
«M. Amin MAALOUF, nouveau Secrétaire perpétuel de l’Académie française et un humaniste partisan du multiculturalisme et de la Tolérance» par Amadou Bal BA -
Depuis le 28 septembre 2023, M. Amin MAALOUF est élu secrétaire perpétuel de l'Académie française, en remplacement de Mme Hélène CARRERE-D’EBCAUSSE restée à ce poste du 21 octobre 1999 à sa disparition, le 5 août 2023. Elu, le 23 juin 2011, au 29ème fauteuil, occupé par Claude LEVI-STRAUSS (1908-2009), M. Amin MAALOUF est prix Goncourt en 1993, pour son roman «Le rocher de Tanios». Le poste de Secrétaire perpétuel a été notamment occupé, de 1985 à 1999 (24 ans), par Maurice DRUON (1918-2009), co-auteur notamment du «Chant des partisans» avec Joseph KESSEL (1898-1979). À ce jour, l’Académie française compte 33 secrétaires perpétuels, élus à vie, Charles PINOT-DUCLOS (1704-1772) est resté à ce poste pendant 16 ans, 4 mois et 11 jours. Défenseur et promoteur de la langue française, le Secrétaire perpétuel de l’Académie française, créée en 1635 par RICHELIEU, a pour d’administrer cette institution dont le but, depuis sa création en 1635 par Richelieu, est notamment la rédaction de dictionnaires et de présider toutes les commissions «chargées de gérer les biens de la Compagnie, rédiger son Dictionnaire, décerner ses prix» et de représenter «la Compagnie dans les cérémonies officielles». Dans son roman, «Un fauteuil sur la Seine» paru en 2016, Amin MAALOUF a raconté l’histoire des personnages qui se sont succédé à l’Académie française depuis 1634, dont le premier, Pierre BARDIN (1595-1664), qui n’y resta pas longtemps. Reçu en mars 1634, il se noya dans la Seine le 29 mai 1635, en voulant secourir M. d’Humières dont il avait été le précepteur ; ce qui lui vaut le triste privilège d’avoir été le premier «immortel» à mourir. D’autres auteurs immortels le suivront comme Pierre RONSARD, Joachim Du BELLAY, François RABELAIS, Michel de MONTAIGNE, Pierre de CORNEILLR, Jean de RACINE, Jean-Baptiste POQUELIN dit Molière ou Jean La FONTAINE. Le 22 septembre 1972, se suicidait également Henri de MONTHERLANT «pour respect de la vie». Il n’a pas voulu affronter la cécité et la dépendance. «Quand on a un privilège d’être reçu au sein d’une famille, comme la vôtre, on n’arrive pas les mains vides. Et si on est l’invité Levantin que je suis, on arrive même les bras chargés. Par gratitude envers la France, comme envers le Liban, j’apporterai avec moi, tout ce que mes deux patries m’ont donné : mes origines, mes langues, mon accent, mes convictions, mes doutes, mes rêves d’harmonie, de progrès et de coexistence» dit Amin MAALOUF dans son discours de réception à l’Académie française.
