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«Boualem SANSAL, écrivain franco-algérien : retenu en otage, par surprise, par le gouvernement algérien, depuis le 16 novembre 2024. Les intellectuels et une partie de la presse algérienne se mobilisent, pour sa libération immédiate et sans conditions» par Amadou Bal BA
«Si tu parles, tu meurs ; si tu ne parles pas, tu meurs. Alors parle et meurs», dit souvent Boualem SANSAL, très attaché à la liberté d’expression et à la bonne gouvernance. À la suite de l’arrestation, à Alger, le 16 novembre 2024, son ami, Kamel DAOUD, prix Goncourt 2024 (Voir mon article, Médiapart, 5 novembre 2024) a mobilisé de nombreux prix Nobel (Annie ERNAUX, Jean-Marie Le CLEZIO, Orhan PAMUK, Wole SOYINKA) et a publié une tribune pour la libération de Boualem SANSAL, un otage des autorités algériennes. «Cette nouvelle tragique est le reflet d'une réalité alarmante en Algérie, où la liberté d'expression n'est plus qu'un souvenir face aux répressions, aux emprisonnements et à la mise sous surveillance de la société entière», écrit Kamel DAOUD. Ses prises de position, sur le tracé des frontières entre l’Algérie et le Maroc, ont été considérées comme «atteinte à l’unité nationale», écrit, le 22 novembre 2024, «Le Matin d’Algérie». Ce motif d’interpellation est confirmé par un autre journal algérien, au nom évocateur «En réalité, si Boualem Sansal, ce fasciste apologiste du génocide israélien contre le peuple palestinien, a été arrêté et incarcéré en Algérie, ce n’est absolument pas pour ses écrits littéraires, c’est-à-dire pour sa qualité d’écrivain et d’essayiste. Et, surtout, pour sa dernière scandaleuse sortie médiatique où, dans une interview accordée à un média français, il a déclaré que les villes de l’ouest de l’Algérie, comme Tlemcen et Oran, appartiennent au Maroc. En effet, Boualem Sansal a soutenu dans un entretien au média d’extrême droite, Frontière, dont il fait partie du comité stratégique, qu’une partie de l’Algérie était rattachée au Maroc avant l’indépendance, reprenant à son compte les thèses marocaines expansionnistes du parti Al-Istiqlal», écrit, le 22 novembre 2024, «l’Algérie Patriotique». On trouve une opinion dissidente en Algérie ayant pris fait et cause de Boualem SANSAL, considéré comme un voltairien : «Le hasard comme les miracles n’existent pas. Boualem Sansal est victime de sa liberté de parole, de son libre arbitre, de son courage de convoquer l’inexprimable, l’inexprimé. L’auteur, qui nous aide à regarder l’homme et le monde autrement, est entre les mains de la dictature. Boualem SANSAL questionne, dérange et met en doute cet empire mafieux qu’est la nouvelle Algérie de Tebboune. Il dénonce ceux qui ont fait de l’Algérie postindépendance un désert fielleux, et de ce désert un vide abyssal dans lequel se pratiquent les pires ignominies humaines et se propage une des plus infectes idéologies totalitaires, l’islamisme. Le Voltaire de l’Afrique des opprimés, qui n’a jamais voulu quitter le pays, même dans les pires moments des années noires du terrorisme islamiste, est entre les mains de ses tortionnaires», écrit, le 24 novembre 2024, Mohand OUABDELKADER, dans «Le Matin d’Algérie». Le journal le Matin d’Algérie a ouvert le débat en revenant sur la liberté d’expression et l’indépendance de la justice