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Paulette NARDAL (1896-1985), marraine et égérie de la Négritude» par Amadou Bal BA -
Qualifiée par Joseph ZOBEL de «marraine de la Négritude», Paulette NARDAL est une journaliste, écrivaine, femme de lettres, curieuse, militante de la cause de l’égalité réelle, professeure d’anglais, et même musicienne. Etudiantes à Paris, Paulette NARDAL et ses sœurs Jane et Anne, tiennent, à partir de 1929, au 7 rue Hébert, dans leur maison de Clamart, dans les Hauts-de-Seine, un salon littéraire, pour promouvoir «l’Internationalisme noir». S'y croisent des artistes qui portèrent la «Harlem Renaissance» (Claude McKAY (1889-1948), Langston HUGHES (1901-1967), Joséphine BAKER (1921-1975), le panafricaniste Marcus GARVEY (1887-1940), ainsi que Félix EBOUE (1884-1944), administrateur colonial et humaniste. Occultée, éclipsée et écrasée par la notoriété des pères fondateurs officiels de la Négritude, comme Léopold Sédar SENGHOR (1906-2001) ou Aimé CESAIRE (1913-2008), elle a eu une activité éditoriale décisive pour faire émerger «la conscience noire». Tanella BONI, évoquant les combats de Paulette NARDAL et de Suzanne ROUSSI épouse CESAIRE (1915-1966), écrit que «malgré la faiblesse supposée de leurs corps, elles ont été, leur vie durant, des résistantes et des battantes pour la cause des femmes mais aussi du point de vue de la pensée littéraire, artistique et philosophique. Si l’une et l’autre dénoncent l’assimilation qui, entre autres, produit une littérature et une poésie d’imitation, elles accordent une place de choix à la part africaine présente dans l’histoire des Caraïbes». Paulette NARDAL est désormais une figure reconnue et majeure de la cause de l’émancipation des offensés et des humiliés : «A l’occasion du premier festival mondial des Arts nègres, j’ai été amené à faire l’historique du mouvement de la Négritude. C’est ainsi que je me suis souvenu, qu’à côté des Négro-Américains et des Haïtiens, il y avait les Martiniquais et, parmi ceux-ci, votre initiative, si féconde, de la Revue du monde noir» écrit le président SENGHOR à Paulette NADAR, dans une lettre du 11 octobre 1966. En effet, Paulette NARDAL dira, par la suite, à propos de la négritude et de l’appropriation de cette idée, «Césaire et Senghor ont repris des idées que nous avons brandies, et les ont exprimées avec beaucoup plus d’étincelle, nous étions que des femmes, nous avons balisé la piste pour les hommes». Le président-poète sénégalais le reconnaît : «C’est grâce à Paulette Nardal, la Martiniquaise, fondatrice de la Revue du Monde Noir, dans les années 30, que j’ai rencontré Alain Locke et Mercer Cook» écrit-il dans «Liberté» vol 3, page 274. Le prédisent SENGHOR écrira «Elle nous conseillait dans notre combat pour la résurrection de la négritude». Dans ses mémoires, Paulette NADARL affirme qu’elle l’a aidé à s’inscrire à la Sorbonne. SENGHOR «est venu après les revues nègres. Au cours de ma première année en Sorbonne René Maran, reçoit le Prix Goncourt. C’est lui qui, à ma demande, a fait inscrire Senghor en Sorbonne ; il avait un ami au secrétariat» dit-elle. Aimé CESAIRE n’aimait que rarement au salon littéraire des NARDAL : «Deux Martiniquaises, les sœurs Nardal, tenaient alors un grand salon. Senghor le fréquentait régulièrement. Pour ma part, je n’aimais pas les salons, je ne les méprisais pas pour autant, et je ne m’y suis rendu qu’une ou deux fois, sans m’y attarder» écrit-il. Aimé CESAIRE, alors maire de Fort-de-France, le 22 mai 1975, au cours d’une cérémonie de l’esclavage, a rendu un vibrant hommage à Paulette NARDAL «pour sa contribution à la fierté noire».
