAN, dans son «Journal d’ailleurs». Les amours, peu conventionnels de Mario VARGAS, ont alimenté sa création littéraire. L’auteur a été marié deux fois, d’abord à 19 ans avec Julia URQUI ILLANES, de 1955 à 1964, divorcée de son oncle maternel. Ensuite, en 1965, il épouse sa cousine Patricia LLOSA, le couple se sépare en 2015. Après avoir été domicilié tour à tour à Paris, Lima, Londres et Barcelone, il retourne à Lima en 1974. En 1975, il est élu à l’académie péruvienne. De cette romance déraisonnable et déroutante, tante Julia étant une femme plus âgée que lui de quinze ans, il en tire, dans sa fougue et sa virtuosité, «Tante Julia et le scribouillard», un autre récit autobiographique, plein d’humour, d’amour, d’amitié et de dérision. «À dix-huit ans. «Varguitas» fait mollement des études de droit, travaille un peu à la radio, écrit des nouvelles et est éperdument amoureux de la tante Julia, belle divorcée de quinze ans son aînée. Malgré les obstacles, leur amour triomphera», écrit-il. Déjà, à travers ce roman polyphonique, on découvre que la singularité de ce style c’est sa marque de fabrique ; c’est un récit, au début, limpide, agréable à lire, puis après tout se complique, faisant vaciller les certitudes du lecteur. «Ce qui fait l’originalité du roman de Vargas Llosa, c’est que «le pacte de lecture» posé dès qu’on a pris conscience du procédé ne cesse d’être ébranlé et de se transformer. Le tissu, au terme du processus, finit par se resserrer à tel point que la lecture vient à s’affoler : plus aucun récit ne peut plus être pris au premier degré et chaque pièce en arrive à brouiller toute crédibilité et à faire porter le soupçon sur la réalité elle-même», écrit, en 1996, Guy SCAPERTTA dans «L’âge d’or du roman».

Arrivé en France en 1953, Mario VARGAS LLOSA est ébloui par la littérature française. Traduit en une trentaine de langues, francophile, Mario VARGAS LLOSA a été le premier écrivain étranger, en 2016, à entrer, de son vivant, dans la prestigieuse collection de la Pléiade. Mario VARGAS LLOSA est le seul membre de l’Académie française qui n’a jamais directement écrit en langue française. «En apprenant le français et en lisant les auteurs français sans relâche, j’aspirais secrètement à être un écrivain français. J’étais convaincu qu’il était impossible d’être un écrivain au Pérou, un pays sans maisons d’édition et aux rares librairies, où les écrivains que je connaissais étaient presque tous des avocats qui travaillaient à leur cabinet toute la semaine et écrivaient des poèmes seulement les dimanches. Moi, je voulais écrire tous les jours, comme le faisaient les véritables écrivains, c’est pourquoi je rêvais de la France et de Paris», dit-il lors de sa réception à l’Académie française. Aussi, la France lui a rendu un vibrant hommage. «Mario Vargas Llosa était de France, par l’Académie, son amour de notre littérature et de notre universel. Avec son œuvre, il opposa la liberté au fanatisme, l’ironie au dogme, un idéal farouche face aux orages du siècle. Hommage à un génie des Lettres qui avait ici une patrie», dit le président français, Emmanuel MACRON. Pour Gustave FLAUBERT (1821-1880), l’auteur de Madame Bovary, qu'il tient pour le modèle absolu du roman, «Le seul moyen de supporter l'existence, c'est de s'étourdir dans la littérature comme dans une orgie perpétuelle». Cette citation a donc fortement influencé Mario VARGAS LLOSA, alimenté sa cogitation sur l'art et le métier d'écrivain, sur les rapports de la littérature et de la vie à travers. En effet, en critique littéraire et admirateur de FLAUBERT, il contemple la lente gestation du roman, ses caractéristiques propres, la notion de temps et le rôle du narrateur, au travers d'une longue et minutieuse enquête autour d'un livre dont il nourrit sa propre passion d'écriture. L’auteur est également un disciple de Jorge LUIS BORGES (1899-1989), écrivain argentin. «À l’inverse de ce qui m’arrive avec d’autres écrivains qui ont marqué mon adolescence, je n’ai jamais été déçu par Borges. Ma relation étroite de lecteur avec ses livres contredit l’idée selon laquelle on admire avant tout les auteurs proches de soi, ceux qui donnent corps et voix aux fantasmes et désirs qui vous habitent», dit-il, en 2010, à l’Herne.