en Algérie «L’arrestation de Boualem Sansal est bien plus qu’un simple fait divers ; elle symbolise un moment charnière pour la justice algérienne et pour le pays tout entier. Comment cette affaire sera-t-elle gérée ? Ce qui est certain, c’est qu’elle met en lumière une problématique cruciale : l’Algérie doit choisir entre continuer à réprimer les voix dissidentes et évoluer vers un modèle où la critique est confrontée avec intelligence et dignité. Un État qui aspire à la stabilité et à la crédibilité ne peut se permettre de bafouer les libertés fondamentales pour lesquelles ses citoyens se sont battus. Si l’Algérie souhaite restaurer la confiance en ses institutions, elle doit commencer par démontrer que justice et liberté peuvent coexister», écrit le 24 novembre 2024, Mohcine BELABBAS, ancien président du Rassemblement pour la culture et la démocratie. «L’Algérie qui fut, un temps, «la Mecque des révolutionnaires» comme se plaisent à le répéter certains idéologues en mal de nationalisme, gagnerait à devenir l’épicentre mondial de la pensée critique et du dialogue. L’interpellation ou, pire, l’arrestation de Boualem Sansal, portera gravement atteinte à l’héritage anticolonial de l’Algérie et donnera du grain à moudre à toutes les forces hostiles à notre pays. L’heure est plus que venue de favoriser un climat apaisé où les idées pourront être exprimées librement y compris les idées gênantes», écrit, le 23 novembre 2024, Hacène HIRECHE, dans «Le Matin d’Algérie». Cette arrestation de l’Esprit des Lumières, qui semble déclencher un débat en Algérie, est considérée comme une goutte-d’eau ayant fait déborder le vase, en raison des arrestations en masse, pour prétendue atteinte à la sécurité de l’État. «Boualem Sansal n’est pas le seul. Il n’est qu’une goutte de plus dans un vase déjà débordant de restrictions, où la liberté d’opinion est constamment menacée. Plus de 200 personnes croupissent dans des prisons, accusées d’une soi-disant « atteinte à l’État. Les vieilles figures du pouvoir, agrippées à leurs privilèges comme des carcasses poussiéreuses, semblent incapables de réaliser que leur heure est proche. Boualem Sansal, bien au-delà de sa plume, a accompli un acte qui devrait résonner avec force dans chaque conscience. Pendant que le peuple algérien s’enfonçait dans les ténèbres de la décennie noire, que la peur et le chaos dévoraient le pays, Sansal s’est levé pour empêcher son peuple de sombrer dans la famine. Ce n’est pas seulement une injustice, c’est une ingratitude monstrueuse, un reniement de ce que l’Algérie lui doit. Juger un tel homme, c’est non seulement piétiner la liberté d’expression, mais aussi insulter la mémoire collective.», écrit, sous un pseudonyme, le 23 novembre 2024, Za3Im, dans «Le Matin d’Algérie». En effet, Boualem SANSAL qui a toujours circulé librement entre la France et l’Algérie, a été arrêté, par surprise, dans un contexte où le prix Goncourt de Kamel DAOUD et son éditeur Gallimard, avaient été bannis du salon du livre à Alger. «Sansal écrit, il ne tue pas et n'emprisonne personne. Son innocence face à la dictature lui fit oublier la réalité de la Terreur en Algérie depuis quelques années. Il a négligé de regarder la meute qui l'attendait, il est retourné visiter son pays ce samedi-là. Il l'a payé cher», écrit Kamel DAOUD.
