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«Jane AUSTEN (1775-1817) écrivaine anglaise de l’époque de la Régence, féministe et du réalisme romantique, une quête de liberté et d’indépendance dans une société royaliste et aristocratique. Happy Birthday pour son 250e anniversaire !» par Amadou Bal BA
Le 16 décembre 2025 signe le 250e anniversaire de Jane AUSTEN, une autrice au XIXe siècle, phare de la littérature anglaise réaliste, talentueuse et intemporelle ; elle a signé des romances et critiques sociales ayant traversé le temps. De «Orgueil et préjugés» à «Persuasion», son style élégant et ironique continue d’inspirer la littérature moderne. Dans une savante critique sociale, Jane AUSTEN a bien relaté les enjeux de la vie de famille, les stratagèmes du cœur et les conventions sociales à l’époque de la Régence, en faisant appel à l’ironie, la critique sociale et les peines du cœur. En particulier, ses grands romans sont centrés sur une méditation profonde concernant la condition féminine, la quête du bonheur conjugal, ainsi que l’équilibre entre les désirs personnels et les injonctions étouffantes d’une société cupide aux mœurs rigides. La littérature de Jane AUSTIN, loin d’être fade ou innocente, teintée d’un grand humour britannique, est restée longtemps, en raison des barrières de la langue, inconnue du public français. Cependant, Jane AUSTEN, en raison de sa grande modernité, la postérité lui a accordé une place de choix. En effet, Jane AUSTEN questionne la place de l’individu face aux conventions, la balance entre sentiment et raison, la quête d’émancipation féminine et la critique des rapports de pouvoir. Les héroïnes de ses romans, à la fois fortes et vulnérables, continuent de résonner dans le monde contemporain, en raison de leur soif d’émancipation et de liberté. «Pourquoi ne pas profiter immédiatement des plaisirs ? Combien d’instants de bonheur ont été gâchés par trop de préparations ?» dit-elle. Femme résolue et debout, Jane AUSTEN savait ce qu’elle voulait «Mon courage augmente à chaque tentative de m’intimider», écrit-elle.
Jane AUSTEN vit le jour le 16 décembre 1775, à Steventon, dans le Hampshire, une région du sud de l’Angleterre. Jane est la plus jeune d'une fratrie de huit enfants. Son père, George AUSTEN (1731-1805), est un pasteur ; sa mère, Cassandra LEIGH (1739-1827), compte parmi ses ancêtres sir Thomas LEIGH (1504-1571), un lord-maire sous le règne de la reine Elisabeth. Ses parents lui prodiguent une éducation de la gentry. En effet, en 1782, Jane et Cassandra, sa sœur, sont envoyées à l'école à Oxford, puis à Southampton et à l'Abbey School de Reading. Après une éducation brève, qu'elle complète grâce à la bibliothèque paternelle et aux conversations familiales, Jane commence à écrire. Elle va travailler avec acharnement, pratiquement jusqu'à sa fin prématurée, malgré une relation amoureuse douloureuse, la mort de son père et la maladie. Jane grandit dans une famille de la petite gentry rurale, au sein de laquelle on cultive la lecture, la réflexion et l’écriture «Je déclare qu’après tout, il n’y a pas de plaisir qui vaille la lecture», dit-elle. Consciente du décalage entre la situation économique de sa famille et leurs profondes aspirations à s’élever au-dessus de leurs moyens économiques, Jane AUSTEN comble ce gap à travers sa création littéraire. «Ce n’est pas ce que nous disons ou pensons qui nous définit, mais ce que nous faisons. La connaissance de soi est le premier pas de la vérité», dit Jane AUSTEN. En effet, Jane AUSTEN s’attache à décrire les mœurs et les évolutions de cette caste, dans son obsession de l’argent, de la réussite, mais fortement concurrencée par la montée d’une bourgeoisie naissante, de nouveaux riches par le talent et le travail. Par conséquent, la place de l’argent est au cœur de sa création romanesque. Ses deux frères sont marins, et Jane AUSTEN administre la preuve que l’ascenseur social n’est pas bloqué ; on peut passer d’une richesse acquise, par la noblesse ou la terre, à une fortune, à une noblesse par l’éducation ou le talent. Très tôt, elle observe les dynamiques familiales et les enjeux financiers qui entourent le mariage de ses proches. Son esprit fin, son sens de l’humour et sa capacité à critiquer la société de l’intérieur se dessinent déjà. Après la mort de son père, la famille déménage plusieurs fois, notamment à Bath, où la jeune femme s’imprègne de la vie mondaine et des bains thermaux, décor qui inspirera plus tard «Northanger Abbey».
