Une Fondation sur la mémoire de l’esclavage, des traites et de leurs abolitions, sera installée, en 2019, au Musée de la Marine, Place de la Concorde à Paris, sous l’autorité de M. Jean-Marc AYRAULT, ancien premier ministre. Le groupement d’intérêt public, le Comité National pour la Mémoire et l’Histoire de l’Esclavage (GIP, C.N.M.H.E.), dirigé, respectivement, par Mmes Maryse CONDE, Françoise VERGER, Mariam COTTIAS, et maintenant par M. Frédéric REGENT, disparaît au profit de cette nouvelle fondation. En vue d’une démarche participative, des ateliers se sont réunis, à la Maison de la Chimie, à Paris 7ème, les 24 et 25 novembre 2018, en vue notamment d’identifier les priorités et les enjeux de cette future Fondation.
A cette occasion, Mme Christiane TAUBIRA, à qui l’on doit la loi de 2001 qualifiant l’esclavage de «crime contre l’Humanité», a rendu un vibrant hommage à M. Jean-Marc AYRAULT, à l’époque président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. M. AYRAULT a appuyé, fortement, et présenté, personnellement, cette proposition de loi, initiée en 1999, mais qui n’a pus aboutir que deux ans plus tard. Mme TAUBIRA a révélé, qu’à la dernière minute, et avant le vote de la loi de 2001, ce sont des députés des outres-mers qui ont, curieusement, déposé un amendement visant à écarter de cette proposition de loi, les dispositions sur les réparations.
Par conséquent, le choix d’un président de la Fondation sur l’esclavage n’est pas une question de couleur, mais de compétence et légitimité, Victor SCHOELCHER était un Alsacien. Bien que la ville de Nantes ait un passé douloureux concernant l’esclavage, Jean-Marc AYRAULT a crée un Mémorial de l’esclavage dans sa ville en 2012. J’étais présent à Nantes lors de l’inauguration de ce mémorial, à l’invitation d’Octave CESTOR. Dans tous les cas, la Fondation sera ce qu’en feront les militants, notamment associatifs. Il y a, sans doute, d’immenses espoirs, des colères, des déceptions, peut-être des rancunes, dans ce combat pour l’égalité. Cependant, chaque victoire remportée, aussi infime soit-elle, est déjà un point d’appui pour des succès futurs. A mon sens, je demeure convaincu, que toute tentation qui limiterait les activités de la Fondation, uniquement à la commémoration, au souvenir et aux cocktails dinatoires, dans un consensus mou, serait trahir le combat de Victor SCHOELCHER (Voir mon article) qui avait établi un lien très étroit entre l’abolition de l’esclavage, la République, les questions de citoyenneté et de justice sociale. Les bons sentiments et la morale ne suffiront pas à terrasser la bête immonde, bien requinquée. Par conséquent, il sera impérieux que les jeunes et les associations, avec leur devoir d’impertinence, leur soif de vérité et de sincérité, constamment, interviennent dans cette Fondation. Dans notre époque, il est vital de lutter, activement, contre toutes les formes modernes d’esclavage, les discriminations et le racisme, compte tenu de ces fleurs vénéneuses que sont la montée des nationalismes et des populismes. «Le racisme et la xénophobie constituent les menaces les plus graves pour la démocratie. Pour deux raisons. La première, c'est que le sentiment raciste, le rejet de l'autre, s'est répandu sur tous les continents, de manière plus complexe qu'autrefois. La deuxième, c'est que nous assistons à une instrumentalisation politique du racisme qui, avec la xénophobie payent électoralement, notamment en Europe. Ces idées, jusque là domaine des partis de l'extrême droite, à la marge, imprègnent lentement les programmes des partis dits démocratiques, notamment dans les débats sur l'immigration, sur l'asile et maintenant sur le terrorisme depuis le 11 septembre 2001... Les immigrés deviennent une espèce en danger» estime Doudou DIENE.
Il a été précisé qu’il s’agit d’une Fondation nationale, mais elle doit se saisir des sujets concernant toute la diaspora, en France, comme à Haïti, au Brésil et aux Etats-Unis. Par ailleurs, l’Afrique doit rester partie prenante, estime jacques MARTIAL du «Mémorial Act». En effet, le Sénégal a déclaré, en 2010, l’esclavage crime contre l’humanité, mais sans journée de commémoration. Il est aussi question d’interpeler l’Union africaine afin d’identifier des axes de coopération avec cette Fondation de France. Il est rappelé, dans le Nord du Sénégal, que Thierno Souleymane BAL, fondateur de la dynastie des Almamy, au Fouta-Toro, avait aboli l’esclavage en 1776, bien avant la décision de la France du 27 avril 1848. Thierno Souleymane BAL fait donc partie de ces ancêtres à honorer.