Boualem SANSAL est né le 15 octobre 1949, à Theniet El Had, un petit village des monts de l'Ouarsenis, en région berbère, une zone montagneuse, en Algérie. Écrivain franco-algérien, il est issu d’un père originaire du RIF marocain, Abdelkader SANSAL, ayant fui son pays, et d’une mère juive algérienne et francophile, Khadjidja BENALLOUCHE. Son père ayant vécu trop peu, la famille est allée vivre à Thiaret, chez ses grands-parents, puis à Oran et finalement à Alger. Son grand-père maternel, Aïssa BELLALLOUCHE, un cheminot, chef de gare à Thiaret, et un ancien combattant de la Première Guerre mondiale, champion de gymnastique militaire, très pétainiste, cultivé et pédagogue, mordu de géographie, mais sévère. En raison de cette discipline, il aimera la lecture, et voue une admiration à l’algérien KATEB Yacine (Voir mon article, Médiapart, 19 mai 2018, et Tipaza, 8 juin 2018) et à l’Ivoirien Ahmadou KOUROUMA (Voir mon article, Médiapart, 18 janvier 2024) ainsi qu’à la Fontaine. Sa première femme, Anicka, est une Tchèque, une étudiante tchèque en anthropologie. Marié, en 1974, à Boumerdès, en Algérie, le couple a eu deux enfants vivant à Prague. En 1976 naissait leur fille, Nanny. Sa vie personnelle a été bouleversée par les islamistes. «A Boumerdès, il n’y a aucun loisir. Les cinémas ont fermé. Les bars aussi. Les gens boivent en cachette, dans leur voiture ou des clairières. On trouve un peu partout des cimetières de canettes. Il y a deux mondes, comme en Iran : une façade arabo-islamique triste, et une vie clandestine» dit-il, le 14 septembre 2015, au «Nouvel Observateur». Depuis lors, il s’est remarié, avec Naziha, une femme juive, venant d’une famille traditionnelle et pieuse, son prénom signifiant en arabe, «la pure» ou «la bienveillante» une enseignante de mathématiques à Boumerdès. Nazila sera obligée de démissionner, en raison des pressions de familles conservatrices, craignant que leurs enfants ne soient endoctrinés par son «judaïsme».
De formation d’ingénieur et d’économiste, Boualem SANSAL dispose, depuis 1972, d’une maison à Boumerdès, une ville universitaire et cosmopolite, à une cinquantaine de kilomètres d'Alger, ravagée en 2003, par un puissant tremblement de terre. Enseignant, haut fonctionnaire, Boualem SANSAL, un disciple d’Henry-David THOREAU, de Charles BAUDELAIRE et de Franz KAFKA, est limogé en 2003, en raison de sa position critique contre le régime algérien, notamment sur l’arabisation de l’enseignement. «Dès mon premier roman, j’ai été mis à l’index. C’est une dénonciation du régime et de l’islamisme. Le livre est sorti à un moment où il y avait une guerre civile, un moment où le pouvoir ne voulait pas de voix discordantes qui excitent les gens», dit Boualem SANSAL. Après le gouvernement a voulu «le récupérer», avec de nombreuses sollicitations d’avis ou invitations. Récemment naturalisé français, Boualem SANSAL est récipiendaire en 2015, de la Médaille d'or de la Renaissance française pour l'ensemble de son œuvre, et, depuis 2020, il est élu membre associé de l'Académie des sciences d'outre-mer.
De gauche, et ayant soutenu le mouvement Hirak, de protestation entre 2019 et 2020 contre un 5e mandat d’Aziz BOUTEFLIKA, mais sévèrement réprimé (Voir mon article, Médiapart, 18 septembre 2021), Boualem SANSAL a toujours combattu les ténèbres, l’instrumentalisation de la religion à des fins politiciennes «J’ai suivi toutes les modes, yéyé, beatnik et hippie, mais celle-là, non, je n’ai pas pu y adhérer», dit-il avec humour. Les attaques contre la liberté d’expression de la part du gouvernement algérien aussi pour l’arrestation de Boualem SANSAL, que contre le roman de Kamel DAOUD, «Houris», ont un double tranchant. Ces agissements vont faire une grande publicité inespérée, à l’éditeur Antoine GALLIMARD, pour la vente des ouvrages de ces deux auteurs. «Qu'on parle de moi en bien ou en mal, peu importe. L'essentiel, c'est qu'on parle de moi !», disait Léon ZITRONE (1914-1995). Le grand public découvrait Kamel DAOUD lors de son Goncourt, et maintenant Boualem SANSAL, qu’il faudrait libérer sans délai, est sous les projecteurs.