Initialement, Mario VARGAS LLOSA était un écrivain de la gauche radicale, comme Gabriel GARCIA MARQUEZ (Voir mon article, Médiapart, 24 décembre 2024). À un certain moment donné, il a eu des ambitions politiques et a donc viré carrément à droite, en devenant très conservateur. En effet, aux élections présidentielles, il s’opposait à Alberto FUJIMORI (1938-2024). De cet échec politique, il en a tiré un ouvrage autobiographique, «un poisson dans l’eau», un récit de la campagne dix ans en dix ans, d'une existence durement conquise. En effet, le poisson s'adapte à l'ombre, ou à la lumière. On y voit plus clair dans ses bifurcations dangereuses, en eaux troubles, Mario LLOSA est agile dans cette gymnastique, sans claquage ; il passe du militant marxiste, puis castriste, pour finalement épouser la cause du néolibéralisme, militant marxiste, voire une caution du néofranquiste Mariano RAJOY, du Parti populaire espagnol, un mouvement d’extrême droite. En effet, l’auteur devient un admirateur de Margaret THATCHER (1925-2013), Première ministre du Royaume-Uni, de 1979 à 1990, et Ronald REAGAN (1911-2004) président américain de 1981 à 1989, des tenants de l’austérité. «Quand j’étais étudiant, je lisais avec passion Sartre et je croyais dur comme fer à sa thèse sur l’engagement de l’écrivain dans son temps et sa société. Je croyais que «les mots étaient des actes» et qu’en écrivant un homme pouvait agir sur l’Histoire. Aujourd’hui, en 1987, de semblables idées peuvent sembler naïves et faire bâiller, la mode est au scepticisme quant au pouvoir de la littérature et aussi de l’Histoire», dit-il, à Marbella, le 15 novembre 1987.

En dépit de la bifurcation dans ses orientations politiques, Mario VARGAS LLOSA est considéré comme l’une des figures majeures de la littérature contemporaine, un homme au regard chaleureux et l’œuvre à la dimension nouvelle. «Je crois que l’on peut dire, sans exagérer, qu’il incarne aujourd’hui, comme peu d’écrivains savent le faire, cette vocation première du roman moderne : conjurer les forces de l’imagination et de l’esprit critique pour dégager la réalité cachée sous des vérités acquises», écrit, en 2006, Antoine GALLIMARD, dans la préface de «la vie en mouvement», son principal et quasi exclusif éditeur en France. Mario VARGAS LLOSA a dénoncé cette «société du spectacle», dans laquelle la culture contemporaine, dans sa dénaturation, ne résistant pas, voire à cet effacement de sa valeur, est devenue une banalisation des arts et des lettres, et donc un triomphe de la presse «people» et de la frivolité des politiques. Les symptômes de ce mal profond résident dans la sacralisation du divertissement comme but ultime de l’existence dans nos sociétés. Alors que, naguère, la culture était un outil de formation et portait une exigence de lucidité, aujourd’hui la primauté du spectacle est devenue la règle qui conduit à la distraction, au sens propre, de toute conscience morale, intellectuelle et politique. Nous vivons l’époque des fausses icônes, des denrées périssables de l’esprit, de la forfaiture morale, en un mot, de l’aveuglement. «Distance, écart, brutalité, force, acharnement, fureur, rage, transgression, agression, sévices, répression, torture, oppression, sacrifice, inceste. les épreuves par lesquelles se déploie ou s’exprime la violence, loin des mots, dans ce qu’il conviendrait de qualifier de bestialité de l’humain sont multiples. La violence, physique ou morale, est déclinée à l’infini dans l’écriture romanesque de Mario Vargas Llosa et contenue dans chacun de ces mots», écrit, en 2019, Claire SOURP, une de ses biographes.

