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«Le professeur Felwine SARR conférencier d’une rencontre organisée par le Festival d’Automne de Paris, au Theatre de la Ville, à Chatelet, à Paris, sur le thème le cosmopolitisme de l’hospitalité» par Amadou Bal BA
En conversation avec la philosophe américaine, Judith BUTLER, enseignante à l’université de Berkeley, le professeur Felwine SARR, dans ses savantes démonstrations sur «le cosmopolitisme de l'hospitalité», lors de cette rencontre organisée par le Festival d’Automne de Paris, en collaboration avec le Centre Pompidou, a fait carton plein.
Tout conférencier ou artiste qui a été confronté à l'immensité du grand amphithéâtre Châtelet à Paris, a dû être saisi d'un vertige ou d'une grande angoisse, en s'interrogeant comment le remplir un dimanche matin. On se dit parfois, tétanisé par l'ampleur du défi, que c'est impossible, jusqu'à ce qu'on l'ait fait.
Par ailleurs, face aux forces du Chaos dans leurs calomnies, leur ressentiment, les peurs instrumentalisées et le poison de la haine, les racisés ne sont pas venus dans cette belle France républicaine les mains vides. Ce qui m'a rassuré l'écrasante du public, ce sont des Européens progressistes, des humanistes attachés aux valeurs républicaines et humanistes de cette France progressiste. J'ai pu noter aussi la présence du musicien, Wasis DIOP, et de sa fille Mati DIOP, réalisatrice. Il y avait aussi Dieynaba DIA du ministère de la Culture qui organise une grande rencontre le lundi 8 décembre 2025 à la Bibliothèque nationale de France sur le livre numérique.
Le «cosmopolitisme de l'hospitalité» qu'est-ce à dire ?
L’hospitalité a souvent été pensée comme une obligation éthique nichée au cœur des pratiques des sociétés humaines, d’accueillir l’étranger. Comment passer de l’injonction éthique du devoir d’hospitalité à un droit à l’hospitalité ?
Plutôt que de concevoir l’hospitalité comme une vertu morale ou un geste de bienveillance d’accueil, il s’agit d’examiner un principe d’organisation du monde. Accueillir un étranger n’est plus une obligation de conscience simplement, mais une manière d’élargir l’humanité, de réparer la vieille maison et de repenser le droit. Il faudrait donc transformer l’injonction du devoir moral d’hospitalité en une règle de droit. L’hospitalité n’est pas un privilège, mais une condition partagée au sein de la société internationale. Comment donc, dans ce cosmopolitisme, organiser la rencontre avec l’autre ?
Peut-on passer d’une injonction éthique à une règle de droit, d’accueillir l’étranger , comment passer du droit au devoir d’hospitalité ? On peut envisager une communauté humaine qui reconnaît ses membres. Le seul fait d’être un être humain, nécessite sa libre circulation, sa sécurité et son éducation. Nous sommes le résultat d’un assemblage, notre vie dépasse notre propre personne. «Vivre ensemble, c’est élaborer les structures juridiques le permettant. L’étranger, qui franchit la frontière, doit être protégé dans ses droits fondamentaux. La structure juridique et normative devrait être en mesure de permettre à l’étranger de jouir pleinement du droit résultant de la reconnaissance pleine et entière des droits fondamentaux d’un être humain, et la vie de l’étranger est d’une égale valeur à celle des autres» dit Felwine SARR. Ce n’est pas seulement qu’une question éthique, mais juridique, la dignité de l’être humain devrait être préservée et soutenue, dans ce monde du repli identitaire et de la violence.
Qu’est-ce qui coince et où sont les difficultés ? Pourquoi c’est difficile de vivre ensemble ?
Certaines personnes ne veulent faire communauté qu’avec ceux qui leur ressemblent. L’hostilité révèle la difficulté de maintenir ou renouer le lien. Il faudrait donc s’engager dans des chemins d’une compréhension mutuelle, au niveau social et politique déplaçant les frontières, des imaginaires, de l’appartenance, de la relation à la vérité. La migration transcendant et dépassant les frontières, sa régulation ne peut donc être menée à bien à l’échelle nationale. Les échanges commerciaux, les flux financiers sont des espaces transnationaux. La normativité, le droit ne suffira pas, si elle ne se fondait pas sur les structures imaginaires. «Les règles de droit existent déjà, notamment la Déclaration universelle des droits de l’Homme, mais que les nations appliquent avec une géométrie variable. La règle normative si elle n’est pas soutenue par une infrastructure imaginaire, elle échoue à réguler les problèmes qu’elle tente d’encadrer. Les groupes qui réussissent à bien vivre ensemble, en dépit des tensions et des frictions, sont soudés autour de certaines ressources. Mais lesquelles ? La justice, l’équité, l’inclusivité, le partage des ressources, mais aussi des idiosyncrasies articulant ces ressources à différentes échelles. Dans nos imaginaires, comment on conçoit le rapport à l’autre, le partage d’histoires, d’horizons. Il faut penser à différents niveaux, les fondamentaux éthiques, philosophiques, politiques et relationnelles, économiques, la question de la ressource», dit Felwine SARR.