Pour faire carrière littéraire, les auteurs africains ou du tiers-monde, sont souvent obligés de venir en Occident, en particulier en France. C’est que d’une part, les régimes africains souvent chatouilleux et susceptibles à l’égard des esprits critiques. Ce n’est pas donc étonnant que Présence africaine, une maison d’édition radicale, comme les grands mouvements littéraires africains, sont nés en France, qui on l’espère restera républicaine. C’est aussi d’autre part, les Africains qui ne lisent plus, n’achètent pas les livres, et se permettent même de critiquer parfois des livres qu’ils n’ont jamais lus ou vus. «Prends des jumelles et regarde autour de toi, jusqu’au mur d’enceinte, et pose-toi la question : suis-je libre ? Et agis en conséquence», écrit Boualem SANSAL, dans «Le train d’Erlingen, ou la métamorphose de Dieu». Aussi, un auteur africain qui souhaiterait vivre de sa plume est très souvent obligé de s’exiler. Cependant, le succès littéraire en Occident a un prix : il faut entrer dans les canons et les exigences des éditeurs, des critiques littéraires, comme du gouvernement en place. Ainsi, à notre époque, il faut fustiger l’Islam, parler de la femme musulmane soumise, de la laïcité, fustiger les dictatures, sauf celles de la Françafrique. Si ces conditions sont réunies, l’Alliance française, les maisons d’édition, les salons de livres ou certains groupes fermés d’amis vous permettront de vivre de votre art. Kamel DAOUD, comme Boualem SANSAL, des auteurs talentueux, mais aussi ont eu la grande intelligence de comprendre comment fonctionne ce système avec ses codes.
Que dit donc Boualem SANSAL dans sa contribution littéraire et ses prises de position publiques ?
«Je me suis mis à écrire comme on enfile une tenue de combat. Qui contrôle le verbe contrôle la vie», dit Boualem SANSAL qui pratique un mélange de liberté d’expression, d’engagements politiques ou littéraires, une opposition avec frontale avec le gouvernement algérien, notamment dans les médias français. Pour l’auteur, la situation est complexe ; les Algériens ont mené ou subi leur histoire, fabriqué leurs héros, conquis leur indépendance, pour le meilleur et pour le pire, entre terrorisme et résistance, fanatisme et corruption, violence et soumission. L’Algérie a été constamment soumise à diverses violences «Il y a eu la violence des colonisations successives, qu’elles soient romaine, byzantine, vandale, arabe, turque ou française, auxquelles, comble de malheur, s’ajoute la colonisation du pays par les siens : je veux parler de cette oligarchie militaire «compradore» éblouie par sa soudaine richesse et la puissance de ses armes. De même, il y a eu la violence religieuse qui a fait passer ses habitants d’une croyance à l’autre, du polythéisme berbère au phénicien, au romain, puis au monothéisme chrétien et enfin musulman», écrit-il dans «France-Algérie, résilience et réconciliation en Méditerranée».