Mario VARGAS LLOSA s’était posé cette question, que soulève notre vénérable ami, Patrick CHAMOISEAU, «que peut la littérature ?». En d’autres termes, comment un roman peut-il changer le monde ? Dans les rapports entre création et société, entre politique et fiction littéraire, Mario VARGAS LLOSA avance l’idée que la littérature peut à nous extraire de notre quotidien et de nous entraîner dans un monde où la fiction apparaît encore plus tangible que la réalité elle-même. Dans ce mouvement de l’écriture vers la vérité, grâce à l’intelligence, nous pouvons conquérir davantage de liberté. «La littérature reste une des meilleures garanties pour espérer une sorte de progrès dans nos sociétés hypertechniques. Si nous ne voulons pas être une société de moutons domesticables et manipulables par toutes les formes de pouvoir, y compris celui de la science, il faut défendre la littérature», dit Mario VARGAS LLOSA. Spécialiste de la description de la réalité sociale, Mario VARGAS LLOSA estime que la littérature est la seule apte à décrire, de façon satisfaisante, la réalité complexe de la vie. Le roman, lui seul, «peut profiter de toute l’expérience humaine. Témoignage subjectif, il exprime dans le même temps ce qu’ont été les hommes d’une époque et d’une société, mais aussi tous les fantômes qui l’ont créée à partir de la réalité objective. La littérature nous permet de la fuir dans la réalité hostile, en nous aidant à mieux la saisir.», dit-il, dans «La littérature est ma vengeance».

«Citoyen de l’universel», Mario VARGAS LLOSA, curieux des autres, à travers son livre, «le tour du monde en 80 textes», il y explore, avec clairvoyance les évolutions sociales et politiques et pose son regard de journaliste sur les traditions culturelles de pays. «Ces quelques chroniques démontrent surtout que Mario Vargas Llosa est un homme curieux de tout, un écrivain nourri de multiples lectures dont la plume n’a de cesse d’interroger le théâtre du monde lointain», écrit Albert BENSOUSSAN, dans la préface. En effet, la littérature est un pont entre les peuples. «La bonne littérature tend des ponts entre gens différents et, en nous faisant jouir, souffrir ou nous surprendre, elle nous unit par-delà les langues, les croyances, les us et coutumes ou les préjugés qui nous séparent. La littérature crée une fraternité à l’intérieur de la diversité humaine et éclipse les frontières érigées entre hommes et femmes par l’ignorance, les idéologies, les religions, les langues et la stupidité», dit-il lors de la réception de son prix Nobel.

Une bonne part de la littérature de Mario VARGAS Llosa, avant qu’il ne vire à droite, est fortement engagée. En effet, à ce titre, que Mario VARGAS LLOSA me parle dans son roman, «La fête au bouc». Dans ce roman, Urania Cabral, une jeune avocate new-yorkaise, après des années d’absence, vient rencontrer, son père mourant à la suite d’un attentat, en 1961, contre Rafael Leonidas TRUJILLO MOLINA (1891-1961), un des pires dictateurs d’Amérique latine ayant régné sur Saint-Domingue, entre 1930 et 1961. Ce roman met en scène le destin d'un peuple soumis à la terreur, à l’endoctrinement, à la propagande, à l’isolement et à l'héroïsme de quatre jeunes conjurés qui tentent l'impossible : le tyrannicide. Il est bien question de folie et de tyrannie. Dans ce mélange entre l’histoire et la création romanesque, Mario VARGAS décrit les mécanismes de la corruption et de la violence à Saint-Domingue. Rafael TRUJILLO, le père de la nation, est un dictateur, mais aussi un grand prédateur sexuel. Pour échapper à sa tyrannie, il faut se soumettre au Bouc, un démon fornicateur, lui envoyer des jeunes filles, des sœurs et même des épouses. «La loyauté n'était pas une vertu dominicaine, il le savait bien. Durant trente ans ils l'avaient adulé, applaudi, mythifié, mais au premier coup de vent, ils sortiraient leurs couteaux», écrit-il. L’Amérique latine, comme l’Afrique, pays pourtant riches de leurs matières premières et de leurs jeunesses, reste encore confrontée à la soumission et la prédation, en raison de la complicité de dictatures compradores.