Jane AUSTEN est, par conséquent, contemporaine de grandes auteures, comme notamment Eliza FLETCHER (1770-1858), Anne WOODROFFE (1766-1830), Mary Martha BUTT (1775-1795), Charlotte Elizabeth TONNA (1790-1846), Mary SOMMERVILLE (1780-1872) et Harriet GROTE (1792-1878). C’est une époque charnière de bascule, au cours de laquelle ces autrices, luttant pour l’émancipation de la femme, étaient déterminées à s’attaquer à la citadelle du patriarcat. Jane AUSTEN est donc née à l’époque de la Régence, entre 1811 et 1820, le roi Georges III invalide ayant cédé le pouvoir à son fils, sur le plan culturel, est marquée l’émergence d’une bourgeoisie aisée, et une aristocratie soucieuse de ne pas perdre son rang. D’une subtile et féroce ironie subtile, un style sublime, Jane AUSTEN invente une construction narrative originale : dialogues vifs, tons sarcastiques, mise en avant des pensées intimes des héroïnes et de leurs luttes, afin d’allier cœur et raison. Ecrits sous l’anonymat, ses grands romans sont notamment en 1811, «Sense and Sensibility» ou «Raison et Sentiments», en 1813, «Pride and Prejudice» ou «Orgueil et Préjugés», en 1814 «Mansfield Park», en 1815 «Emma», puis, à titre posthume, en 1817, «Northanger Abbey» et «Persuasion». Sa contribution littéraire révèle ce décalage entre la situation économique de ses parents qui ont des biens, mais fortement endettés et la conscience qu’elle a d’appartenir à la haute société, mais ayant perdu les moyens pour assumer ce statut. Dans son ambition littéraire, son expérience et observation de la société anglaise ne concerne que la classe sociale de la province ; cependant, dans son génie littéraire a très largement dépassé le divertissement pour sa famille. Dans son immense gloire littéraire, mais à titre posthume, Jane AUSTEN a été une observatrice, très pointue, de la vie quotidienne de la classe moyenne, comme un Honoré de BALZAC, une comédie humaine intemporelle, une prose ironique et psychologique de la société de son temps.
I – Jane AUSTEN, des romans valorisant des femmes libres et indépendantes
Préjugés intellectuels et de classe, reconnu pour son style caustique, le plus célèbre des romans de Jane AUSTEN, «Orgueil et Préjugés» met en scène la famille Bennet, composée de cinq sœurs dont la mère ambitionne de les marier avantageusement. «Le privilège que je réclame de mon sexe, c’est d’aimer plus longtemps, même quand l’objet ou quand l’espoir a disparu», écrit Jane AUSTIN. Elizabeth Bennet, la plus vive et la plus indépendante, croise le chemin de M. Darcy, un aristocrate taciturne et fier. Entre orgueil et préjugés, leur relation évolue au fil de quiproquos, de jugements hâtifs et de révélations qui bouleversent les apparences. Personnage principal du roman, Elizabeth Bennet symbolise l’intelligence, l’humour et l’honnêteté. Elle refuse d’épouser un homme par pur intérêt financier et préfère donner la priorité à la compatibilité morale et affective. «Depuis le commencement, je pourrais dire dès le premier instant où je vous ai vu, j’ai été frappée par votre fierté, votre orgueil et votre mépris égoïste de sentiments d’autrui. Il n’y avait pas un mois que je vous connaissais et déjà je sentais que vous étiez le dernier homme du monde que je consentirais à épouser», écrit-elle. Sa relation avec M. Darcy met en lumière les préjugés mutuels et l’évolution nécessaire afin de dépasser l’orgueil social. «La vanité et l'orgueil sont deux choses bien distinctes, bien que les mots soient souvent utilisés l'un pour l'autre. On peut être orgueilleux sans être vain. L'orgueil a trait davantage à l'idée que nous nous faisons de nous-mêmes, la vanité à ce que nous voudrions que les autres pussent penser de nous.» écrit-elle. Ce roman magnifique et émouvant, dans une société hypocrite et intéressée où la femme n’avait pas voix au chapitre et encore moins de devenir écrivaine, est une dénonciation de l’aristocratie provinciale, de la noblesse par l’argent ou le mariage. L’incipit célèbre de «Orgueil et préjugés», dont Elizabeth Bennet est l’héroïne, met l’accent sur ce caractère inconciliable du mariage et de l’amour, en décrivant les relations entre hommes et femmes sous la forme d’un achat. «C’est une vérité universellement reconnue qu’un célibataire pourvu d’une belle fortune doit avoir envie de se marier, et, si peu que l’on sache de son sentiment à cet égard, lorsqu’il arrive dans une nouvelle résidence, cette idée est si bien fixée dans l’esprit de ses voisins qu’ils le considèrent sur-le-champ comme la propriété légitime de l’une ou l’autre de leurs filles», écrit Jane AUSTEN.