Il faut saluer, pour ces ateliers, le travail exceptionnel réalisé, notamment par Doudou DIENE, un expert de l’UNESCO sur les routes de l’esclavage, Mme Aïssata SECK, ajointe au Maire de Bondy, M. Karfa Sira DIALLO de Bordeaux, M. Shoki ALISAID de Lyon, Harouna LY du Havre et M. Wally TIRERA de Marseille.
L’esclavage avait existé depuis les temps antiques, mais ce qui a caractérisé, essentiellement, l’esclavage transatlantique, c’est sa durée très longue, plus de 400 années, l’implication des Etats occidentaux pour organiser ce trafic, et une législation qui est venue conforter ce mode d’oppression, à travers le Code noir, considérant que l’esclave n’est pas une personne humaine, mais un bien meuble. Même après l’abolition de l’esclavage, l’idéologie de hiérarchisation des cultures sous-jacente, a servi à justifier la colonisation. Cette idéologie raciste encore particulièrement prégnante. Ce qui a caractérisé l’esclavage, c’est aussi le silence organisé et structuré de cette déshumanisation de l’individu. Ce qui fait encore, de nos jours, la particularité de l’esclavage, ce sont les conséquences de cette idéologie de violence et de domination, sur l’invisibilité des personnes qui en sont victimes. Le triomphe de l’idéologie ultralibérale a fait des Noirs et de leurs diaspora des personnes encore méprisées, parce que marginalisées sur le plan économique, social et politique. En effet, la mondialisation, dans sa grande brutalité, écrase la diversité et les différences, et organise ainsi une invisibilité des Noirs.
Par conséquent, la Fondation sera confrontée à la montée du racisme, avec des victimisations et des instrumentalisations de la peur. Les victimes ne doivent pas se cantonner dans une posture victimaire, elles doivent résister et lutter pour l’égalité, la fraternité et le bien-vivre ensemble. Nous sommes aussi la France, dans sa diversité, son multiculturalisme. Il faut travailler, non pas sur la confrontation, en vue de «reconstruire de la relation», suivant une idée chère à Edouard GLISSANT. Certaines voix se sont élevées pour une journée fériée, pour tous, en vue, ensemble de réfléchir, positivement, sur les pistes d’une société apaisée, pour une réconciliation et une cohésion nationales. Nous vivons dans une société plurielle, il faudrait apprendre à vivre ensemble, dans nos diversités. C’est une force la différence, ce n’est pas une confrontation, une relation à l’autre est à imaginer, c’est l’occasion de découvrir son Moi différent et différemment.
Dans les questions de mémoire, la Fondation devrait se poser trois questions essentielles : une mémoire pour se rappeler des faits, les causes profondes de ce crime contre l’humanité, resté impuni ; et situer les responsabilités. L’esclavage est un crime si abominable qu’on se demande s’il est réparable. Tout n’est pas réparable, financièrement, compte tenu de cet attentat contre l’esprit humain, avec son nombre incalculable de victimes. Mais la réparation peut prendre diverses formes : une réparation morale, c’est un crime contre l’humanité ; une réparation historique, il faut documenter le crime et constituer le dossier ; une réparation éducative, à travers les programmes scolaires et universitaires ; une réparation économique avec notamment la restitution des terres ou des biens culturels volées à l’Afrique, les bourses de l’excellence.
En vue de cette ambition d’une démarche participative, quatre ateliers se sont réunis :
- Transmission, recherche, éducation ;
- Valorisation, musées, patrimoine immatériel ;
- Commémorations, cérémonies ;
- Créations, culture, art ;
- et luttes contre le racisme, les discriminations et l’esclavage contemporain.