Je ne peux que recommander, fort modestement, «les temps sauvages», un chef-d’œuvre de la littérature, et à mon sens, l’un de ses meilleurs romans. Ce roman est un épisode clé de la guerre froide : le coup d’État militaire organisé par les États-Unis au Guatemala en 1954, pour écarter du pouvoir le président légitime Jacobo ARBENZ (1913-1971). Ce nouveau roman constitue également une sorte de conclusion d’un autre «La fête au Bouc». L’Amérique latine reste le haut lieu où se pavanent des dictatures militaires. Dans sa création littéraire, avec un immense talent de conteur, Mario VARGAS LLOSA écrit comme un roman noir, une vaste fresque épique, avec une galerie de personnages, comme le colonel Carlos Castillo Armas, un militaire qui trahit son pays et son armée, ou la ravissante et dangereuse miss Guatemala, Marta Parra, issue d’immigrants italiens, un des personnages féminins les plus riches, séducteurs et ambigus. Quand on veut noyer son chien, on l’accuse d’avoir la rage. En pleine période sombre du maccarthysme, le chef des relations publiques de la «United Fruit Company» Jacobo ARBENZ d’être un communiste inféodé à Moscou. En effet, ARBENZ a pris une réforme agraire visant à attribuer à chacun un lopin de terre aux petits paysans, et fait payer des impôts aux grandes sociétés étrangères et aux grands propriétaires ; un rêve de mettre fin à la féodalité. L’histoire, au Chili, de Salvador ALLENDE (1908-1973), mort les armes à la main, à la Moneda, et donc renversé  par Augusto PINOCHET (1915-2006), avait secoué nos consciences. La réalité devient un mythe, une histoire.

Il est vrai que tout choix est arbitraire ; choisir, c’est renoncer. Mario VARGAS étant l’auteur d’une littérature riche et foisonnante, un tri sélectif personnel s’impose. Je recommande aussi «Conversation à la Catedral», un roman aussi emblématique que les «Cent ans de solitude» de Gabriel GARCIA MARQUEZ, et donc qui pourrait résister au temps. «Aucun roman ne m’a donné autant de travail. C’est pourquoi, si je devais sauver du feu un seul de mes romans, ce serait celui-ci» dit-il, dans la préface. Dans ce roman, à la fourrière où il est allé chercher son chien, dans les faubourgs de Lima, Santiago Zavala rencontre le Noir Ambrosio, ancien chauffeur de son père, Don Fermin, et l'invite à boire un verre à La Catedral, une taverne miteuse. Ils restent ensemble quatre heures durant : Santiago veut faire parler Ambrosio sur un passé qui l'obsède. Il repartira, ivre, sans avoir rien appris. Santiago, qui a rompu avec sa famille bourgeoise et qui, après avoir milité chez les étudiants communistes, n'a su devenir qu'un journaliste besogneux et se tient lui-même pour un déclassé, apprend peu à peu la vérité sur son père. En effet, son père, une importante personnalité dépravée, homosexuelle, en raison de ses mœurs et de sa notoriété qu’il ne voulait pas ruiner, faisait l’objet d’un chantage de la pègre. C’est son chauffeur noir, qui a fait assassiner La Muse, chanteuse de cabaret, qui le faisait chanter.