«Raison et Sentiments» relate la trajectoire d’Elinor et Marianne Dashwood, deux sœurs aux tempéraments opposés : Elinor incarne la retenue et la rationalité, tandis que Marianne se laisse guider par ses élans passionnés. À travers leurs expériences amoureuses, Jane AUSTEN compare la dimension pragmatique du mariage, dictée par la raison et le romantisme, inspiré par les sentiments. Ce roman bien chiadé, avec ironie, esprit et cynisme, décrivant un monde désuet et obsolète, est une puissante dénonciation des mariages arrangés, fondés sur un intérêt économique. «Les personnes sont appréciées à l'aune de leurs fortunes, de leurs revenus ou de leurs futurs héritages. A de rares anomalies près (médecins) personne ne travaille ou ne travaille plus (colonel) tout en jouissant de revenus confortables et éternellement stables», écrit Jane AUSTEN. «Raison et sentiments» illustre parfaitement la tension existant entre l’émotion et la lucidité dans un monde où la convenance prime, mais avec l’émergence de l’individualisme, de l’amour, et une revendication de liberté des femmes. Les personnages masculins, tels qu’Edward Ferrars ou le colonel Brandon se confrontent aux attentes de la société, tout en étant soumis à des dilemmes affectifs. Jane AUSTEN y développe un style narratif encore plus sobre que dans «Orgueil et Préjugés» et interroge la place de la femme au sein d’une structure patriarcale. En effet, les femmes au XIXe siècle les femmes, non indépendantes, n’avaient pas de biens personnels, exclues du droit de propriété, étaient sous la domination de la famille et en particulier du conjoint. Virginia WOOLF (1882-1941), une des biographes de Jane AUSTEN, en tirera les conséquences littéraires dans son roman, une «chambre à soi». Pour Virginia WOOLF, sa devancière, Jane AUSTEN, une écrivaine talentueuse, n’était ni austère, formaliste ou taciturne. «Les uns après les autres elle crée ses sots, ses cuistres, ses mondains, son Mr Collins, son sir Walter Elliott, sa Mrs Bennet. D’un claquement de fouet elle les cerne d’une phrase cinglante qui, tandis qu’elle s’enroule autour d’eux, les habille pour l’hiver», écrit Virginia WOOLF.
Comédie de mœurs et roman d’apprentissage très abouti, «Emma», jeune, riche et adorée de son père, est dépeint comme une héroïne arrogante et sûre d’elle. «Je ne serai jamais une pauvre vieille fille ; et c'est la pauvreté qui rend le célibat méprisable aux yeux du reste du monde. Une femme seule, qui dispose d'un très mince revenu, devient une vieille fille ridicule et désagréable, en butte aux plaisanteries des jeunes garçons et des petites filles ; mais, si elle possède une grande fortune, elle demeure toujours respectable et peut faire montre d'autant d'intelligence et de charme que qui que ce soit» dit-elle. Emma Woodhouse croit exceller dans l’art de marier les autres, tout en se jugeant elle-même heureuse dans son indépendance. Persuadée d’être une entremetteuse compétente, elle sème parfois la pagaille en manipulant les rencontres et en interprétant de travers les sentiments de son entourage. Ce roman de Jane AUSTEN met en relief la dimension ironique de la conscience de classe et la naïveté d’une jeune femme qui, en fin de compte, ignore ses propres désirs amoureux. C’est l’un des livres où l’ironie de Jane AUSTEN atteint un summum : Emma est tour à tour drôle, attachante, mais aussi source de chaos dans son cercle social. Le personnage de M. Knightley, lucide et bienveillant, constitue un contrepoint moral. Égoïste, confiante, Emma Woodhouse n’en reste pas moins charismatique et généreuse, bien que parfois intrusive dans la vie sentimentale de ses connaissances. Au fil du roman, elle apprend la modestie et découvre ses propres sentiments et les limites de son prétendu talent de marieuse.