Amin MAALOUF, un melkite d’une minorité chrétienne, né le 25 février 1949 à Beyrouth, au Liban, est issu d’une famille aisée et cultivée. «Je crois que, quand on grandit dans une région où il y a des déchirements, des conflits en permanence. On prend l’habitude d’observer le monde d’une certaine manière. Le fait de naître dans une société qui est déjà divisée en communautés, qui ont chacune sa trajectoire, son histoire, donne certaines habitudes de pensée, et le fait de vivre des évènements, violents aussi, affecte le regard que l’on a. Je ne saurais pas dire exactement comment le fait d’être né au Liban a affecté ma vision, mais je suis sûr que cela l’a affectée» dit Amin MAALOUF à «Lire la société». Sa mère, Odette MAALOUF née GHOSSEIN (1921-2021) est issue d'une famille francophone et maronite, dont une branche vient d'Istanbul. Son père, Ruchdi MAALOUF (1914-1980) est enseignant, poète, musicologue et journaliste. Ecrivain franco-libanais, il a passé les premières années de son enfance en Égypte, patrie d'adoption de son grand-père maternel, ayant fait fortune, dans le commerce, à Héliopolis. Amin MAALOUF est issu d’une fratrie de quatre enfants. Sa mère est originaire d'une famille de la montagne libanaise, famille d'enseignants par tradition depuis la génération des arrière-grands-parents. Sa grand-mère maternelle est turque et son grand-père chrétien maronite. Les études primaires d'Amin MAALOUF se déroulent à Beyrouth dans une école française de pères jésuites, le collège Notre-Dame de Jamhour, tandis que ses trois sœurs étudient à l’école des religieuses de Besançon.Ses premières lectures se font en arabe, y compris les classiques de la littérature occidentale, mais ses premières tentatives littéraires, secrètes, se font en français, qui est pour lui, à cette époque, la «langue d'ombre», par opposition à la «langue de lumière», l'arabe. Étudiant en sociologie et sciences économiques à l'université Saint-Joseph de Beyrouth, il rencontre Andrée, éducatrice spécialisée, passionnée d’arts culinaires, qu'il épouse en 1971, et qui lui donne trois enfants. Amin MAALOUF travaille comme reporter, notamment à AN-Nahar, couvrant de nombreux évènements à travers le monde, comme la chute de la monarchie éthiopienne, en septembre 1974, ou la dernière bataille de Saigon, en mars et avril 1975. Quand la guerre civile éclate au Liban, en 1976, il part pour la France avec son épouse et ses enfants, reprenant aussitôt son activité de journaliste, notamment à «Jeune Afrique», où il devient rédacteur en chef et éditorialiste.
À partir de 1981, Amin MAALOUF se consacre pleinement à l’écriture, publiant des romans, des essais, des livrets d’opéra. Passeur de cultures, de chantre des exilés et d’ambassadeur des immigrants, chrétien au Liban, Arabe en France, Amin MAALOUF, Guelfe pour les Gibelins, Gibelin pour les Guelfes ; semble irrémédiablement minoritaire, irrémédiablement étranger. Il revendique d’ailleurs lui-même ce rôle de médiateur entre l’Orient et l’Occident, prêchant pour un monde du multiculturalisme et de l’identité multiple. Fortement influencé par Thomas MANNE, Albert CAMUS, Léon TOLSTOI, Marguerite YOURCENAR, Charles DICKENS, Stefan ZWEIGE, ainsi que par Omar KHAYYAM, le thème qui traverse l'ensemble de la création littéraire d’Amin MAALOUF questionne les rapports politiques et religieux qu'entretiennent l'Orient et l'Occident. Par conséquent, les personnages d’Amin MAALOUF sont souvent en conflit avec leurs croyances de leur environnement et de leur temps. Observateur et interprète de l'histoire et de son temps, Amin MAALOUF, dans sa littérature érudite, savante, vise à bâtir des ponts entre les hommes et les cultures. Aussi, ses romans historiques, à rebours du discours dominant en Orient, ont une véritable prière pour une communion universelle des peuples, et concernent les thèmes d’identité, d’altérité, de tolérance, du bien-vivre ensemble, d’exil, de quête des origines et d’appartenances multiples. Amin MAALOUF est intéressé aux liens entre groupes, cultures et religions : ententes, échanges et métissages, mais aussi conflits et affrontements.
Amin MAALOUF est riche de sa diversité de son multiculturalisme apaisé : «J’ai grandi dans une société où il y a toujours eu plusieurs langues. Le fait d’avoir pratiqué des langues différentes dès l’enfance a également affecté ma vision des choses, et ma manière de m’exprimer. Moi, j’ai grandi dans un milieu qui était arabophone, anglophone et francophone. La famille de mon père a fait ses études dans des écoles de langue anglaise, la famille de ma mère dans des écoles de langue française, et la langue commune, la langue de la maison, et du pays, était l’arabe. Et de plus, il y a encore deux langues en arabe : il y a la langue classique, il y a la langue parlée qui est assez différente, sans parler des dialectes différents, puisque dans ma famille, du côté de ma mère, on parlait un dialecte égyptien, du côté de mon père, un dialecte libanais. Et là encore il y a des différences. Je pense que tout cela peut constituer un enrichissement, et j’ai plutôt vécu ce multilinguisme avec sérénité. J’ai très peu senti de tensions. Il y a des pays où il y a des tensions entre les langues. Ce n’est pas le cas au Liban. Au Liban, il y a une attitude pragmatique et assez sereine par rapport aux langues» dit Amin MAALOUF. Animé d’un pessimisme ensoleillé, il nomme la difficulté de vivre ensemble, afin que les hommes recherchent les bonnes solutions pour sortir des impasses «Je n’ai pas le sentiment que je diffuse le pessimisme. Je pense que j’ai voulu être lucide. Je crois que les choses sont tellement graves aujourd’hui qu’il ne faut pas se cacher la vérité. Il faut faire un constat juste, et à partir de là chercher des solutions. Je pense qu’il y a des solutions. Je pense que l’humanité aujourd’hui a les moyens de résoudre le problème. Ce qui lui manque, c’est la prise de conscience et la volonté de résoudre le problème. Et donc le rôle de celui qui écrit est de dire ce qui ne va pas, et d’encourager ses contemporains à réagir, à provoquer un sursaut» dit Amin MAALOUF.