«Conversation à la Catedral», une réponse au silence et à la censure, n’est cependant pas un roman historique, au sens strict du terme. Ses personnages, les histoires qu'ils racontent, les fragments de vie qu’ils assemblent, composent la description détaillée d'un processus moral d’avilissement collectif. Mario VARGAS y relate tous les chemins et les détours qui conduisent un pays entier à la soumission ou, pire encore, à la collaboration avec un dictateur. Mario VARGAS LLOSA, en raison de son talent de conteur, fait une nouvelle fois appel à son écriture rythmée, polyphonique, tissée d’une soierie aux fils littéraires enchevêtrés. Aussi, les personnages se multiplient, la linéarité du récit se disloque, tout se dédouble, se rejette et se croise à la Catedral, qui n'en est pas une, mais un bistrot. C’est donc une œuvre foisonnante, intimidante, mais hautement riche, toute à la fois une étude politique, une dénonciation de la dictature, un polar crapoteux, une autobiographie désenchantée, une chronique historique, une satire amère, et un triste feuilleton sentimental. Spécialiste de la description réaliste des sociétés, son ambition littéraire est de dévoiler la vie intimes des Hommes «Il faut avoir fouillé toute la vie sociale pour être un vrai romancier, vu que le roman est l’histoire privée des nations», cite-t-il Honoré de BALZAC.

Références bibliographiques

A – Contributions de Mario VARGAS LLOSA

VARGAS LLOSA (Mario) interviewé, La vie en mouvement, présentation d’Antoine Gallimard, interview d’Alonso Cueto, traduction d’Albert Bensoussan, Paris, Gallimard, 2006, 146 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), Contre vents et marées, traduction d’Albert Bensoussan, Paris, Gallimard, 1989, 380 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), Conversation à la Catedral, traduction de Bernard Sésé, Paris, Gallimard, 1973, 570 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), Eloge de la marâtre, traduction d’Albert Bensoussan, Paris, Gallimard, 1992, 210 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), L’appel de la tribu, traduction d’Albert Bensoussan et Daniel Lefort, Paris, Gallimard, 2022, 352 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), L’orgie perpétuelle. Flaubert et Madame Bovary, traduction d’Albert Bensoussan, Paris, Gallimard, 1978, 240 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), La civilisation du spectacle, traduction d’Albert Bensoussan, Paris, Gallimard, 2015, 240 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), La fête au bouc, traduction d’Albert Bensoussan, Paris, Gallimard, 2019, 592 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), La guerre et la fin du monde, traduction d’Albert Bensoussan, Paris, Gallimard, 1987, 704 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), La littérature est ma vengeance. Conversations avec Claudio Magris, traduction d’Albert Bensoussan, Daniel Lefort et Marie-Noëlle Pastureaud, Paris, Gallimard, 2021, 96 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), La tante Julia et le scribouillard, préface d’Albert Bensoussan, Paris, Gallimard, 2018, 258 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), La vérité par le mensonge, traduction d’Albert Bensoussan, Paris, Gallimard, 2006, 420 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), La ville et les chiens, traduction de Bernard Lesfargues, Paris, Gallimard, 1981, 400 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), Le héros discret, traduction d’Albert Bensoussan et Anne-Marie Casès, Paris, Gallimard, 2017, 496 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), Le paradis, un peu plus, traduction d’Albert Bensoussan, Paris, Gallimard, 2005, 595 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), Le poisson dans l’eau : mémoires, préface d’Albert Bensoussan, Paris, Gallimard, 1997, 724 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), Le rêve du Celte, traduction d’Albert Bensoussan, Paris, Le Grand livre du mois, 2011, 521 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), Le tour du monde en 80 textes ou presque, Paris, L’Herne, 2023, 256 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), Les cahiers de Don Rigoberto, traduction d’Albert Bensoussan, Paris, Le Grand livre du mois, 1989, 406 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), Les caïds, traduction de Sylvie Sésé-Léger et Bernard Sésé, Paris, Gallimard, 2018,  256 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), Les chiots, traduction d’Albert Bensoussan, Paris, Gallimard, 2002, 83 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), Les contes de la peste, traduction d’Albert Bensoussan, Paris, Gallimard, 2019, 168 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), Les enjeux de la liberté, préface d’Albert Bensoussan, Paris, Gallimard, 1997, 412 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), Lituma dans les Andes, traduction d’Albert Bensoussan, Paris, Gallimard, 1996, 324 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), Pantaléon et les visiteuses, traduction d’Albert Bensoussan, Paris, Gallimard, 1990, 320 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), RONDEAU (Daniel), Discours de réception de Mario Vargas Llosa à l’Académie française et réception de Daniel Rondeau, Paris, Gallimard, 2023, 352 112 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), Sur la vie et la politique, préface d’Albert Bensoussan, traduction de Jean Demeys, Paris, Belfond, 1989, 195 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), Temps sauvages, traduction d’Albert Bensoussan et Daniel Lefort, Paris, Gallimard, 2023, 592 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), Théâtre complet, traduction d’Albert Bensoussan, Paris, Gallimard, 2011, 571 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), Tours et détours de la vilaine fille, traduction d’Albert Bensoussan, Paris, Gallimard, 2008, 417 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), Un barbare chez les civilisés, traduction d’Albert Bensoussan, Paris, Gallimard, 1998, 353 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), Un demi-siècle avec Borgès, traduction d’Albert Bensoussan, Paris, L’Herne, 2010, 112 pages ;

