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«Toumani DIABATE (1965-2024), virtuose de la Cora, musicien, maître-griot malien, nationaliste et anticolonialiste» par Amadou Bal BA -
Toumani DIABATE, né le 10 août 1965, à Bamako, au Mali, est un griot de la 71ème génération de l’Empire du Manding (Mali, Sénégal, Gambie, Guinée, Guinée-Bissau, Burkina, RCI, Mauritanie, une partie du Nigéria), un État médiéval, fondé par Soundiata KEITA au 13ème siècle avec une Charte des droits de l’Homme, bien avant la Magna Charter. «Soundiata, Samory, Samba Galadiégui et tant d'autres sont des personnages qui ont existé, et si leur histoire est à l'heure actuelle fortement teintée de légende, on le doit à la tradition orale qui, en transmettant l'histoire d'une génération à l'autre, contribue à l'embellir en y ajoutant le merveilleux», écrit Abdoulaye SADJI dans «Ce que dit la musique africaine» (Voir mon article sur cet auteur, Médiapart, 2 avril 2023). La musique malienne est si puissante et si riche que pendant longtemps, au Sénégal, elle y avait étouffé toute créativité artistique. C’est El Hadji Omar TALL, dans son islamisation du Mali, au XIXème qui avait ramené cette musique au Fouta-Toro, à travers la chanson «Taara». En effet, «l'aire d'influence mandingue est un fabuleux creuset de musiques. Ce sont incontestablement les plus répandues et les mieux connues des musiques africaines en France. Les peuples de ces régions, Malinké, Bambara, Soninké, Peuls, Dioulas, ont su enrichir, chacun à leur manière, un fond traditionnel musical raffiné, aussi puissamment ancré dans une même culture ancestrale qu'un tronc de baobab dans la terre de la savane», écrit François BONSIGNOR, dans «Hommes et Migrations».
Toumani DIABATE, qui nous a quittés le 19 juillet 2024, à Bamako, récipiendaire du Grammy Award de la Cora, du 25 février 2011, est l’auteur d’une musique sublime, dont le «Mali-Sadio», un conte traditionnel relatant l'histoire d'un jeune hippopotame au chanfrein blanc et aux pattes blanches jusqu'aux garrots. Unique parmi ceux de sa race, il apparut pour la première fois aux hommes de Bafoulabé et se lia très vite d'amitié avec les enfants de la ville. «Mali-Sadio Louanges aux gens de Bafoulabé. Les hommes, les femmes, les enfants sont à Mali-Sadio», chante-t-il. La chanson «Diarabi» est un hymne d’amour mandingue. Il ne s’agit pas de cette passion chaude, brûlante, ces feux de l’amour à la française, mais un idéal d’amour froid, marqué par un frisson du sentiment «J’ai posé ma main sur sa poitrine, elle s’est refroidie. J’ai posé ma main sur son bas ventre, tout mon corps s’est refroidi. Si j’évoque les frissons, il s’agit bien de frissons de l’amour», chante-t-il.
