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Billet de blog 25 mai 2025

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"Mohamed LAKHDAR-HAMINA (1934-2025) cinéaste algérien" Amadou Bal BA

Mohammed LAKHDAR-HAMINA (1934-2025), acteur, réalisateur, producteur et scénariste algérien de la décolonisation. Artiste de la Liberté, de la Justice et de la Dignité des Algériens. In Memoriam. Palme d'or à Cannes, en 1975, pour son film "Chronique des années de braise".

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«Mohammed LAKHDAR-HAMINA (1934-2025), acteur, réalisateur, producteur et scénariste algérien de la décolonisation. Artiste de la Liberté, de la Justice et de la Dignité des Algériens. In Memoriam», par Amadou Bal BA

Auteur de sept longs métrages, premier, encore unique Arabe et Africain à avoir remporté la palme d'or du Festival de Cannes, en 1975, pour son film, «Chronique des années de braise», Mohammed LAKHDAR-HAMINA est un cinéaste anticolonialiste et humaniste. «Avec ce film, j'avais eu envie d'expliquer pour la première fois comment est arrivée la guerre d'Algérie. Cette révolte, qui est devenue la révolution algérienne, est non seulement contre le colonisateur, moi aussi contre la condition de l'homme», dit le cinéaste. Il est aussi le récipiendaire, en 1967, du prix de la première œuvre pour «Le Vent des Aurès». Suivant le journal El Watan, il semblerait que Mohammed LAKHADAR aurait raté d’une voix, celle du sénégalais SEMBENE Ousmane, pour obtenir, en 1967, la palme d’or, estimant que l’Algérien aurait l’avantage de la jeunesse et du talent, et donc la prochaine fois sera la bonne. Aussi, Mohammed LAKHDAR aurait qualifié, publiquement, SEMBENE Ousmane de «traître».

La singularité et la force de sa narration ont de lui le cinéaste emblématique de la guerre de libération nationale, utilisant son art comme une arme pour témoigner de la souffrance de son peuple, pendant la colonisation.  «Je n'ai pas la prétention d'écrire l'histoire du peuple algérien. Je raconte une histoire. Mais chacun de mes films est une page dans le dossier de la société algérienne, arabe, tiers-mondiste et même mondiale», dit-il, en 1984, à Jeune Afrique. Dans «Chronique des années de braise», la lutte pour l'indépendance de l'Algérie est au cœur de cette grande fresque historique qui raconte en six tableaux, de 1939 à 1954, la naissance d'une nation avec le cheminement du peuple algérien jusqu'à l'embrasement contre la colonisation française. Ce film, masterisé, a été projeté à l'édition 2025 du festival 2025 de cinéma à Cannes. «Il est des coïncidences que seul le cinéma permet. Le réalisateur s'est éteint le jour où Cannes Classics célébrait les 50 ans de la Palme d'or décernée en 1975 à Mohamed Lakhdar-Hamina pour Chronique des années de braise, une fresque épique de près de trois heures», dit-il. TV5 Monde. Il s’est abstenu de faire un film sur «la Décennie noire», cette guerre civile, après la victoire aux élections, du Front islamique du Salut, ayant fait 200 000 morts. Dans son film, «les années de braise», Mohammed LAKHADAR-HAMINA, refusait tout manichéisme. Il stigmatisait aussi la Françafrique que ses suppôts et complices, «Les Bachaghas», en Afrique, cette «rente mémorielle» qu’évoquera le président MACRON, permettant au système de perdurer. En effet, il insiste au contraire sur le fait qu’aucun colonialisme ne peut durer s’il ne s’appuie sur des intermédiaires locaux et démontrant ainsi que les Algériens étaient colonisés et opprimés, aussi, par d’autres Algériens, le film, loin de finir dans l’exaltation facile de l’héroïsme passé, débouche au contraire sur l’époque actuelle et sur la lutte des classes, prélude à la révolution agraire. Le film ne ménage pas non plus les hommes de religion, jugés trop fatalistes «Allah a dit : «N’oublie pas ta part dans ce monde !», dit un des héros du film, «Chronique des années de braise». 

Sa contribution artistique a été un puissant adjuvant pour les jeunes cinéastes du tiers-monde ; sa quête de justice et de liberté, est un remarquable adjuvant pour le passé parle au présent et inspire l’avenir. Mohammed LAKHDAR-HAMINA nous a quittés le 23 mai 2025. Il a été inhumé au cimetière Sidi Yahia, à Alger. Il avait «une vision unique du cinéma», dit le communiqué de sa famille. «Je n'aime pas les films des moralistes, des thuriféraires, de tous ceux qui prétendent transmettre un message et ne communiquent que l'ennui», dit-il. Aussi, le président algérien, Abdelmadjid TEBBOUNE, a rendu un vibrant hommage l’artiste hors pair et un combattant infatigable qui, par ses œuvres, a su révéler au monde entier les souffrances du peuple algérien durant la colonisation. «À travers ses images puissantes et son engagement artistique, Lakhdar-Hamina a porté haut la voix de l’Algérie libre et révolutionnaire sur la scène cinématographique internationale. Avant d’être un cinéaste de renom, il était un moudjahid digne et engagé, un homme qui a contribué à libérer son pays en dévoilant, caméra à l’épaule, les vérités de la guerre et la grandeur de la lutte algérienne. Mohamed Lagdar Amina a laissé une empreinte indélébiles sur le cinéma algérien et mondial. Son engagement artistique et personnel continuera d’inspirer les générations futures. En Célébrant sa vie et son œuvre, nous honorons un homme qui a su utiliser le cinéma comme un puissant moyen d’expression et de résistance», dit le président algérien, Abdelmadjid TEBBOUNE. 

