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Billet de blog 1 avril 2017

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Les devoirs des serviteurs de l'Etat

Alors que les affaires d'emplois fictifs et de détournements de fonds publics animent la campagne électorale, il peut être bon de rappeler quelques lois qui ont défini des règles de bonne conduite à l'encontre des serviteurs de l’État et ce, dès 1302.

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 Chronique "Un saut dans la loi" dans "La Fabrique de l'histoire" sur France Culture, le 24 mars 2017 (https://www.franceculture.fr/emissions/la-fabrique-de-lhistoire/le-centenaire-de-jean-rouch)

Alors que les affaires d'emplois fictifs et de détournements de fonds publics animent la campagne électorale, vous avez décidé de nous rappeler quelques lois qui ont défini des règles de bonne conduite à l'encontre des serviteurs de l'Etat et ce, dès 1302.
Et oui, il y a plus de 700 ans, Philippe Le Bel édictait déjà quelques règles que ses agents devaient respecter : désintéressement, impartialité, interdiction des cadeaux et des rémunérations provenant des particuliers, interdiction d’accepter des prêts... Mais bon, ça ne va pas durer. Deux siècles plus tard, soit vers 1483, le système de vénalité des charges est progressivement mis en place. En gros, pour combler le déficit des finances, nombre de hautes fonctions de notables sont attribuées contre paiement et les cadeaux de la part des administrés sont autorisés. Et la corruption va peu à peu se généraliser à la fin du XVIIIe siècle.
Alors aux premières heures de la révolution française, on tente de s'y attaquer. Dans la nuit du 4 août 1789, l’Assemblée nationale constituante vote l’abolition des privilèges et l’article 7 du décret adopté supprime la vénalité des charges. Avec la naissance de la représentation nationale, nombre de règles sont alors proclamées à l'encontre du personnel politique. On se soucie d'abord d'assurer l'indépendance des parlementaires. Le 23 juin 1789, la première Assemblée nationale se préoccupe de leurs immunités et décrète que : « La personne de chacun des députés est inviolable ». Ils vont être indemnisés de leurs frais de séjour et de déplacement à l'instar des membres des états généraux. Le 1er septembre, un décret fixe leur indemnité à 18 livres par jour. D'autres textes suivront comme celui leur interdisant, je cite « d’accepter du gouvernement aucune place, même celle de ministre, aucun don, pension, traitement ou emploi, même en donnant leur démission ».
Plus généralement, sous la Révolution française, apparaît la notion de fonctionnaire. Sous ce vocable, on désigne dans un premier temps les ecclésiastiques, les administrateurs, les juges, les officiers et les notaires. Fidélité, moralité, honnêteté : ces valeurs sont réaffirmées y compris dans le serment imposé en 1791 à tous les fonctionnaires. En fait, les révolutionnaires ont à cœur de réformer l'administration, héritée de l'Ancien Régime, en multipliant les règles pour éviter toute corruption. Dès 1789, ils interdisent dons d’étrennes, gratifications et cadeaux. En 1791, ils déterminent les incompatibilités, par exemple, entre un emploi de fonctionnaire et une situation de faillite. En mai 1793, la Convention décrète encore que « les représentants du peuple sont à chaque instant comptables à la Nation de l’état de leur fortune ».
Dans les textes, les serviteurs de l'Etat se doivent donc d'être intègres. Dans les faits, c'est une autre paire de manches. Et les gouvernements ne cessent d'affiner les règles et de prendre des dispositions pour éviter tout risque de conflit d’intérêts. Ainsi, au début du XXe siècle, face au départ massif des agents vers le privé, on crée un « délit de pantouflage ». La loi du 6 octobre 1919 précise que les agents doivent attendre cinq ans après leur démission avant de pouvoir prendre des participations dans des entreprises qu’ils ont surveillées. En 1934, un décret-loi leur interdit de participer aux organismes de direction des sociétés commerciales. Le 29 octobre 1936, un autre texte restreint les possibilités de cumuls d’emplois et de rémunérations.
En fait, il faudra attendre qu’un statut général des fonctionnaires voie le jour pour que toutes ces obligations soient réunies mais aussi précisées et s’appliquent à tous les agents de l’Etat. Si un premier statut a été défini sous Vichy par une loi du 14 septembre 1941, il fut peu appliqué. A la Libération, une épuration a lieu dans l'administration et une vaste réforme de la Fonction publique est enclenchée. En 1945, est créée l'Ecole normale d'administration (l'Ena) et sous l’impulsion de Maurice Thorez, ministre communiste chargé de la Fonction publique, un statut général des fonctionnaires émerge.
Avec l’ordonnance du 4 février 1959, suite à la nouvelle Constitution, un statut est promulgué. Un autre sera mis en place avec l'arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, porté une fois encore par un ministre communiste, Anicet Le Pors. Ce nouveau statut est décliné en quatre lois de 1983 à 1986. La première, celle du 13 juillet 1983 porte sur les droits et les obligations des fonctionnaires. Et ces dernières sont clairement affirmées. Dans son discours à l'Assemblée, le 3 mai 1983, Anicet Le Pors rappelle ainsi que « le fonctionnaire [...] doit témoigner d’un certain nombre de qualités spécifiques qui entraînent des sujétions particulières : avoir un minimum de vocation pour le service public, passer un concours, posséder une formation adaptée, faire preuve d’un sens de l’intérêt général, renoncer à cumuler plusieurs activités professionnelles (...) » . Et la loi est on ne peut plus claire dans son article 25, je cite : « Les fonctionnaires consacrent l'intégralité de leur activité professionnelle aux tâches qui leur sont confiées. Ils ne peuvent exercer à titre professionnel une activité privée lucrative de quelque nature que ce soit ». Si des dérogations existent, elles sont fixées par décret en Conseil d'Etat. Le même article poursuit encore : « Les fonctionnaires ne peuvent prendre, par eux-mêmes ou par personnes interposées, dans une entreprise soumise au contrôle de l'administration à laquelle ils appartiennent (...) des intérêts de nature à compromettre leur indépendance ».
Bref, tout ça pour dire que ça fait des siècles que les gouvernements édictent des règles de bonnes conduites à l'encontre des serviteurs de l'Etat, les martèlent même, sans qu'elles soient toujours respectées, loin s'en faut.
On peut lire notamment de Luc Rouban, « Les fonctionnaires », paru en 2009 au éditions de La Découverte, dans la collection « Repères » et consulter sur le site de l'Assemblée nationale le dossier consacré au statut du député (http://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/collection/7.asp#deuxi%C3%A8me%20partie).

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