Dernier roman complet de Jane AUSTEN, «Persuasion» raconte l’histoire d’Anne Elliot, une femme de 27 ans qui regrette d’avoir rompu ses fiançailles avec Frederick Wentworth, sous l’influence de sa famille. Jane Austen adopte un ton plus mélancolique, qui souligne la maturité et la lucidité d’Anne, contrainte par la hiérarchie sociale de sa famille aristocratique.
Les romans de Jane AUSTEN traitent de la critique sociale et de l’hypocrisie. «Le discours de la doxa est le ciment du lien social. Il favorise la logique de l’identification à un groupe. Un groupe social se reconnaît à son idiome et à ses signifiants-maîtres. Ces signifiants fonctionnent comme signes de reconnaissance. tous ces signes se résument en réalité à un seul signe, celui de l’argent. Le seul discours susceptible de pouvoir s’opposer à cette logique du capital est le discours amoureux. L’expérience amoureuse est une aspiration à un nouveau discours. Les amants doivent inventer un nouvel idiome leur permettant de fonder un nous qui ne soit plus le nous du discours social. L’ironie de l’écriture austenienne attaque cet idéalisme» écrit Sophie DEMIR. Au-delà de la comédie de mœurs, Jane AUSTEN égratigne la superficialité de la bourgeoisie et de la noblesse campagnarde. Les bals, les soirées, les visites de courtoisie sont autant d’occasions pour l’autrice de dévoiler les manœuvres intéressées, l’obsession du rang, la crainte du scandale. «L’esprit de Jane Austen a pour pendant la perfection de son goût. Ses sots sont sots, ses snobs sont snobs, parce qu’ils s’écartent du modèle de raison et de bon sens qu’elle a en tête, et qu’elle nous transmet incontestablement tout en nous faisant rire. Jamais aucun romancier ne s’est autant servi d’un sens aussi parfait des valeurs humaines. C’est habitée d’un courage sans faille, d’un bon goût inaltérable, d’une moralité presque austère, qu’elle démasque ces entorses à la bonté, à la vérité et à la sincérité, composant ainsi certaines des lignes les plus savoureuses de la littérature anglaise», écrit Virginia WOOLF.
En définitive, Jane AUSTEN est une écrivaine réaliste, dans une société rigide où la censure était encore de rigueur «et en matière de création de personnages, car son réalisme se manifeste principalement dans ses portraits. Si un personnage est mal élevé, ou s'il est comique ou sot, il a le droit de parler de façon vivante et naturelle. Le lecteur de Jane Austen, même le lecteur cultivé, subit l'humiliation constante de voir l'anglais qu'il parle lui-même attribué aux fous et aux personnages grotesques de son œuvre» écrit en 1890, Smith GOLDWIN. La virtuosité de Jane AUSTEN est également dans son style pourfendant une moralité hypocrite et intéressée «Même si les affres de la vanité outrée, voire le feu de la morale outragée, nous pressaient d’améliorer un monde si plein de méchanceté, de mesquinerie et de sottise, c’est une tâche qui nous dépasse. Le discernement est si parfait, la satire si juste, que quoique soutenus ces traits nous échappent presque. Pas l’ombre d’une mesquinerie, pas une once de méchanceté, ne nous tire de notre contemplation. Le plaisir se mêle étrangement à notre amusement. La beauté illumine la sottise», écrit Virginia WOOLF.