Le gouvernement algérien lui reprocherait de confondre l’Islam et le fondamentalisme musulman, que d’aucuns appellent l’Islam, faisant donc le jeu des Occidentaux. «La religion fait peut-être aimer Dieu mais rien n'est plus fort qu'elle pour faire détester l'homme et haïr l'humanité», écrit-il dans «2084, la fin du monde». En effet, en Algérie qui n’est pas avec moi, est contre moi. «Les réactions toujours très violentes des islamistes à la moindre remarque sur l'islam, réactions promptement relayées et amplifiées par les médias, ont fini par dresser une sorte de "mur de Berlin" entre l'islam et la critique que tout homme peut émettre à l'endroit de toute idée, fût-elle sacrée», écrit-il dans «Gouverner au nom d’Allah». Aussi, en Algérie, une voix dissidente, même au nom de la liberté d’expression, devient une cible du gouvernement. «Une des raisons du malaise qui traverse le monde musulman tient à cela, le refus des institutions religieuses de considérer les interpellations de l'époque présente et de leur apporter des réponses appropriées», écrit-il dans «Gouverner au nom d’Allah». En effet, Boualem SANSAL aurait, suivant cette doctrine du gouvernement algérien, franchi la ligne rouge à deux points de vue. D’une part, l’auteur avait participé, en mai 2012, au Salon du livre de Jérusalem, en Israël. «Qu’un écrivain issu du monde arabe accepte de venir dialoguer en Israël, avec d’autres écrivains israéliens, voilà une attitude qui n’est pas fréquente par les temps qui courent. Que cet écrivain soit de surcroit algérien est encore plus étonnant, tant l’Algérie a fait de la condamnation d’Israël un quasi-principe de sa politique. Voilà pourquoi la venue et la présence chaleureuse de Boualem Sansal en mai 2012, à Jérusalem constitue un événement considérable à plusieurs titres. Il brise aussi un tabou : celui de l’interdit d’aller y regarder de près en bravant l’accusation de traitrise. Boualem Sansal a osé venir voir, serrer des mains, discuter, rencontrer des êtres de chair, de sang, d’esprit et d’affects», écrit Jacques TARNERO, dans le journal du CRIF du 11 juin 2012. Comme son ami, Kamel DAOUD, il n’a pas condamné le massacre des civils palestiniens ; ce qui a considérablement renforcé l’animosité des autorités algériennes à son encontre. «J'ai trahi, et la trahison est une plaie qui ne se referme pas», écrit-il dans «Rue Darwin». D’autre part, Boualem SANSAL est un soutien de la cause kabyle en Algérie, un crime de lèse-majesté pour le gouvernement de ce pays. «La Kabylie est une région très particulière dans tout ce monde-là. C’est d’abord une région qui est restée elle-même tout au long des siècles. Elle a gardé son identité très riche et elle est très puissante. Malgré le fait qu’aujourd’hui, les Kabyles vivent aux quatre coins du monde, ils ont gardé cette fibre kabyle. Elle est en eux, elle les habite. Ils ont cette faculté que l’on ne retrouve pas ailleurs, qui a été détruite par la culture arabe. Je vous parle d’autant plus facilement que je ne suis pas Kabyle. Je suis un berbère non kabyle. Ils sont très ouverts sur le monde. Le Kabyle a une tendance naturelle à aller vers l’autre et il le comprend très facilement. Il est courageux. Tout au long des siècles, il s’est battu. Son histoire est une histoire d’héroïsme. Ils se sont opposés à tous ceux qui sont venus conquérir ce pays», disait-il le 30 juin 2021, à Taddart Télévision.
Par conséquent, je m’interroge, dans un contexte de crise exacerbée, qu’est-ce Boualem SANSAL était allé faire en Algérie, en jetant dans la gueule du loup ? En effet, la visite d’État du président algérien, TEBOUNE, réélu à un second mandat, est sans cesse repoussée. Initialement prévue en mai 2023, puis reportée, entre fin septembre et début octobre 2024, semble avoir été remise aux calendes grecques. Le président algérien a qualifié la colonisation de génocide : «L'Algérie a été choisie pour […] le vrai grand remplacement, qui consiste à chasser la population locale pour ramener une population européenne avec des massacres, avec une armée génocidaire». Cette tension diplomatique est au comble, depuis le Prix Goncourt de Kamel DAOUD, Houris. Son éditeur, Gallimard, le même pour Boualem SANSAL, n’a pas été au festival du livre d’Alger. L’irruption de Saada ARBANE, qui revendique être le personnage d’Aube, dans «Houris» a jeté de l’huile sur le feu. Les éditions Gallimard exigent, dans un communiqué du 22 novembre 2024, sa libération immédiate. «Boualem Sansal avait accédé il y a quelques mois à la nationalité française. Mais il restait profondément attaché aux siens, à sa maison proche d’Alger et à son pays auquel il a consacré toute son œuvre. Sa liberté de mouvement n’était pas plus négociable que sa liberté de parole ; elles marchaient d’un même pas», écrit Antoine GALLIMARD.