Une des grandes difficultés, les ressources planétaires sont suffisantes pour le bien-être et la dignité de tous, mais nous vivons dans un monde non-partage. «C’est une question économique, mais qui se joue à un niveau psychologique, dans cette tension entre le besoin, le fini, l’infini et le désir, mais aussi l’angoisse existentielle. Si je suis angoissé devant une question finie, j’essaie d’apporter une réponse infinie.» dit Felwine SARR.
Les racines de la haine, de la guerre et de la destruction, le son des ténèbres n’a pas bien été étudié. Cette violence n’est consubstantiellement liée à l’existence des sociétés humaines. Il y a des niveaux de violence que l’on comprendre et prendre en charge, en vue de limiter sa capacité destructrice. Cependant, dans les guerres de masse, les citoyens sont dans l’incapacité d’arrêter la machine de destruction. On pourrait dans les Constitutions interdire les guerres offensives, en limitant la guerre à une stratégie défensive, sans escalade, c’est une question de démocratie et de droit, mais qui ne nous permet encore de comprendre les causes profondes de ces destructions massives. «Comment construire et orienter les nobles affects vers la vie, en la nourrissant et l’articulant contre les passions destructrices. Cela pose toujours le problème de la temporalité des processus, celle de l’urgence, notamment la résistance urgente pendant un temps de dislocation, de fascisme, et comment organiser un ordre futur d’harmonie. Ce qui va émerger, après un temps de maturation, dont les graines surgissent après, jour après jour, afin qu’une société de rêve puisse émerger. Parfois, ll faut un temps long pour changer les imaginaires, en renversant les processus, comme la question de l’abolition de l’esclavage. Le temps long implique dans cette temporalité que le temps des individus n’est pas celui des sociétés. Dans ce temps long, ce sont les repères éthiques et de valeur qui sont notre boussole. L’urgence restent que les sociétés ne se disloquent pas pour basculer dans le populisme ou le fascisme. Il est donc urgent de planter les graines pour le monde que nous désirons. Où mettre les ressources et où mettre les efforts ? Chaque jour l’extrême droite inocule ses petites doses de haine, et on finit par s’en accommoder. », dit Felwine SARR.
Comment dans cette société internationale des guerres locales, de la prédation, de la xénophobie, de la montée du racisme et du fascisme, assurer la promotion du cosmopolitisme de l’hospitalité et donc résister à ces vents mauvais ? «Les humanités, en règle générale, la littérature, les arts, la musique, les textes, les liens de qualité ; tout compte en fait. Il ne faudrait pas consentir, âme et esprit, à la nuit, à un crépuscule. La poésie, les textes spirituels, le poète René CHAR. Devant l’effondrement des preuves est un appel salvateur «nous ne livrerons pas le monde aux assassins d’aube» dit Aimé CESAIRE. Nous allons faire face à l’ombre qui s’épaissit. Nous croyons à un monde lumineux, à travers un monde des mots vers l’espace de la psyché. Ces lectures, des hexagrammes pour jours de pluie, sont absolument précieuses, une puissance évocatrice pour ranimer un désir, une foi d’humanité » dit Felwine SARR.
Références bibliographiques
BA (Amadou, Bal), «Felwine SARR, conférences sur la vie commune, organisées par le Festival d’Automne de Paris», Médiapart, 2 octobre 2025 ;
BA (Amadou, Bal), «Felwine SARR, invité aux lundis littéraires des éditions Zulma, à Paris, La Goutte-d’or», Médiapart, 19 avril 2023 ;
BA (Amadou, Bal), «Felwine SARR, et son rapport sur la restitution des objets d’art», Médiapart, 16 juin 2019 ;
BA (Amadou, Bal), «Mati DIOP, réalisatrice décoloniale», Médiapart, 6 février 2025 ;
DANSOKO (Katia), «Felwin SARR, l’intellectuel sénégalais qui défend le vivre ensemble au-delà des frontières», Libération, 29 octobre 2025 ;
Maison française de New York City, «Felwin SARR : penser un cosmopolitisme de l’hospitalité», Youtube, 27 mars 2024, durée 1heure, 10minutes, 32secondes ;
POTTE-BONNEVILLE (Mathieu), «Felwin SARR : Comment habitons-nous ensemble ?», AOC, 11 octobre 2025 ;
SARR (Felwine), «Déconstruire des imaginaires, pour mieux habiter les lieux», Dakar, Musée Théodore Monod d’art africain», décembre 2024, Africultures, 20 janvier 2025 ;
SCHERER (René), «Cosmopolitisme et hospitalité», Communications, 1997, vol 65, pages 59-68 ;
SCHERER (René), Zeus hospitalier. Eloge de l’hospitalité, Paris, Armand Colin, 1993, 199 pages.
Paris, le 19 octobre 2025, par Amadou Bal BA