Bien avant «Présence Africaine» en 1947, Paulette NARDAL est Secrétaire générale de «la Revue du Monde Noir», fondée en 1931 par le docteur SAJOUS, hébergée chez elle, une revue bilingue qu’elle traduit en anglais. L’objectif de cette revue dont est de donner à l’élite intellectuelle de la Race noire et aux Amis des Noirs, un organe où publier leurs œuvres, et de créer entre les Noirs du monde entier un lien intellectuel et moral. Par ce moyen, la Race noire contribuera, avec l’élite des autres races, «au perfectionnement matériel, intellectuel et moral de l’Humanité. En vue de former une grande Démocratie, prélude à la Démocratie universelle». Des noms prestigieux ont collaboré à cette revue comme Jean PRICE-MARS (1876-1969) ethnographe, diplomate et écrivain haïtien, Etienne LERO (1910-1939), martiniquais et fondateur du groupe «Légitime Défense», René MENIL (1907-2004), philosophe et grand penseur martiniquais, René MARAN (1887-1960), prix Goncourt de 1921, et Léo FROBENIUS (1873-1938), explorateur, ethnologue et archéologue allemand. La «Revue du Monde noir» n’a fait paraître que six numéros. Elle a été tout de suite interdite en Afrique et aux Antilles et les publications ont cessé faute de soutien financier «Nous avons pleinement conscience, de ce que nous devons à la culture blanche, et nous n’avons nullement l’intention de l’abandonner pour favoriser, je ne sais quel retour à l’obscurantisme. Sans elle, nous n’eussions pas pris conscience de ce que nous sommes. Mais nous entendions dépasser le cadre de cette culture pour chercher, à l’aide des savants de race blanche et de tous les amis des Noirs, à redonner à nos congénères la fierté d’appartenir à la race dont la civilisation est peut-être la plus ancienne du monde» dit-elle.
Née le 12 octobre 1896, au François, en Martinique, Paulette NARDAL est l’ainée d’une famille de sept sœurs : Emily (1898-1981), Alice (1900-2000), Jane (1902-1993), Lucie (1905-1998), Cécile (1903-1999), Andrée (1910-1935). Dans ses mémoires, Paul NARDAL affirme que Léopold Sédar SENGHOR, en 1935, qui préparait son diplôme d’études supérieures sur Jeanne Duval, avait demandé en mariage sa jeune sœur, Andrée, mais «elle était déjà fiancée à Roland Boisneuf, le fils du député de la Guadeloupe, qu’elle a épousé ; elle a eu huit jours de mariage, et elle est morte de méningite». Issue d’une famille bourgeoise et cultivée, son père, Paul NARDAL, (1864-1960), dont les parents avaient été esclaves, fut le premier le Martiniquais noir, après l’abolition de l’esclavage à avoir obtenir une bourse pour les Arts et métiers, dont il dont il sortira le premier ingénieur noir. Enseignant en physique et chimie, il terminera sa carrière en qualité de chef des eaux et assainissement. Ses grands-parents paternels sont des anciens esclaves : Joachim NARDAL, affranchi en 1854 et d’Alexandrine AVANET, affranchie en 1849. Ce qui caractérise son père, non politisé et refusant d’adhérer à la franc-maçonnerie, c’est sa grande droiture, son honnêteté, et la considération qu’il accorde à chacun, quelle que soit sa caste sociale. Sa mère, Louise ACHILLE (1869-1942), est institutrice et professeure de piano ; pieuse et charitable, elle est co-fondatrice et présidente de groupes mutualistes et charitables de femmes. «Nous étions baignés dans la culture. J’étais toujours entourée de jeunes qui s’intéressaient à l’art, mes parents organisaient des concerts et animaient des stages de musique. Merci à nos parents, nous étions plongés dans une ambiance de foi et de beauté intérieure» dit Paulette NARDAL. Passionnée de musique comme sa mère, elle a chanté, en 1916, devant le président Théodore ROOSEVELT (1859-1919) en visite en Martinique. Paulette NARDAL est élevée dans l’admiration des grandes œuvres de la culture classique occidentale, mais également dans la fierté d’être noire, contre les stéréotypes de l’époque en Martinique.