Né le 26 février 1934 à M'sila, dans l’Aurès, au Nord-Est algérien, Mohammed LAKHADAR-HAMINA est resté attaché à ses origines modestes. «Je ne cesse de porter mon bled avec moi», dit-il. Jeune, il déserte l'armée française en 1958, pour les combattants de l'indépendance. En effet, fils de modestes paysans, pendant la guerre d'indépendance, son père a été enlevé, torturé et assassiné par l'armée française. Lui-même, appelé en 1958, avait rejoint à Tunis la résistance algérienne.

Après une école d'agriculture, il poursuit en 1952 ses études en France, à Antibes, où il rencontre sa future épouse, Française, avec qui il aura quatre enfants. Au lycée Carnot de Cannes, il partage le pupitre du fils d'un directeur de la photo et se prend d'intérêt pour le cinéma. Musulman, mais non pratiquant, il a dénoncé le «vide culturel» dans son pays. «À travers toute l'Algérie, je n'ai jamais vu autant de gens se défoncer à la bière. On leur a donné à choisir entre le bar et la mosquée et les deux excès ne sont pas bons», disait-il, en 1985. Les enfants algériens, même doués, étaient défavorisés «À l’école je n’avais personne pour m’aider. Ma mère ne savait ni lire ni écrire en français. En classe je n’étais pas très bien placé. Je n’apprenais pas. J’avais personne pour me pousser, quoi. Alors j’ai dû quitter l’école à douze ans et travailler», dit-il. «Quand un Arabe cherchait à avoir un métier, à se débrouiller pour, on cherchait à l’éliminer. Le colonel avait déconseillé à mon premier patron de me laisser apprendre à travailler. “Après il va vous quitter”, il avait dit», relate le jeune Mohammed. Pourtant, dans «La Dernière Image», réalisé en 1986, Mohammed LAKHDAR-HAMINA ressuscite avec tendresse l’amour de ses jeunes camarades d’enfance pour leur institutrice française, pour leur école aussi, qui fut pour eux un espace de liberté et de bonheur où ils pouvaient s’épanouir. Cinquante ans après l’indépendance, il semble bien que ce soit l’impression qui domine : grâce à ce film, elle ne s’effacera pas.

Mohammed LAKHDAR-HAMINA entame des études de cinéma en 1959, à Prague pour se consacrer à partir de 1961 au cinéma algérien. À l'indépendance, il devient directeur des actualités algériennes, jusqu'en 1974. Il prendra aussi la direction, entre 1981 et 1984, de l'Office national pour le commerce et l'industrie cinématographique algérienne. «Il est évident que les premiers temps de l'indépendance ont représenté pour tous les Algériens , y compris les artistes, une sorte de mobilisation complète, comportant à la fois réflexion et décision, trop absorbante pour que de grandes œuvres ambitieuses puissent immédiatement être réalisées. La question n’était pas seulement matérielle : avoir ou non le temps d'organiser un tournage, elle était surtout mentale : il fallait laisser à la conception même de l’œuvre le temps de s’élaborer», écrit Denise BRAHIMI.

Dans ses films, il s’est attaché à la réhabiliter la culture algérienne et à faire l’éloge de la dignité de son peuple. La guerre d'Algérie avec un regard critique, au cœur de sa contribution artistique. Ainsi, en 1972, dans «Décembre», traite de la tragédie de son père, torturé par l'armée française. À Alger, un des responsables du FLN est arrêté par l'armée qui emploie les méthodes les plus violentes pour faire parler les prisonniers. Le recours à la torture pose un cas de conscience à un officier français. Jouant sur le champ contrechamp, entre le torturé et son tortionnaire, dans un huis clos étouffant redresseur de torts, le cinéma réhabilite ce qui est occulté. «Je puise dans ma mémoire pour trouver le ton juste», disait-il. Dans «Hassan Terro», un film comique, il retrace les mésaventures de Rouiched, un petit-bourgeois, un antihéros, froussard et vantard, entraîné, malgré lui, dans le feu de l'action révolutionnaire. «C’est une farce où le grand acteur comique Rouiched donne la mesure de son talent très apprécié du public. Dans la tradition de la comédie latine, satirique, sarcastique et sans ménagements, le réalisateur montre que le nationalisme de l’époque est parfaitement conciliable avec l’ironie et la distance critique et que ce mélange est peut-être même la marque de ce qu'il y a de meilleur dans l’algérianité», écrit Denise BRAHIMI.

