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Billet de blog 30 novembre 2019

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"Massacre au Camp de Thiaroye, Justice, Vérité" par Amadou Bal BA

Le Massacre des Tirailleurs Sénégalais au Camp de Thiaroye (1944-2019), le 1er décembre 1944 est un crime contre l’Humanité. 75 ans après, nous réclamons la révision du procès et l'ouverture de toutes les archives coloniales pour faire la lumière sur ces méfaits.

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1600 Tirailleurs Sénégalais, anciens combattants de l’Armée française qui étaient venus défendre la «Mère patrie», sont rassemblés avant leur démobilisation, en novembre 1944, au Camp de transit de Thiaroye, à 15 km de Dakar, au Sénégal. Ils n’ont pas eu le droit de défiler auprès du Général de GAULLE, sur les Champs-Elysées, à la Libération. Chair à canon, pendant la guerre, ils ont été vite renvoyés au Code de l’Indigénat. Soumis à diverses vexations et injustices, pendant que d’autres résistants de dernière heure, qui s’étaient pendant longtemps planqués, se font attribuer des médailles de bravoure et d’héroïsme, les Tirailleurs Sénégalais internés à Thiaroye, apprennent que le montant de leurs indemnités qui doit leur être payé (arriérés de solde, pécule, prime de démobilisation) sera divisé par deux. Dans l’Hexagone, on dénonce, à juste titre, l’odieux crime des Allemands à Oradour-sur-Glane, mais aussi on massacre en Afrique, en silence. Ces Tirailleurs sénégalais étaient détenus dans des Frontstalags, dans la zone occupée, surveillés par des policiers français, les Allemands ne voulant pas de Noirs sur leur territoire.

Un général, venu dans le Camp de Thiaroye, pour imposer ces décisions iniques, est brièvement séquestré, puis libéré. Pour punir cette audace de réclamer un dû, et en représailles, le Camp de Thiaroye est attaqué à l’artillerie lourde, en pleine nuit, le 1er décembre 1944. Officiellement, il a eu 35 morts. Il y aura en fait plus de 300 morts ensevelis dans une fosse commune. Le général qui avait donné l’ordre d’ouvrir le feu, avec de la mitrailleuse lourde, écrit dans son rapport «Ma conviction était formelle : tout le détachement était en état de rébellion. Il était nécessaire de rétablir la discipline et l’obéissance par d’autres moyens que les discours et la persuasion. Tout est rentré tragiquement dans l’ordre» écrit le général DAGNAN dans son rapport. Pour le lieutenant-colonel LE BERRE, c’est une simple «opération de maintien de l’ordre». En fait, loin d’être une «mutinerie», il s’agit bien d’une paix des cimetières, d’un véritable crime contre l’Humanité, comme cela sera le cas le 8 juin 1945, à Sétif, en Algérie (35 000 morts) et en 1947 à Madagascar (100 000 morts). Il y a des polémiques sur le nombre de ces morts, mais ces tueries sont sans témoin ; elles incarnent surtout le droit de résistance à l’oppression et la revendication de vivre libre, sans la servitude. En 2012, le président HOLLANDE parlera de «répression sanglante» mais sans en tirer les conséquences au regard la révision de ce procès et la réouverture des archives. «Jour de Thiaroye, des âmes se sont envolées. Pleure ce combat sans témoins, sans survivants. Tu as commis ce crime, Thiaroye, je le sais» a chanté Baaba MAAL, dans son album «Jombaajo» de 2000. Après cette féroce répression, 34 tirailleurs, considérés comme les meneurs de cette «mutinerie», sont condamnés à de lourdes peines par la justice militaire, les 5 et 6 mars 1945. «Des hommes qui avaient combattu pour la France, avaient été prisonniers en France, avaient par miracle échappé à la mort. Quand ils sont revenus sur le sol natal, au moment de revoir leur foyer et leur famille, ils ont été tués par des balles françaises, pour une misérable question de sous» dira Lamine GUEYE, l’avocat des Tirailleurs sénégalais.