Jane AUSTEN, vivant pendant une période conservatrice pour laquelle le mariage c’est la consommation et la possession, a eu l’audace, à travers ses romans, de glorifier l’indépendance et l’émancipation des femmes. Bien que les héroïnes de Jane AUSTEN ne soient pas des rebelles au sens moderne, elles aspirent à la reconnaissance de leurs sentiments et à un certain libre arbitre. «Orgueil et Préjugés» illustre le refus d’Elizabeth Bennet de se soumettre à un mariage forcé. Quant à «Raison et Sentiments», le roman met en lumière la solidarité entre sœurs, tandis que l’héroïne du roman «Emma» revendique la liberté individuelle, même si elle est contrainte de rétropédaler. Cette quête d’indépendance relative reflète l’évolution des mentalités de la Régence. «L’adolescente qui ciselait si bien ses phrases à quinze ans ne cessa jamais de le faire, et n’écrivit jamais pour le prince-régent ni son bibliothécaire, mais pour le monde en général. Elle savait exactement ce dont elle était capable, et connaissait le matériau qui lui était le plus approprié puisqu’un écrivain dont les exigences étaient élevées devait s’approprier un matériau. Certaines émotions n’étaient pas de son domaine ; des émotions qu’aucun style ou artifice n’aurait été à même d’enrober et de recouvrir à lui seul. Par exemple, elle était incapable de faire qu’une femme s’enflamme pour des bannières et des chapelles. Elle était incapable de se plonger avec enthousiasme dans un moment romantique» écrit Virginia WOOLF.
II – Jane AUSTEN, célébrée par la postérité
Jane AUSTEN meurt le 18 juillet 1817, à 42 ans, à Winchester, Hampshire. 250 ans après sa naissance, l’héritage culturel que lui a réservé la postérité est immense. «De façon curieuse ses dons s’équilibraient parfaitement. Aucun de ses romans achevés n’est un échec, et très peu de ses nombreux chapitres sont sensiblement plus faibles que les autres. Mais, après tout, elle est morte à quarante-deux ans. Elle est morte à l’apogée de son talent. Elle était encore à la merci de ces changements qui font souvent de la dernière période d’un écrivain la plus intéressante de toutes. Vive, irrépressible, douée d’une imagination exubérante, il ne fait aucun doute qu’elle aurait continué d’écrire, si elle avait vécu, et l’on serait tentée de se demander si elle aurait écrit différemment. La frontière était délimitée ; la lune, les montagnes et les châteaux se trouvaient de l’autre côté» écrit Virginia WOOLF.
Jane AUSTEN, bien plus qu’une spécialiste du roman sentimental, a trouvé sa place dans la postérité. «Il y a des livres arrimés à des âges, suspendus comme des nuages à des époques lointaines. Des livres étrangement immortels, gardiens d’une part de nous-mêmes. Les romans de Jane Austen sont de ceux-là. Elle a écrit sur son environnement direct, sur une société confinée et bavarde qu’elle connaissait par cœur. Il y a, dans ses livres, beaucoup de la vie qui fut la sienne. Des fratries soudées, des pères affectueux, des voisines indiscrètes. Mais aussi la campagne belle et paisible, la quiétude des soirées d’hiver, le bal comme unique lieu de sociabilité, la chasse éternelle au bon parti ou encore l’injustice de l’héritage patriarcal, qu’elle-même a personnellement subie» écrit Laura EL MAKKI, dans la préface de la biographie Fiona STAFFORD. En effet, son humour, son insolence, ses portraits acerbes, ses griefs contre la société de son époque et son style lumineux en font depuis toujours une figure intemporelle. De notre temps, Jane AUSTEN fait l’objet d’un immense engouement et vénération. Le centenaire de la naissance de l’auteure, en Angleterre, en 2015, célébré avec des évènements culturels, des films et une diffusion de ses livres, lui a donné encore plus de visibilité. Il existe un festival, désormais depuis septembre 2025, créé en l’honneur de l’écrivaine, à Bath, dans le sud-ouest de l’Angleterre où elle a vécu quelques années et qui sert de décor à deux de ses livres : «L’Abbaye de Northanger» et «Persuasion». Après le phénomène de Briget Jones, des fans français ont célébré le 250e anniversaire de Jane AUSTEN en organisant un bal de danse de la Régence à Paris, avec des costumes de l’époque, et la compagnie Chestnut, une danse country, de Cécile LAYE. Bien plus qu’un hommage, cet anniversaire met en lumière la longévité et l’impact d’une autrice dont les récits, écrits il y a plus de deux siècles, continuent de faire vibrer les lecteurs du monde entier, un phénomène qui prend de l’ampleur. «Jane Austen est un véritable personnage de culte. Par la lecture, on y découvre, une actualité qui ne fait que se renouveler. Elle avait un humour caustique et malicieux, et ses romans regorgent de satire, d’humour et d’esprit. Ses thèmes ont un caractère universel, atemporel, son style ciselé, mais accessible, sur un ton léger et perspicace, demeurent attachants et reconnaissables, et favorisent cette fraicheur», dit Rosana GANGEMI, professeure de littérature, à Paris 8.