Dans sa vocation littéraire, en raison des troubles en Algérie, à partir de 1997, Boualem SANSAL a été encouragé par son ami, Rachid MIMOUNI (1945-1995). Sa contribution littéraire évoque, sans détour, avec un style parfois acerbe, la vie politique en Algérie, la mémoire, les relations avec la France, et dénonce inlassablement l’islamisme. Son premier roman, en 1999, «Le Serment des barbares», est récompensé par le Prix du premier roman et le prix Tropiques ; aussi, il rencontre un grand succès, notamment en France. En effet, dans ce roman, Boualem SANSAL, qui parle de la décennie noire bien avant Kamel DAOUD, fustige la montée en puissance des intégristes ayant fait plonger l’Algérie dans une décennie noire, une guerre civile ayant fait 200 000 morts.
Son ouvrage suivant, «Poste restante, Alger», est un pamphlet, à la mémoire de Mohamed BOUDIAF, président algérien assassiné à Annaba, le 28 juin 1992, par un militaire, dans lequel il conteste la légitimité du gouvernement algérien qui le censure. L’Algérie vit sous la botte et serait réduite au silence. «Au fond, jamais nous n’avons eu l’occasion de nous parler, je veux dire entre nous, les Algériens, librement, sérieusement, avec méthode, sans a priori, face à face, autour d’une table, d’un verre. Nous avions tant à nous dire, sur notre pays, son histoire falsifiée, son présent émietté, ravagé, ses lendemains hypothéqués, sur nous-mêmes, pris dans les filets de la dictature et du matraquage idéologique et religieux, désabusés jusqu’à l’écœurement, et sur nos enfants menacés en premier sous pareil régime», écrit-il.
En 2003, son roman, «Dis-moi le paradis», relate l’histoire d’une Algérie postcoloniale, dans laquelle, il dresse un tableau sévère des dysfonctionnements et l’islamisme. «La mosquée est un lieu de gouvernement !» écrit-il. C’est donc en partie à cause de cet ouvrage qu’il est licencié de son poste de haut fonctionnaire. Dans ce roman fantastique, digne de Franz KAFKA (Voir mon article, Médiapart, 17 mai 2024), l’absurde est omniprésent. Les guerres sont et resteront une énigme. Comme il y a le flux, il y a le reflux, à la colonisation succède la décolonisation. La violence et l’injustice sont omniprésents «La peur, il vaut mieux l'accompagner que la suivre. Se garder vivant est un sport qui ignore le repos» écrit-il. Depuis l’indépendance, rien n'est clair en vérité, un colon peut en cacher un autre, la fin d'un mal peut être le début d'un grand malheur. La guerre d’indépendance étant trahie, on doit toujours se résoudre à entreprendre une deuxième guerre après une première, sinon on revient à la case départ. La place de la femme dans la religion est évoquée «Je suis un bon musulman, mais, tu vois, je me pose des questions. Pourquoi il n'y a pas de femmes dans l'histoire sainte des musulmans ? Que des mecs ! des califes, des émirs, des commandeurs, des imams, des raïs, des généraux, en veux-tu en voilà pour ruiner mille tribus, mais pas une femme, pas une sainte. Ça veut dire quoi ? Elles sont interdites de sainteté ou quoi ?», écrit-il.