Dans son livre, «Les Identités meurtrières», Amin MAALOUF est en guerre contre des comportements humains lorsque l’affirmation de soi va si souvent de pair avec la négation de l’autre. Humaniste, Amin MAALOUF est convaincu que l’on peut rester fidèle aux valeurs dont on est l’héritier, sans pour autant se croire menacé par les valeurs dont d’autres sont porteurs. Par conséquent, il a puisé ses exemples dans l'histoire. De Léon l'Africain jusqu'à Baldassar, ses personnages sont des nomades. Ils se déplacent dans l'espace avec des repères, un point de départ et un lieu de découverte et de promesse. En particulier, Amin MAALOUF a relaté la vie du poète persan Omar Kayyam, à travers «Samarcande» ou le manuscrit «Rubaiyaat», c'est la Perse d'Omar Khayyâm, poète du vin, libre-penseur, astronome de génie, mais aussi celle de Hassan Sabbah, fondateur de l'ordre des Assassins, la secte la plus redoutable de l'Histoire. Samarcande, c'est l'Orient du XIXe siècle et du début du XXe, le voyage dans un univers où les rêves de liberté́ ont toujours su défier les fanatismes. Samarcande : « Et maintenant, promène-t-on regard sur Samarcande ! N'est-elle pas reine de la Terre ? Fière, au-dessus de toutes les villes, et dans ses mains leurs destinées ?» écrit-il dans le prolongement de la pensée d’Edgar Allan POE (1909-1849).
Amin MAALOUF a aussi traité de l'histoire des croisades vue par les Arabes, de «Léon l'Africain», une autobiographie imaginaire basée sur une histoire vraie. En 1518, un ambassadeur maghrébin, de retour d'un pèlerinage à La Mecque, est capturé par des pirates siciliens, il est offert en cadeau à Léon X. Ce voyageur s'appelait Hassan al-Wazzan. Il devint le géographe Jean-Léon de MEDICIS, dit Léon l'Africain. Sa vie, que ponctuent les grands évènements de son temps, est fascinante : il se trouvait à Grenade pendant la Reconquista, d'où̀ il a dû fuir l'Inquisition, en Egypte lors de sa conquête par les Ottomans, en Afrique noire à l'apogée de l'empire de l'Askia Mohamed TOURE, enfin à Rome aux plus belles heures de la Renaissance, ainsi qu'au moment du sac de la ville par les soldats de Charles QUINT. Homme d'Orient et d'Occident, homme d'Afrique et d'Europe, on pouvait difficilement trouver un personnage dont la vie corresponde davantage à l'époque étonnante que fut le XVIe siècle. Dans également, «Le périple de Baldassare», Amin MAALOUF a toujours, dans sa création littéraire, fait recours à une importante source documentaire.