Paulette NARDAL séjourne à Paris entre 1920 et 1939. Sa première résidence est une pension protestante, à la rue Boulard, à Paris 14ème, puis à la rue docteur Roux, dans le 15ème, avant de déménager à Clamart. C’est une époque où les étudiants noirs, encore peu nombreux en France, vivaient entre eux, en ghetto. «Nous trouvions qu’il y avait assez de quantités de qualités à acquérir au contact du peuple français. Ils se privaient d’un certain enrichissement en vivant comme cela entre eux» dit-elle dans ses mémoires. Paulette NARDAL est émue par le suicide de Roger SALENGRO (1890-1936), député du Nord et maire de Lille ; et, elle a apprécié la finesse de Léon BLUM (1872-1950), président du conseil et figure historique du socialisme. Les années 20, c’est surtout l’émergence des revues nègres de Joséphine BAKER, l’emballement pour l’art nègre qui a révélé Pablo PICASSO (1881-1973), bref une réhabilitation de l’homme noir. Par la suite, il y aura l’Exposition coloniale. Dans son article, «En exil» et publié en 1929, dans «La Dépêche africaine» puis sur sa contribution à un guide touristique de la Martinique qu’elle rédigea à la demande du ministère des Colonies pour l’Exposition coloniale internationale de 1931, ces contributions montrent, chez Paulette NARDAL, la permanence d’une approche intersectionnelle pour décrire la condition des femmes martiniquaises et d’une pensée qui articule la France comme «grande patrie» et la Martinique comme «petit pays». En effet, Paulette NARDAL milite pour une conception d’une citoyenneté plurielle franco-antillaise et donc fait émerger, bien avant Edouard GLISSANT (1928-2011), une vision nuancée et complexe de l’identité caribéenne, conçue comme un espace de convergences et d’influences multiculturelles. En effet, dans «Exil», Paulette NARDAL fait le récit de la vie dure d’une vendeuse martiniquaise, contrainte, pour nourrir sa famille, de s’exiler en métropole : «Ce pays ne convient vraiment pas à cette vieille négresse déjà alourdie par l’âge et percluse par les rhumatismes. Le regard lointain, elle se revoyait dans son bourg natal, en Sainte-Marie, où elle avait passé sa jeunesse» écrit-elle.
Pour l’éditeur PAYOT considère que le Noir n’est pas assez profond pour susciter un nombre de lecteurs capables d’intéresser un éditeur. Ce qui a frappé le plus Paulette NARDAL, c’est que les Français pouvaient vibrer devant les productions musicales noires et admirer les acteurs noirs de passage. «Nous étions étudiantes, complètement assimilées. C’est en France que j’ai pris conscience de ma différence. L’esclavage. C’est une révélation ! Nous faisions connaissance, là, en même temps avec l’histoire des Noirs ; car les Negro Spirituals sont l’aboutissement de toutes leurs souffrances ; nous faisions connaissance avec notre histoire. C’est à ce moment-là que nous avons ressenti de la fierté de ce que les Noirs, si décriés, ont apporté aux Blancs» écrit-elle.
Paulette NARDAL est la première femme noire inscrite à la Sorbonne, où elle étudie l’anglais. Elle consacre son mémoire de fin d’études à Harriet BEECHER STOWE (1811-1896), abolitionniste convaincue, philanthrope, et auteure, en 1852, de «La case de l’Oncle Tom». Paulette NARDAL avait voulu aborder le sujet sous l’angle racial ; ce qui a été refusé par la Sorbonne ; la version définitive est devenue : «The Work of Mrs. Beecher Stowe 1. Uncle Tom's Cabin ; 2. Puritanism in New England”. En effet, ce séjour en France est une révélation pour sa conscience de Noire «Certains sujets étaient tabous en Martinique. Malheur à qui osait y toucher : On ne pouvait parler ni d’esclavage, ni proclamer sa fierté d’être descendante de Noirs Africains, sans faire figure d’exaltée ou, tout au moins, d’originale. Cependant la conscience de race s’était éveillée chez certains Antillais, mais il leur avait fallu, pour cela, s’éloigner de leur patrie. Le déracinement qu’ils ressentirent dans la métropole où le Noir n’a pas joui de considération leur avait fait une âme nègre» écrit-elle en 1932.