Son livre, en 2008, «Le village de l’Allemand» interdit en Algérie, traite de la guerre civile en Algérie et la vie des Algériens dans les banlieues françaises. «Le bilan de cette confrontation entre les islamistes radicaux et le pouvoir algérien (1991-2006) est terrifiant : plus de deux cent mille morts, une économie dévastée, un pays détruit, des blessures sociales et morales irréparables, l’élite moderne du pays décimée, assassinée par les uns et les autres ou dispersée dans une émigration sans retour, l’image du peuple algérien ternie dans le monde pour très longtemps», écrit-il dans «Gouverner au nom d’Allah. Islamisation et soif du pouvoir dans le monde arabe» paru également chez Gallimard en 2013 et réédité en 2016, Prix Jean Zay. Ce roman, directement censuré en Algérie, reçoit le grand prix RTL-Lire en France ; il y fait la comparaison de l’islamisme avec le nazisme. «Je n'ai jamais dit quoi que ce soit contre l'islam qui justifierait cette accusation ; ce que je n'ai cessé de dénoncer, c'est l'instrumentalisation de l'islam à des fins politiques et sociales», disait-il, en 2017, à l’AFP. Pour lui, les pays arabes s’appuient sur la religion pour asseoir, constamment, leur légitimité «Mon texte n’est pas un traité académique, je ne suis ni historien ni philosophe, il n’est pas davantage une investigation journalistique, encore moins un rapport d’expert en islamisme, et pas du tout un essai d’islamologie. Il est la réflexion d’un témoin, d’un homme dont le pays, l’Algérie en l’occurrence, a très tôt été confronté à l’islamisme, un phénomène inconnu de lui jusque-là», écrit-il «Gouverner au nom d’Allah». La foi est devenue un instrument des gouvernements arabes de soumission «La patience est l'autre nom de la foi, elle est le chemin et le but, tel était l'enseignement premier, au même titre que l'obéissance et la soumission, qui faisaient le bon croyant», écrit-il, dans «2084, la fin du monde».
Son roman «Harraga» dépeint le désespoir de l’Algérie de tous les jours en proie à la malédiction islamiste, à l’indifférence des puissants, à la mal-vie, mais aussi l’Algérie d’hier, dans ses différentes strates que l’idéologie et le politiquement correct ont tendance à gommer. C’est aussi un roman faisant l’éloge des femmes, dont trois personnages sont des héroïnes «Dans nos pays, il y a le monde des hommes et celui des femmes, qui sont différents. On ne se rencontre qu’au lit et au cimetière. Une histoire qui relierait des hommes et des femmes, serait artificielle. Or on m’a souvent reproché, en Europe, à propos de mes ouvrages précédents, l’absence de femmes. J’ai voulu donc écrire un roman de femmes», dit-il, le 24 octobre 2005, à Jeune Afrique.
Compte tenu de ce mélange entre la littérature et politique, seul le gouvernement français, pourrait, utilement, négocier la libération rapide, et ce que nous souhaitons tous, de Boualem SANSAL, retenu en otage. «Même si Boualem, dans ses entretiens radiophoniques, se laisse emporter par cette facilité, cette polémique dérisoire n’a rien à voir avec son œuvre. Celle-ci est bien au-dessus. La force de son esprit, l’intensité de son écriture, la hauteur de son regard, cet imaginaire de tendresse qui vous pénètre quand vous le lisez, est au-delà de toute appartenance culturelle. Boualem n’écrit ni comme un Algérien, ni comme un Français, ni comme un Arabe, ni comme un Musulman, ni comme un antimusulman, ni comme un Oriental, ni comme un Occidental. Il écrit comme un poète dont l’immensité passe toutes les frontières des préjugés, des hypocrisies, des mensonges. La musique de Boualem n’est ni celle de l’Orient, ni celle de l’Occident. Elle est celle de l’échec humain de l’émancipation que l’on avait crue si proche pourtant dans l’épopée des peuples décolonisés. Le fanatisme que combat Boualem n’est pas d’ordre religieux, mais d’ordre politique, quand celui-ci transforme la croyance en une prison obtuse, celle de la pérennité sauvage de ceux qui ont fait l’indépendance, pour se l’approprier en totalité, en effaçant les libérations qu’elle incarnait.», dit, le 23 novembre 2024, Hélé BEDJI, écrivaine tunisienne, dans «Le Nouvel observateur». En tout cas, rien ne devrait être fait pour compliquer ou contrarier, ce noble but de libérer cet otage, par les canaux diplomatiques. Les Occidentaux abandonnent rarement leurs citoyens, même les trafiquants de drogue interpellés en Asie, qui feront leur peine en Hexagone. C’est donc l’honneur de la France républicaine. En revanche, les pays africains, en dépit de leurs missions diplomatiques fort coûteuses, mais hautement inefficaces, restent souvent en silence à l’encontre des exactions de leurs citoyens. En Turquie, pays qui reçoit d’importantes subventions de l’Union européenne, pour bloquer les immigrants illégaux, plus de 40 000 Africains, en situation irrégulière, sont détenus depuis maintenant 3 ans, dans ses prisons (Voir mon article, Médiapart, 7 novembre 2023). La Tunisie, également mandatée par l’Union européenne, maltraite les candidats africains à l’immigration (Voir mon article, Médiapart, 28 mai 2022).