Léopold Sédar SENGHOR, qui était hors du Sénégal, lui aussi prisonnier de guerre, écrira ce poème «Tyaroye», paru en 1948, dans le recueil «Hosties noires» :

«Prisonniers noirs je dis bien prisonniers français, est-ce
donc vrai que la France n'est plus la France ?
Est-ce donc vrai que l'ennemi lui a dérobé son visage ?
Est-ce donc vrai que la haine des banquiers a acheté ses bras d'acier ?
Et votre sang n'a-t-il pas ablué la nation oublieuse de
sa mission d'hier ?
Dites, votre sang ne s'est-il pas mêlé au sang lustral de ses
martyrs?
Vos funérailles seront-elles celles de la Vierge-Espérance ?
Sang sang ô sang noir de mes frères, vous tachez l'innocence
de mes draps
Vous êtes la sueur où baigne mon angoisse, vous êtes
la souffrance qui enroue ma voix
Wôi ! Entendez ma voix aveugle, génies sourds-muets
de la nuit.
Pluie de sang rouge sauterelles! Et mon cœur crie à
l'azur et à la merci.

Non, vous n'êtes pas morts gratuits ô Morts! Ce sang
n'est pas de l'eau tépide.
Il arrose épais notre espoir, qui fleurira au crépuscule.
Il est notre soif notre faim d'honneur, ces grandes
reines absolues.

Non, vous n’êtes pas morts gratuits. 

Vous êtes les témoins de l’Afrique immortelle. 

Vous êtes les témoins du monde nouveau qui sera demain. 

Dormez ô Morts !

Et que ma voix vous berce, ma voix de courroux que berce l’espoir».

Lamine GUEYE, avocat des Tirailleurs sénégalais écrit à Gaston MONNERVILLE, un radical de gauche «c’est une question d’argent qui amené des militaires à abattre à coups de mitraillette des Tirailleurs sénégalais» écrit-il le 7 décembre 1944. Gaston MONNERVILLE réclame une enquête parlementaire, en vain.

 Ce crime contre l’humanité, que personne n’osait évoquer, a été dénoncé par le film de SEMBENE Ousmane, un cinéaste sénégalais, «Camp de Thiaroye», sorti en 1987, mais aussitôt interdit en France, et n’a pas obtenu, pendant trois ans un visa d’exploitation. Le président Abdou DIOUF ne voulait pas déplaire à ses Maîtres. Dans ce film, le sergent DIATTA est interprété par Ibrahima SANE. SEMBENE a fait de la mémoire, un enjeu important de dignité et d’indépendance nationale : «Si tu ne sais pas d’où tu vas, regarde d’où tu viens » dit un proverbe africain. L’histoire explique le présent par le passé et nous indique les grands enjeux des luttes que nous devrions mener. Depuis plus de 5 siècles, nous les racisés nous sommes maintenus dans l’esclavage et la servitude, par un Code Noir, un Code de l’Indigénat qui ne dit pas son nom. Certaines vies méritent des marches à la Place de la République, des commémorations nationales, de nouvelles rues ou lieux rebaptisées, des plaques devant toutes les écoles de France, mais pour nous les racisés, c’est les calomnies, la prédation et la violence.

Deux pièces de théâtre, «Aube de sang » de Cheikh Faty FAYE et «Thiaroye, terre rouge» de Ben Diogaye BEYE et Boris Boubacar DIOP rendront hommage à ces martyrs du Camp de Thiaroye. Pat PERRAT a produit une bande dessinée «Morts par la France, 1944» sortie le 2 mai 2018 et inspirée des travaux du professeur Armelle MABON.

 Armelle MABON, maître de conférences à l’université  Bretagne Sud, que j’avais rencontrée, le 1er octobre 2016, à la mairie du 19ème, en présence du Conseil général, son excellence Amadou DIALLO, en a fait le combat de sa vie. «Ce n’est pas tant la revendication de quelques milliers de francs que la puissance coloniale choisit de mâter ce jour-là, mais bien des aspirations à l’égalité et à la liberté qui commençait à émerger après la guerre» écrit le professeur MABON, la tragédie de Thiaroye, c’est un «déni d’égalité». Cette universitaire réclame la révision du procès de Thiaroye et la réouverture des archives françaises. Face à un lâche crime contre l’Humanité, les autorités sénégalaises devraient accorder plus d’attention aux démarches du professeur Armelle MABON.