Militante féministe, Paulette NARDAL participe à l’animation de différentes revues «La Femme dans la cité» et la «Dépêche Africaine». Elle se battait pour la participation des femmes aux élections, pour elle, l’abstention est «un crime social». Paulette NARDAL a voulu secouer le cocotier, en remuant la conscience des femmes «J’en appelle à toutes les femmes qui, jusqu’ici sont restées indifférentes à la chose politique, mais qui trouvent néanmoins que tout va mal, à toutes celles qui ne votent pas. Vous avez la possibilité de changer tout cela. Vous n’avez pas conscience de votre valeur. Vous comptez pour rien dans la Nation. Le jour du scrutin vous serez les égales des hommes. Ce jour-là, les distinctions de classe seront abolies» écrit-elle en novembre 1946. Pour Eve GIANONCELLI, il s’agit de la naissance d’une «conscience noire genrée», la socialisation de l’individu doit être associée à sa capacité de révolte contre un ordre injuste. «Très sensible à la condition féminine, toujours, avant et surtout après mon séjour parisien. Si j’avais dit ce que je pensais réellement, j’aurais dressé tous les hommes de la Martinique contre moi. Fervente chrétienne, ce fut le choc des Negro Spirituals à Paris. Ayant perçu, avant les hommes, la nécessité d’une solidarité raciale, j’ai aussi voulu sensibiliser les femmes à la chose sociale et à la fierté noire, avant-guerre, dans de nombreuses publications, puis en Martinique» dit-elle. «En faisant de la Négritude, on s’occupait déjà du combat des femmes» dit-elle. Paulette NARDAL est à l’affût de tout stéréotype pouvant dévaloriser ou humilier l’Homme noir. Ainsi, dans son article «Guignol ouolof», en 1935, Paulette NARDAL, dans un café du Quartier Latin, est confronté à un Noir dans un accoutrement grotesque «Tout à coup s’interpose la silhouette d’un Noir immense. Costume de général d’opérette. Drap noir sur lequel éclatent des brandebourgs imposants, épaulettes, casque d’officier allemand, galonné d’or et de rouge, et détail encore plus inattendu, monocle à cordonnet noir, encastré dans l’arcade sourcilière gauche. Ce détail incongru, dans ce costume absurde, n’arrive pas à donner au long visage ouolof, l’effet grotesque recherché» écrit-elle. Ce Noir caricatural amuse les Blancs, mais faudrait-il pour autant participer à ce triste spectacle, du Noir léger, ne se prenant pas au sérieux, au détriment de la solidarité de couleur ? Est-ce pénible, pour ce guignol, de faire rire les autres ? Il répond, avec bon sens «Pas plus qu’un acteur comique au théâtre. J’ai d’ailleurs été acteur. J’aime autant faire ce métier ridicule que d’être chômeur ou vivre des femmes. Les Blancs veulent qu’on les fasse rire ; moi, je veux bien, au moins, je peux manger» répond le guignol ouolof. Dans le même numéro de 1935, de «l’Etudiant noir», Aimé CESAIRE est l’auteur d’un article sur «Négreries : jeunesse noire et assimilation». Il est bien question d’assimilation malencontreuse, un Nègre qui voulait devenir autre : «Un jour un Nègre s’empara de la cravate du Blanc, se saisit d’un chapeau melon, et repartit en riant. Ce n’était qu’un jeu, mais le Nègre se laissait prendre au jeu : il s’habitua si bien à la cravate et au chapeau melon qu’il finit par croire qu’il avait toujours portés ; il se moqua de ceux qui n’en portaient point et renia son père qui avait Esprit de brousse» écrit-il. Pour Aimé CESAIRE, le fou est toujours fou, en un certain sens, mais le Nègre qui tue en lui le Nègre n’a pas la foi en soi, et par là qu’il se sauve de la folie. C’est une sottise que de vouloir être assimilé ; c’est oublier nul ne peut changer de faune.