Fils de Nama KOITA dite Néné, membre du ballet national, et de Sidiki DIABATE (1922-1996), roi de la Cora au Fespac de Lagos en 1977, une famille originaire de Galin (Kita, Mali), l’artiste malien, Toumani DIABATE a appris son métier de «Dialy» ou griot, de génération en génération. Son grand-père, Amadou BANSANG, était également griot. Ses enfants, Sidiki, sont la 72ème génération. «Je suis né dans la grande famille Diabaté. Mon père était né en Gambie. Mais le père de mon père était né au Mali. L’empire mandingue unifiait ces pays divisés par la colonisation. Tout le monde peut aimer et apprendre à jouer la Cora, mais être propriétaire de sa Cora c’est autre chose. On nait griot, on ne peut pas le devenir. J’écoutais les cassettes de mon père et de mon grand-père. Le «Dialy» ou griot signifie «le sang». Si la société mandingue était un être vivant, les griots seraient le sang qui l’irrigue. Le griot accompagne tous les moments importants de la société mandingue : mariages, baptêmes, décès, etc. Chaque famille a un griot qui connaît son histoire. Une famille de griots représente une grande école qui n’en finit pas. C’est une école de la vie.», dit-il à François BONSIGNOR. En 1987, son album «Kaira» est en hommage à son père, Sidiki, mais aussi symbolise son anticolonialisme et son panafricanisme «Kaira a cristallisé un mouvement de résistance culturel contre la colonisation. Quand les Français sont venus en Afrique, ils ont divisé l'empire. Le premier acte de la colonisation est d'étouffer la culture des peuples colonisés. Un peuple sans culture n'a pas d'identité. Mon père a participé au mouvement Kaira pour maintenir la culture mandingue. Pour avoir joué «Kaira», il a été arrêté et mis en prison. Lui et ses camarades n'avaient d'autres armes que leurs instruments : la kora, le djembé, le tama, le balafon. Leur message était le suivant : «Vous êtes ici comme colonisateurs, mais vous ne pourrez jamais nous enlever notre culture», dit-il à François BONSIGNOR. «J’entends dans ta kora parfois même ta colère. J’entends dans ta kora ton cœur qui bat, mon frère Toumani Diabaté. J’entends dans ta kora toute l’humilité à la verticale dans l’immensité Toumani Diabaté. J’entends dans ta kora l’enfant qui part en guerre», chante Fatoumata DIAWARA, dans «Manitoumani», un extrait de l’album «Lomali», des paroles de Matthieu CHEDID.
La Cora se joue à quatre doigts, et raconte l’histoire de l’Afrique. L’artiste, qui a fréquenté l’école française, démarre le métier de griot et d’artiste très jeune, membre de l’orchestre, le Koulikoro, à l’âge de 16 ans, en 1978, il remporte le prix de meilleur orchestre traditionnel à la Biennale du Mali. Il est aussitôt recruté par l'orchestre national du Mali, dirigé par son père et où chante sa mère. La Cora a des origines divines et magiques. Toumani DIABATE est professeur de Cora au conservatoire des arts et métiers du Mali, crée en 2005 : «La Cora est un cadeau offert par les esprits de la montagne du Gabou (Guinée-Bissau). Ce cadeau a été offert par une femme. C’est pour cela que la Cora porte un nom féminin. La guitare fait face au public, lorsqu’on la joue, le balafon est couché», dit à François BONSIGNOR. Dans sa revendication de l’originalité de la culture africaine, il a fondé le Symmetric Orchestra, pour la défense de la culture mandingue, au moment où le Rapp est devenu la forme d’expression privilégiée de la jeunesse africaine, «l’Afrique mandingue a besoin de retrouver l’émotion vivante de ses musiciens», dit-il. En effet, le succès de Toumani DIABATE est une forme de revanche sur le destin de l’Afrique martyrisée et soumise à la prédation. «La musique joue un rôle déterminant dans toutes les civilisations africaines où l'oralité fait figure de pilier fondateur. Héritiers de traditions souvent très raffinées, les musiciens africains créateurs d'aujourd'hui sont de ce fait parmi les détenteurs d'éléments essentiels, constitutifs de leurs cultures respectives», écrit François BONSIGNOR.
Dans son altérité, sa recherche de métissage culturel et de fusion des musiques, Toumani DIABATE a collaboré notamment avec Kouyaté Sory KANDIA, Balla SISSOKO et Ali Farka TOURé (1939-2006), mais aussi avec Taj Mahal et Björk, et surtout avec Le London Symphonic Orchestra. En 1987, c'est Nickel GOLD, le Quincy JONES britannique qui lui ouvre certaines portes : «Cette collaboration avec le London Symphony Orchestra a été réalisée en 2008, et je suis vraiment très content qu’elle puisse enfin sortir parce que c’était une rencontre historique ! On avait juste fait quelques heures de répétitions avant le premier concert à guichets fermés, c’était extraordinaire et très inattendu parce qu’en musique classique, il y a rarement de place pour l’improvisation et l’oralité. Certains musiciens anglais n’avaient même jamais vu de kora de leur vie avant ce concert ! Pourtant, j’ai ressenti une liberté extraordinaire en jouant avec eux», dit-il à Elodie MAILLOT de PAM.