Libération immédiate et sans condition de l’écrivain, franco-algérien, Boualem SANSAL, retenu en otage par le gouvernement algérien depuis le 16 novembre 2024 !
Références bibliographiques
SANSAL (Boualem), 2084, la fin du monde, Paris, Gallimard, 2017, 330 pages ;
SANSAL (Boualem), Abraham ou la cinquième alliance, Paris, Gallimard, 2024, 343 pages ;
SANSAL (Boualem), CYRULNIK (Boris), France-Algérie. Résilience et réconciliation en Méditerranée, Paris, Odile Jacob, 2020, 272 pages ;
SANSAL (Boualem), CYRULNIK (Boris), L’impossible paix en Méditerranée, Paris, Gallimard, 2017, 160 pages ;
SANSAL (Boualem), Dis-moi le Paradis, Paris, Gallimard, 2003, 305 pages ;
SANSAL (Boualem), France-Algérie. Résilience et réconciliation, Paris, Odile Jacob, 2020, 263 pages ;
SANSAL (Boualem), Gouverner au nom d’Allah. Islamisation et soif du pouvoir dans le monde arabe, Paris, Gallimard, 2016, 1992 pages ;
SANSAL (Boualem), Harraga, Paris, Gallimard, 2018, 316 pages ;
SANSAL (Boualem), L’enfant fou de l’arbre creux, Paris, Gallimard, 2002, 361 pages ;
SANSAL (Boualem), Le français. Parlons-en !, Paris, éditions Cerf, 2024, 186 pages ;
SANSAL (Boualem), Le serment des barbares, Paris, Gallimard, 1999, 400 pages ;
SANSAL (Boualem), Le train d’Erlingen ou la métamorphose de Dieu, Paris, Gallimard, 2018, 256 pages ;
SANSAL (Boualem), Le village allemand ou le journal des frères Schiller, Paris, Gallimard, 2009, 305 pages ;
SANSAL (Boualem), Nous Algériennes, la grande solitude, préface de Souad Khodja, Alger, Casbah éditions, 2002, 207 pages ;
SANSAL (Boualem), Petit éloge de la mémoire : quatre mille et une années de nostalgie, Paris, Gallimard, 2006, 133 pages ;
SANSAL (Boualem), Poste restante à Alger : Lettre de colère et d’espoir à mes compatriotes, Paris, Gallimard, 2008, 86 pages ;
SANSAL (Boualem), Romans 1999-2011, préface de Jean-Marie Laclavetine, Paris, Gallimard, 2015, 1226 pages ;
SANSAL (Boualem), Rue Darwin, Paris, Gallimard, 2013, 298 pages ;
SANSAL (Boualem), Vivre le compte à rebours, Paris, Gallimard, 2023, 233 pages.
Paris, le 23 novembre 2024, par Amadou Bal BA