Références
I – Contributions d’Amin MAALOUF
MAALOUF (Amin), Discours de réception à l’Académie française, Paris, Bernard Grasset, 2014, 112 pages ;
MAALOUF (Amin), L’amour de loin, Paris, Bernard Grasset, 2001, 88 pages ;
MAALOUF (Amin), Le dérèglement du monde : Quand nos civilisations s’épuisent, Paris, Bernard Grasset, 2009, 326 pages ;
MAALOUF (Amin), Le périple de Baldassare, Paris, Bernard Grasset, 2000, 490 pages ;
MAALOUF (Amin), Le premier siècle après Béatrice, Paris, Bernard Grasset, 1992, 166 pages ;
MAALOUF (Amin), Le premier siècle après Béatrice, Paris, Bernard Grasset, 2020, 336 pages ;
MAALOUF (Amin), Le rocher de Tanios, Paris, Le Livre de Poche, 1993, 298 pages ;
MAALOUF (Amin), Léon, l’Africain, Paris, Jean-Claude Lattès, 1986, 470 pages ;
MAALOUF (Amin), Les croisades vue par les Arabes, Paris, J’ai Lu, 1983, 317 pages ;
MAALOUF (Amin), Les désorienté, Paris, Bernard GRASSET, 2014, 534 pages ;
MAALOUF (Amin), Les échelles du Levant, Le Grand livre du mois, 1996, 326 pages ;
MAALOUF (Amin), Les identités meurtrières, Paris, Bernard Grasset, 2001, 189 pages ;
MAALOUF (Amin), Les jardins de lumière, Paris, Jean-Claude Lattès, 1991, 326 pages ;
MAALOUF (Amin), Nos frères inattendus, Paris, Bernard Grasset, 2020, 336 pages ;
MAALOUF (Amin), Origines, Paris, Bernard Grasset, 2004, 508 pages ;
MAALOUF (Amin), Samarcande, Paris, Jean-Claude Lattès, 1988, pages ;
MAALOUF (Amin), Un fauteuil sur la Seine : quatre siècles d’histoire de France, Paris, Bernard Grasset, 2016, 336 pages ;
II – Autres références
BAINATI (Mohamed), Approche sémiotique :essa d’analyse narrative et discursive de Samarcande d’Amin Maalouf, thèse sous la direction de Jacques Fontanille, Université de Limoges, 1998, 321 pages ;
BELLAMINE-BEN AISSA (Yosr), Altérité et marginalité dans les œuvres de J-M.G Le Clézio, et Amin Maalouf , thèse sous la direction d’Arlette Bouloumié, Villeurbanne, 2014, 366 pages ;
BOUVET (Rachel) EL KETTANI (Soundouss), Amin Maalouf, une œuvre à revisiter, Presses de l’université du Québec, 2014, 407 pages ;
DAKROUB (Fida), L’Orient d’Amin Maalouf : écriture et construction identitaire dans les romans historiques d’Amin Maalouf, Paris, éditions universitaires européennes, 2011, 236 pages ;
GORNY (Jeanne) PILLEMENT (Iris), «Interview d’Amin Maalouf, le naufrage des civilisations» , Lire la société, article en ligne, non daté ;
HAMOUDI (Hicham), Proposition d’analyse de trois romans d’Amin Maalouf : Léon l’Africain, Samarcande, Les Jardins de lumière, thèse sous la direction de Raymonde Robert, Lille, ANRT, 1998, 105 et 148 pages ;
KHALED (Maya), L’écriture d’Amin Maalouf àla lisière de deux langues : une approche pluridisciplinaire, Paris, Harmattan, 2017, 382 pages ;
MAADARANI (Faten) MUR (Amin, Maalouf), Saveurs libanaises : miroir de la diversité, préface Amine Maalouf, stylisme de Sabine Paris, photographie de Loïc Nicoloso, Paris, Albin Michel, 2015, 176 pages ;
MAALOUF (Andrée), L’amour de loin, Paris, Bernard Grasset, 2001, 88 pages ;
MAALOUF (Joseph), Amin Maalouf, itinéraire d’un humaniste éclairé, Paris, Harmattan, 2014, 245 pages ;
MARAN (René), Batouala, préface d’Amin Maalouf, Paris, Albin Michel, 2021, 260 pages ;
NEGGAZ (Soumaya), Amin Maalouf : le voyage initiatique de Léon l’Africain, Paris, Harmattan, 2005, 227 pages ;
PERROT (Luce), «La grande interview : Amine Maalouf», Paris, L’Arche-FSJU, 2021, pages 22-25 ;
PEYLET (Gérard), Amin Maalouf : heurts et malheurs de la filiation : l’auteur et ses interprètes, pour un échange critique sur son oeuvre, éditions Passiflore, 2016, 228 pages ;
Paris, le 24 octobre 2023, par Amadou Bal BA -