Paulette NARDAL a hérité de sa mère la fibre sociale, l’esprit religieux ainsi que les dimensions artistique et musicale. «J’ai appris le piano, j’ai fait 5 ans de violon. Il y a de ces impressions d’enfance, ces impressions qu’on garde, impressions d’enfance, ces choses qui vous reviennent plus tard» dit-elle dans ses mémoires. Institutrice, Paulette NARDAL, dans sa fibre sociale, s’intéressait à la médecine scolaire. En 1935, Paulette NARDAL se mobilise contre l’invasion de l’Ethiopie par l’Italie. En raison de cet esprit religieux et ses relations, cela lui a aussi ouvert les portes du journalisme, notamment dans diverses revues chrétiennes, comme «La Paix». En effet, c’est le père André FROSSARD (1915-1995), chroniqueur au Figaro, membre de l’Académie française et fils de Louis-Oscar FROISSARD (1889-1946), fondateur du Parti communiste, qui «m’a donné les quelques leçons de journalisme ; il m’a appris les leçons du journalisme ; ce que je faisais était synthétique. J’ai dû apprendre la sténographie et la dactylo. Je voulais vivre ; faire quelque chose d’autre. Il faut croire que j’avais une espèce de vocation. Plus tard, j’ai lancé la revue» dit-elle. Paulette NARDAL a également exercé des fonctions d’assistante parlementaire, d’abord de Joseph LAGROSILLIERE (1872-1950), député socialiste de la Martinique, puis du député du Sénégal, Mamadou N’Galandou DIOUF (1875-1941). Mais, elle a pu rencontrer de nombreuses personnalités grâce aux pères dominicains, dont les pères Denys GORCE (1890-1984) et DUCOTILLON, qui ont été ses directeurs de conscience. Ils étaient «libéraux et d’une grande générosité à l’égard des problèmes raciaux» dit-elle dans ses mémoires. Ainsi, Paulette NARDAL a publié des articles dans la revue du Cerf, notamment sur la situation économique aux Antilles, concernant la misère du peuple et les bas salaires. Assistante parlementaire du député du Sénégal, N’Galandou DIOUF, qui avait une femme peule, Paulette NARDAL avait un désir intense de connaître l’Afrique. N’Galandou DIOUF consultait souvent un marabout ou se faisait tirer des cartes qui prévoyaient un malheur, en cas de voyage de Paulette NARDAL en Afrique. Paulette NARDAL finira, en dépit de ces superstitions, par se rendre, pendant un mois et demi, au Sénégal avec N’Galandou DIOUF «Je me suis dit «Me voici en Afrique ! Me voici au pays de mes ancêtres !». N’Galandou DIOUF, un polygame, avait une deuxième femme au Sénégal et l’a faite visiter Saint-Louis qui «ressemble un peu à Fort-de-France» dit-elle. A Dakar, Paulette NARDAL habitait, avec les coloniaux, dans un hôtel et la journée devait se rendre, pour son travail à l’hôtel de ville ; le maire de l’époque était Alsacien. Ce que déplore Paulette NARDAL, c’est l’occidentalisation des hommes sénégalais et la solidarité familiale «Il suffit qu’un fils de famille ait été à l’école, qu’il ait acquis un petit grade quelconque ; il s’habille comme un métropolitain ; c’est le seul qui gagne de l’argent et toute la famille compte sur lui». Cependant, pour Paulette NARDAL les Africains n’ont pas le sens de la valeur de l’argent «C’est pourquoi, on dit qu’on ne peut pas leur confier une caisse. Ce qui est à toi est à moi. C’est cela la leçon de la colonisation». Cependant, Paulette NARDAL a salué l’existence d’un journal féminin au Sénégal : «Awa».