Mohammed LAKHDAR-HAMINA, armé d’un esprit critique, n’épargne pas le patriarcat étouffant les femmes en Algérie. Aussi, il a traité du sort peu enviable des femmes dans son pays, à travers,  «Vent de sable» diffusé en 1982. Ce film est dédié à sa mère qui a souffert de seize maternités. «Je l'ai toujours connue enceinte et cloîtrée», dit-il. Ses films ont donc une dimension autobiographique. Aussi, sa passion d'enfant pour son institutrice française resurgit en 1986, dans «La Dernière image».

Dans le «Vent des Aurès», c’est l'odyssée d'une femme partie à la recherche de son fils emprisonné pendant la guerre, une histoire inspirée de celle de sa grand-mère. L'actrice Kheltoum interprète cette «mère courage» devenue un symbole pour tous les Algériens. C’est donc l’histoire tragique d’une famille détruite par la guerre. Le fils assurant, après la mort de son père, le ravitaillement d’un maquis est arrêté. La mère, inlassablement, part à sa recherche, de caserne en camp, une poule à la main pour obtenir, en échange de cette offrande, de pouvoir seulement voir son fils. Elle meurt, électrocutée par les barbelés du camp où il est interné «Cette représentation met en valeur trois aspects de la colonisation ressentis comme particulièrement intolérables : la dépossession, la déculturation, l’exploitation. Elle perpétue l’idée que jamais les Arabes et Kabyles d’Algérie n’ont accepté le joug de l’étranger», écrit Marc FERRO. Les Aurès, la contrée du cinéaste, cette région montagneuse de l’Est algérien où ont eu lieu en 1 954 les premiers événements de la guerre d'indépendance, est grandiose par ses canyons, gorges, falaises tout à fait apte à devenir un bastion de résistance. Par ailleurs, le caractère inaccessible et retiré de leur pays a permis aux Aurasiens de conserver leurs moeurs et leur culture berbères pendant des millénaires, en dépit des envahisseurs. C’est donc l'évocation de ce lieu a donc une forte valeur symbolique de résistance sur le plan interne qu’international. «Le Vent des Aurès n’est pas un film simplement descriptif, dans lequel il s’agirait de représenter ce qu'a pu être la guerre d'Algérie dans une région où elle a été particulièrement violente. À cet égard, le film de Mohammed Lakhdar-Hamina est profondément différent d’un autre film consacré à la guerre d'Algérie et qui est son contemporain, La Bataille d'Alger de Gillo Pontecorvo. Judicieusement, Mohammed Lakhdar-Hamina prend le parti inverse, pour montrer l'autre aspect de la guerre, celui qui a rendu les combattants algériens presque insaisissables pour leurs adversaires de l'armée française, à savoir leur dissémination dans un espace à la fois vaste et complexe que sa géographie rendait difficile à quadriller», écrit Denise BRAHIMI.

 Références bibliographiques

A – Filmographie

LAKHDAR-HAMINA (Mohammed), Crépuscule des ombres, 2014, durée 1h54 ;

LAKHDAR-HAMINA (Mohammed), La dernière image, 1986, durée 1h49 ;

LAKHDAR-HAMINA (Mohammed), Vent de sable, 1982, durée 1h43 ;

LAKHDAR-HAMINA (Mohammed), Chronique des années de braise, 1975, durée 2h57minutes, Palme d’Or à Cannes ;

LAKHDAR-HAMINA (Mohammed), Décembre, 1973, durée 1h35 ;

LAKHDAR-HAMINA (Mohammed), Hassan Terro, 1968, durée 90 minutes ;

LAKHDAR-HAMINA (Mohammed),Le Vent des Aurès, film, 1966, durée 1h30 ;

LAKHDAR-HAMINA (Mohammed), Mais un jour de novembre, 1964, documentaire, durée 1h15 ;

LAKHDAR-HAMINA (Mohammed), Prends soin, documentaire, 1963, durée 18 minutes.

 B- Autres références

BEDJAOUI (Ahmed) SEREAU (Michel) coordonnateurs, Les cinémas arabes et la littérature, Paris, Harmattan, 2019, 268 pages, spéc pages 30-34 ;

BEDJAOUI (Ahmed), Littérature et cinéma arabe, préface d’Azzedine Mihoubi, ministre de la culture ; éditions Chihab, 2022, 244 pages ;

BOUGHEDIR (Férid), «Lakhdar-Hamina à Cannes, le 23 mai 1975», Jeune Afrique, 23 mai 2023 ;

BRAHIMI (Denise), Cinémas d’Afrique francophone du Maghreb, Paris, Nathan,1997, 128, pages, spéc sur les pionniers, pages 28-33 ;

FERRO (Marc), Histoire des colonisations. Des conquêtes aux indépendances XIXe-XXe siècle, Paris, Seuil, 1994, 593 pages, spéc pages 173, 192 et 265 ;

Kali, «Mohammed Lakhdar-Hamina : le parcours unique d’un réalisateur d’exception», El Watan, 25 mai 2025.

Paris, le 24 mai 2025, par Amadou Bal BA

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