En 2019, il est allé s’installer en Côte-D’Ivoire «J’avais envie qu’il y ait des cuivres, or actuellement, au Mali, on n’en trouve pas parce que les musiciens utilisent essentiellement des synthés à la place, donc je suis venu enregistrer à Abidjan, qui reste une capitale carrefour pour les musiques africaines, où sont passés des grands comme Manu DIBANGO, Mory KANTé. Et puis le Covid-19 est arrivé : il y a eu les couvre-feux qui nous ont empêchés de travailler en studio la nuit, les frontières ouvertes puis fermées, le coup d’État au Mali et l’arrivée d’un nouveau gouvernement. Bref, vu la situation, pour l’instant, j’ai décidé de rester ici, car la période n’est pas propice aux voyages», dit-il à Elodie MAILLOT de PAM.
Surnommé «le Dieu de la Cora», c’est son fils Sidiki DIABATE, continuateur de son œuvre, qui a annoncé son décès, des suites d’une longue maladie, à l’âge de 58 ans. «C’est Dieu qui donne la vie et qui donne la mort et c’est vers lui que nous retournons. Mon confident, mon pilier, mon guide, mon meilleur ami, mon cher papa s’en est allé à jamais», écrit Sidiki DIABATE.
Toumani DIABATE, artiste international polyglotte, quand il venait à Paris, allait souvent au restaurant le village, avenue Parmentier, à Paris 11ème, tenu par Abou NDIAYE, dans l'arrondissement dirigé par notre ami, François VAUGLIN. «Un homme talentueux, mais très humble et attaché au panafricanisme et à la cuisine africaine» me dit M. Abdou NDIAYE, le patron du restaurant «Le Village», au métro Parmentier.
Son héritage restera donc plus que jamais vivant parmi nous, à travers sa belle musique. Les hommages affluent : «Mon frère et ami, le virtuose de la Kora et arrangeur musical hors pair, Toumani Diabaté vient de nous quitter. Un ambassadeur du Mali, un ambassadeur de l’Afrique vient de nous quitter», dit Youssou N’DOUR du Sénégal. «Musicien malien de renom, il était considéré comme l’un des plus grands artistes de ce continent», écrit Oumar PENE, de Super Diamono du Sénégal. «Le Maestro a été un Trésor national. Va en paix Maestro. Tu as joué ta partition en emmenant la kora et les mélodies du Mandé dans une autre sphère», dit Salif KEITA du Mali. «Toumani était un gardien de notre culture, mais aussi un innovateur audacieux qui n’a jamais cessé de repousser les limites de son art. Toumani était bien plus qu’un virtuose de la Kora. Il était un pont entre nos traditions ancestrales et la modernité, un artiste qui a su porter la voix du Mali aux quatre coins du monde. Sa musique transcendait les frontières, touchant les cœurs par-delà les cultures et les langues», dit l’artiste Oumou SANGARé, une chanteuse peule d’origine malienne.
I - Références musicales,
Africa Challenge
Bafoulabé
Bi Lamba
Boulevard de l’indépendance
Cheikna Demba
Kadiatou
Kora Bali
Mali Sadio
Mamadou Diaby
Salaman
Single
Toumani
Wasso
Ya Fama
II – Autres références
BONSIGNOR (François), «Afrique contemporaine, la création musicale au miroir de l’Histoire», Hommes et migrations, septembre-octobre 2005, n°1257, pages 125-144 ;
BONSIGNOR (François), «Musiques mandingues, l’intarissable source d’un art vivant», Hommes et migrations, décembre 1994, n°1182, pages 58-61 ;
BONSIGNOR (François), «Toumani Diabaté», Hommes et migrations, janvier-février 2007, n°1265, pages 212-215 ;
Flynn Theater, RETNVT, «Toumani Diabate’s Insights», RETN, 24 avril 2009, durée 53munites8secondes ;
MAILLOT (Elodie), «Toumani Diabaté, l’homme qui parlait à l’orchestre symphonique», Pan African Music, PAM, 22 avril 2021 ;
OLIVIER (Alain), Voyage au Mali sans chameau, Paris, XYZ éditeur, 2010, 328 pages ;
SADJI (Abdoulaye), Ce que dit la musique africaine, Paris, Présence africaine, 1985, 121 pages.
Paris, le 20 juillet 2024, par Amadou Bal BA -