Si Jane AUSTEN a traversé le temps, en littérature, c’est pour son style élégant, son humour et sa capacité à décrypter les relations humaines et les codes sociaux. Féministe avant l’heure, AUSTEN analyse son siècle une époque figée dans ses certitudes et ses classes sociale. En effet, entre le mariage ou la réclusion, Jane AUSTEN a exploré la condition des femmes de la petite noblesse campagnarde du début du XIXe siècle, sans manquer de critiquer les conventions sociales de l’époque. En effet, les femmes étaient encore des choses que les hommes pouvaient s’acheter. Désormais, les femmes étant devenues maîtresses de leur destin, il n’est plus question de faire un «bon mariage». Son combat pour le droit des femmes, de choisir, d’aimer et d’être indépendantes, a, finalement, été victorieux. En 1795. Jane AUSTEN a vingt ans et pour la première fois de sa vie, elle s'apprête à célébrer Noël sans sa chère sœur Cassandra, qui passe les festivités de fin d'année dans la famille de son futur mari, à Kintbury. Tout en se réjouissant de cette union, Jane éprouve une certaine appréhension à l'idée de devenir la prochaine obsession de sa mère en matière de mariage. Pour sa part, Jane n'a absolument pas l'intention de rechercher un bon parti : son unique désir est son ambition littéraire et de devenir une autrice à succès. Pourtant cet hiver-là, sa rencontre avec le séduisant Tom Lefroy vient bouleverser tous ses plans. Entre eux, le coup de foudre est immédiat. Mais le jeune homme est bientôt rappelé à Londres et laisse Jane sans aucune promesse, le cœur brisé. Un chagrin qu'elle va s'efforcer de transcender, grâce à l'écriture : seize ans plus tard, après avoir affronté d'innombrables luttes et désillusions, Jane AUSTEN publie son premier roman. Jane AUSTEN «aurait pris davantage de recul avec ses personnages, et les aurait observés plus comme un groupe, moins comme des individus. Sa satire, tout en se faisant moins présente, aurait été plus cinglante et plus sévère. Jane Austen aurait été le précurseur d’Henry James et de Proust, mais stop. De telles spéculations sont vaines : l’artiste féminine la plus parfaite, l’écrivaine dont les livres sont immortels, est morte « au moment même où elle commençait à croire en son succès», écrit Virginia WOOLF.
La contribution littéraire de Jane AUSTEN traite des hiérarchies et conventions sociales. Ecrivaine réaliste, à partir de personnes humbles ou modestes, Jane AUSTEN a réhabilité ceux qui vivaient à la marge. En effet, ses héroïnes inoubliables et son regard aiguisé sur la société séduisent, plus que jamais les lecteurs. «Reproduire une vie plate, moyenne, où rien n’est saillant ; offrir au public des tableaux sans beauté, n’ayant que leur exactitude pour mérite ; mettre ce public à même de vérifier à loisir votre observation, puisqu’elle porte sur des milieux accessibles et des types familiers, c’est une tâche ardue mais tentante. Jane Austen y a admirablement réussi. Ses personnages secondaires sont les plus durables : une pauvre femme bonne, humble et bavarde : Miss Batis ; un doux vieillard, inconsciemment égoïste et suavement maniaque : Mr. Woodhouse ; une mère de famille vulgaire et bornée, sans moralité et sans jugement, qui ne comprend encore rien aux sarcasmes que son mari lui décoche depuis vingt-cinq ans : Mrs. Bennett, voilà les héros de Jane Austen. Ils n’ont rien d’exceptionnel, sinon la puissance avec laquelle ils sont recréés par l’artiste qui s’en amuse», écrit en 1908, M. CLEMNT.