VARGAS LLOSA (Mario), Voyage vers la fiction, le monde de Juan Carlos Onetti, traduction d’Albert Bensoussan, Paris, Gallimard, 2009, 272 pages.

B- Critiques et biographies

BENSOUSSAN (Albert), Mario Vargas Llosa, écrivain du monde, Paris, Gallimard, 2022, 233 pages ;

BOLDORI de BALDUSSI (Rosa), Mario Vargas Llosa, Y Literatura en el Peru de Hoy, Santa Fe, (Argentine) Ediciones Colmenga, 1969, 84 pages, texte en espagnol ;

DIEZ (Luiz, A.), Mario Vargas Llosa’s Pursuit of Total Noval, préface de Jean Franco, Mexico, Cuervanaca, 1970, 362 pages ;

DURAN (Victor, Manuel), A Marxist Reading of Fuentes, Vargas Llosa, and Puig, Lanham, University Press of America, 1994, 118 pages, spéc pages 15-40 ;

France Culture, «Mario Vargas Llosa, écrivain engagé», en quatre épisodes : «Une œuvre monde»,  9 janvier 2017, 59 minutes ; «Le romancier et l’homme d’action», 10 janvier 2017, 58 minutes ; «Une écriture de la violence», 11 janvier 2017, 58 minutes et «Devenir écrivain», 12 janvier 2017, 58 minutes ;

GUINHUT (Thierry), «Mario Vargas Llosa, romancier des libertés», Revue des Deux-mondes, novembre 2016, pages 174-178 ;

LACROIX (Alexandre), «Conversation à la Catedral : le roman de Mario Vargas Llosa, qu’il faudra lire absolument», Philosophie, 17 septembre 2025 ;

MARCY (Anne), Littérature et action politique. Le Pérou de Mario Vargas Llosa, Paris, 1990, SN, 266 pages ;

MARTIN (Jose, Luis), La Narrativa de Vargas Llosa, Acercamiento Estilistico, Presses Madrid, Editorial Gredos, 1974, 312 pages, texte en espagnol ;

SCARPETTA (Guy), L’âge d’or du roman, Paris, Grasset, 1996, 341 pages, spéc sur «l’affolement du récit» de Mario VARGAS à propos de «Tante Julie et le Scribouillard», pages 95-112 ;

SOURP (Claire), Mario Vargas Llosa, une écriture de la violence, Presses universitaires de Rennes, 2019, 320 pages ;

YSNEL (Catherine), La société péruvienne dans le roman de Mario Vargas Llosa, thèse sous la direction de Claude Cymerman, Rouen, Université de Rouen Normandie, 1990, 442 pages.

Paris, le 14 avril 2025 par Amadou Bal BA

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