La transmission revêt trois dimensions : l’école, à travers ses manuels et les pratiques quotidiennes, l’université et la formation des maîtres, ainsi que les partenaires citoyens (associations universitaires populaires, initiatives personnelles). La Fondation, un lieu de ressources et de labellisation de l’excellence, a pour vocation de transmettre une histoire du fiable et de l’avéré, afin d’avoir une parole forte et écoutée. La Fondation, en lien avec l’éducation nationale (écoles, référent mémoire, peser sur les programmes scolaires, histoire dans un temps long, lieu de veille, démarche pluridisciplinaire et de qualité) et le service civique (15 jours de formation), mettra en réseau les acteurs du territoire et mutualisera des initiatives, et recenser les bonnes pratiques, à travers son université d’été qui sera annualisée. Dans le domaine de l’université et la recherche (documentation et thèses), il faudra stimuler la recherche et approfondir les liens avec les universités étrangères. La Fondation devrait contribuer à l’émergence d’un récit national pluriel respectant l’ensemble des histoires de notre pays.
La Fondation devrait valoriser les moyens des communications adaptés, pour toucher un public éloigné, comme les jeunes, toucher toutes les identités multiples, mettre en réseau l’existant, accompagner les initiatives locales, fédérer et mutualiser les bonnes pratiques, et ne pas se substituer aux acteurs, notamment associatifs, mais les renforcer dans leur dynamique, inventorier et rendre accessible les lieux de mémoire.
Dans le thème de la création, il faudrait rendre visible ce qui a été marginalisé, caché ou effacé. L’invisibilité a brouillé quatre siècles d’esclavage et d’oppression, cette histoire déniée devrait être accessible à tous. L’invisibilité ne tient pas au manque d’information, mais l’histoire de l’esclavage et le sort des dominés ne sont pas considérés comme des questions centrales, pour comprendre notre monde d’hier, mais aussi celui d’aujourd’hui. Depuis plus de 20 ans de nombreuses créations ont vu le jour (chorégraphies, théâtres, cinéma, bandes dessinées) pourtant, les dominants estiment que ça n’intéresse pas, ça ne compte pas. Les artistes ont besoin de documents pour nourrir leurs créations. La Fondation pourrait être une caisse de résonance de ces créations, à la fois pour le contenu et les formats, faire obligation au service public de soutenir ces initiatives, établir une galerie d’art des créateurs connus à ce jour, répertorier une cartographie des zones ayant bénéficié ou ont été victimes de l’esclavage. La Fondation devrait rester un lieu d’entraide et de mise en réseau, pour rendre visible et valoriser les créateurs, vulgariser pour mieux communiquer, financer et accompagner les initiatives. La Fondation peut ainsi mettre fin au sentiment d’isolement et d’abandon des créateurs.
La Fondation commémore le 10 mai, mais s’intéresse aux autres commémorations dans les départements français, et au sein des pays où vit la diaspora. Les associations ont signalé des municipalités qui refusaient d’organiser l’abolition de l’esclavage, par idéologie ou méconnaissance. La Fondation devrait organiser une rencontre de ces municipalités avec leurs associations locales. Dans la commémoration, il y a un temps de recueillement, de discours officiel et d’expression culturelle forte. Il faudrait commémorer, non pas un événement, mais plutôt des personnes, honorer les ancêtres, avec une approche internationale. Il est nécessaire d’accroître l’audience de ces commémorations, avec un public plus jeune qui sont des acteurs et non des spectateurs. Les associations attendent de la Fondation un accompagnement logistique, scientifique ou financier. Le pourquoi, c’est se souvenir, il faut que ces mémoires soient reconnues, valoriser la citoyenneté et l’Histoire, c’est une histoire concernant la Nation entière.
Lutter ne signifie pas la concurrence mémorielle. Même s’il y avait une inégalité de traitement entre la Shoah et l’esclavage, il n’y a pas de hiérarchie envisageable pour des drames aussi atroces l’un que l’autre. La démarche suggérée n’est pas celle de la concurrence, mais de la complémentarité. Les associations juives ont une grande expérience et un savoir-faire, sans égal par rapport à la Fondation, il faudrait donc s’inspirer des modalités d’action de celles-ci, ou même organiser des initiatives communes. La Fondation peut être ce lieu de rencontre pour profiter de l’expérience des associations juives. Par ailleurs, la Fondation devrait lutter, énergiquement, contre toutes les formes d’esclavage moderne, d’oppression contemporaine, de discrimination et de racisme. Toutes les formes de résistance contre cet arbitraire devraient être soutenues par la Fondation.
Paris, le 25 novembre 2018, par M. Amadou Bal BA.

Agrandissement : Illustration 1