 Indications bibliographiques

AKPO (Catherine), «Souviens-toi de Thiaroye ! La mutinerie des Tirailleurs sénégalais du 1er décembre 1944», Guerres mondiales et conflits contemporains, janvier 1996, n°181, pages 21-26 ; 

BENOT (Yves), Massacres coloniaux, 1944-1950, la IVème République et la mise au pas des colonies françaises, Paris, La Découverte, 1994, 199 pages ;

CROSET (Françoise), Cahiers pour une histoire du massacre de Thiaroye, Hal Archives Ouvertes, 27 avril 2018, 56 pages ;

DIALLO (Doudou) «L’aube tragique du 1er décembre 1944, Thiaroye», Afrique histoire, 1983 n°7, pages 49-51 ;

DIOP (Samba), Thiaroye, 1944, massacre de Tirailleurs ex-prisonniers de guerre, maîtrise d’histoire, Dakar, UCAD, 1988, 92 pages ;

DUVAL (Eugène-Jean), L’épopée des Tirailleurs sénégalais, Paris, l’Harmattan, collection études africaines, 2005, 450 pages, spéc pages 316 et suivantes ;

FARGETTAS (Julien), «La révolte des Tirailleurs sénégalais de Thiaroye, entre reconstruction mémorielle et histoire», Vingtième siècle, octobre décembre 2006, n°92, pages 117-130 ;

GUEYE (M’Baye), «Le décembre 1944 à Thiaroye ou le massacre des Tirailleurs sénégalais, anciens prisonniers de guerre», Revue Sénégalaise d’Histoire, 1995, n°1, pages 3-23 ;

IMOROU (Abdoulaye), «Thiaroye, Oradour-sur-Glane et les défis d’une mémoire partagée, une lecture croisée du Camp de Thiaroye et du Vieux fusil», Etudes Littéraires Africaines, 2015 vol 40, pages 61-76 ;

M’BAJUM (Samuel), Les combattants africains dit Tirailleurs sénégalais au secours de la France, 1857-1945, Paris, éditions Riveneuves, 2013, 524 pages ;

MABON (Armelle), «La tragédie de Thiaroye, symbole du déni d’égalité», Hommes et Migrations, 2002, n°1335, pages 86-95 ;

MABON (Armelle), «Le massacre des ex-prisonniers de guerre coloniaux le 1er décembre 1944, à Thiaroye», in Lorin Amaury et Taraud Christelle, Nouvelle histoire des colonisations européennes, (XIXème-XXème siècles), Paris, P.U.F, 2013, 244 pages, spéc pages 197-209 ;

MABON (Armelle), Prisonniers de guerre «indigènes», visages oubliés de la France occupée, Paris, La Découverte, 2010, 171 pages ;

MABON (Armelle), «Une singulière captivité des prisonniers de guerre coloniaux durant la Seconde guerre mondiale», French Colonial History, 2006, vol 7, pages 187-197 ;

MABON (Armelle), Synthèse sur le massacre de Thiaroye, Sénégal, 1er décembre 1944, Lorient, 14 octobre 2014, 11 pages ;

MOURRE (Martin), Thiaroye 1944, histoire et mémoire d’un massacre colonial, préface Elikia M’Bokolo, postface Bob W. White, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2017, 240 pages ;

MOURRE (Martin), «La répression de Thiaroye, décrire les différents degrés de la violence coloniale», Les Temps Modernes, 2017, Vol 2-3, n°693-694, pages 87-110 ;

PARENT (Sabine), «Thiaroye, une métaphore vive», Cahiers internationaux du symbolisme, 2010, n°125-127, pages 15-29 ;

PARENT (Sabine), Mémoire vive de l’événement : Thiaroye et ses réinterprétations artistiques successives, Université Libre de Bruxelles, 41 pages ;

SCHECK (Raphaël), Une saison vive : les massacres de Tirailleurs sénégalais, 1945-1960, Paris, éditions sociales 1972, 287 pages ;

TEULIERES (Laure), in Véronique Bonnet, Conflits de mémoire, Paris, Karthala, 2005, 365 pages, spéc pages 225-227.

 Paris, le 30 novembre 2019, par Amadou Bal BA.

Illustration 1

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