Les romans de Jane AUSTEN, mettant en scène les espoirs des jeunes femmes dans la bonne société anglaise, baignent dans une ambiance religieuse, tout étant laïques, non moralisateur «Si l’écriture des romans de Jane Austen emprunte le langage de la morale, le discours n’est pas moralisateur. L’usage de l’ironie neutralise tout jugement définitif. Le jugement est renvoyé à la responsabilité du lecteur», écrit Sophie DEMIR. Les critiques ont glorifié la structure narrative de Jane AUSTEN, marquée par un langage sophistique, un humour discret, mais dévastateur, acerbe, et une liberté de ton indirecte. Jane AUSTEN, c’est «la beauté des mots», dit Catherine BELL. Le style de Jane AUSTEN se caractérise par un langage élégant, ciselé, un humour discret, mais acerbe et un usage fréquent du point de vue libre indirect, qui laisse transparaître les pensées des personnages. Les dialogues sont vifs et ironiques, et permettent à Jane AUSTEN de célébrer la complexité de la vie.
Inconnue de son vivant, avec une très faible reconnaissance, 250 ans après sa naissance, Jane AUSTEN est devenue une gloire littéraire planétaire. Les critiques ont salué la justesse de ses portraits, son brillant style, sa structure narrative ; en raison de son génie littéraire, Jane AUSTEN, traduite dans toutes les langues, est une auteure au panthéon des grands classiques de la littérature. «Aimer Jane Austen, c’est une marque de culture, une garantie de bon goût qu’on donne aux autres et qu’on se donne à soi. Un étranger qui la lit, malgré l’énorme différence des époques et des milieux, pense de temps en temps à Flaubert ou à Anatole France, quand ce n’est pas à La Rochefoucauld ; il continue, le charme le pénètre, subtil et sûr ; il rit tout seul, et se sait bon gré d’avoir ri. C’est qu’on a vaguement l’impression qu’il faut être intelligent pour se complaire à un art aussi délicat, aussi détaché que celui-là ; on se sent en face d’un plaisir intellectuel pur, où il n’entre aucun élément populaire, et en constatant qu’on en jouit vraiment, sans illusion et sans snobisme, on monte dans sa propre estime : il y a une sorte de vanité à être bien sûr qu’on aime Jane Austen», écrivait déjà, en 1908, M. CLEMENT.
Devenue objet de culte et placée à hauteur de William SHAKESPEARE, par Virginia WOOLF, pour ses personnages, malveillants, excentriques, ridicules ou détestables, Jane AUSTEN écrivait «sans haine, sans amertume, sans crainte, sans revendication, sans sermon. Elle savait des mots qui se sont promenés sur les lèvres des gens, dans leurs maisons, dans les rues, dans les champs, pendant tant de siècles et les faisait vivre pour toujours», écrit Virginia WOOLF. En effet, l’œuvre de Jane AUSTEN a connu un extraordinaire destin, par des adaptations au cinéma, une quinzaine de films, de séries télévisées de la BBC, de pièces de théâtre ou même de comédies musicales, en 2005, «Orgueil et Préjugés» avec Keira KNIGHTLEY, et en 1995, avec «Raison et Sentiments», d’Ang LEE, récompensé d’un Oscar pour son scénario, écrit par Emma THOMPSON. «Les romans de Jane Austen font leur chemin dans l’intimité des lecteurs parce qu’ils possèdent cette intelligence des sentiments, sans laquelle le monde est tout simplement indéchiffrable. La simple moue d’une jeune fille à un dîner de province nous renseigne mieux sur la marche de la planète.» écrit dans la revue des Deux-mondes, Jean-Pierre MAUGRETTE. Pratiquant volontiers le marivaudage Jane AUSTEN «se situe dans le prolongement d’une certaine élégance, d’une répression innée des sentiments, pratiquant une ironie souvent assassine, héritière qu’elle est du wit, cet esprit de repartie qui repose sur l’amour des formules décapantes, que la narratrice, omnisciente, assène volontiers au détour d’une phrase», rajoute Jean-Pierre MAUGRETTE.
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Paris, le 20 décembre 2025, par Amadou Bal BA