Femme jalouse de son indépendance et de sa liberté, profondément croyante, Paulette NARDAL, sans enfants, ne s’est jamais mariée : «J’aime bien les enfants, mais je suis affreusement lâche ! Je ne supporte pas la douleur physique. J’ai eu l’occasion, de me marier, j’ai dit non. L’affirmation de mon indépendance réside dans mon célibat. Je crois à la destinée ; je crois que le mariage n’était pas fait pour moi» dit-elle. Paulette NARDAL n'acceptait pas les préjugés et le défaitisme «Souvent, on a dit : «Ah ! c’est la plus foncée, mais c’est la plus intelligente ! . C’est ce «mais» que nous n’avons jamais admis» dit-elle. «Dieu nous a fait Noirs ! Il faut le supporter» une idée bien répandue, avec un sous-entendu, qu’il faudrait accepter son infériorité, cette noirceur inhérente à la barbarie. «En ces temps-là, la pauvreté, la laideur, la bêtise, voire la méchanceté, étaient imputées à la couleur noire. La noirceur de peau semblait aussi désavouable que l’esclavage et la traite, qu’on semblait lui faire grief d’avoir inspirés» écrit Joseph JOBEL dans «Et si la mer n’était pas bleue». Dans cet ouvrage, Joseph ZOBEL (1915-2006) a rendu hommage à la famille NARDAL «On lui savait gré d’avoir honoré la race. Les Nardal, ces gens-là, on a cru qu’ils faisaient exprès d’être Noirs comme ça. Les Nardal, on aurait dit une famille royale d’Afrique transplantée à la Martinique. Retranchée dans une manière d’être, ils sont dans une sorte d’entêtement à ne pas renier, ni oublier, ni déprécier. Être Noirs, comme l’étaient les Nardal, et habiter la rue Schoelcher ! Fallait y trou Ils ne voulaient faire partie de la bonne société de Fort de France. Les Nardal, elles avaient des allures de porte-drapeaux de la race» écrit-il. «Vous auriez pu être notre Jeanne d’Arc» lui dit un jour, un ami de N’Galandou DIOUF, député du Sénégal.
Paulette NARDAL a été victime d’un grave accident, en octobre 1939, à la suite du naufrage du bateau «Bretagne», le genou gauche est invalide à 65%. Enseignante pendant seize années, Paulette NARDAL sera également secrétaire particulière du militant pour les droits civiques, Ralph BUNCHE (1904-1971), politologue, compagnon de route de Martin Luther KING (1929-1968), diplomate afro-américain et prix Nobel de la paix, puis sera déléguée à l'O.N.U. de 1946 à 1949, à la section des territoires autonomes. Paulette NARDAL s’installe, définitivement en Martinique. Paulette NARDAL disparait à Fort de France, en Martinique, le 16 février 1985.
Paulette NARDAL et ses soeurs «ont voulu être des intellectuelles. C’était en fait un domaine réservé aux hommes. Alors on ne leur permettait pas d’entrer dans ce terrain qui les fascinait» écrit Maryse CONDE, prix Nobel alternatif de littérature. La reconnaissance est finalement arrivée, de façon tardive. Le 3 décembre 1966, Paulette NARDAL, à 70 ans, est décorée de la distinction de Commandeur de l’Ordre National du Sénégal. «J’ai adressé, en ce soir mémorable de la remise de la décoration sénégalaise, une pensée émue à ma mère grande chrétienne qui, au-delà des œuvres de charité, nous a inculqué le sens du service social» dit-elle. En 2019, une Promenade, Paulette et Jane NARDAL, a été inauguré, 2 rue Huguette Schwartz, à Paris 14ème. A Fort-de-France, une place et un lycée portent son nom.
Références
1 – Contributions de Paulette NARDAL
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NARDAL (Paulette), «En exil», La Dépêche africaine, n°19, 15 décembre 1929, page 6 ;
NARDAL (Paulette), «Guignol ouolof», L’Étudiant noir, mars 1935, n°1, pages 4-5 ;
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NARDAL (Paulette), «Une noire parle à Cambridge et à Genève», La Revue du Monde noir, 1931, n°1, pages 40-41 ;
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2 – Critiques de Paulette NARDAL
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Paris, le 15 août 2021 par Amadou Bal BA -