Chronique « Un saut dans la loi » diffusée en avril 2008 dans La Fabrique de l’histoire sur France Culture
Le 1er avril 2008, le tribunal de Lille prononçait l’annulation d’un mariage au motif d’une erreur sur une qualité essentielle de l’épouse (la virginité), une décision qui suscite une polémique, et qui a poussé la garde des Sceaux à demander au parquet de faire appel de cette décision. Pour l'heure, chacun y va de ses commentaires plus ou moins enflammés et renvoie à l'article 180 instauré par la loi du 17 mars 1803.
Plus que la teneur de l'article 180 qui est pour le moins assez flou : « S’il y a eu erreur dans la personne, l’autre époux peut demander la nullité du mariage », je voudrais revenir brièvement sur le contexte dans lequel s'inscrit cet article de 1803, c'est-à-dire entre le droit révolutionnaire et le Code civil de Napoléon. Très brièvement, nous sommes à une période où s'instaure le mariage civil qui marque, comme le note la sociologue Irène Théry dans son ouvrage « Le démariage », « l'entrée du droit de la famille dans la modernité ». Ainsi, l'article 7 de la Constitution de 1791 déclare que « la loi ne considère le mariage que comme un contrat civil ». Il s'agit d'assurer à tous les citoyens l'exercice de leurs droits. La célèbre affaire Talma aura notamment obligé le législateur à se poser la question sur la nature même du mariage civil. En effet Talma, comédien du Théâtre-Français, se voit refuser le mariage par le curé de la paroisse Saint-Sulpice, compte tenu je cite, des « moeurs infâmes » des comédiens. Il en réfère alors à l'Assemblée constituante. C'est un exemple qui nous montre combien on est alors en plein débat sur la sécularisation du mariage, alors qu'on fait référence à la liberté individuelle et à l'égalité y compris entre époux. La loi du 20 septembre 1792 va donner lieu à des discussions sur la définition même du contrat de mariage et sur son pendant, le divorce. Ce dernier sera alors instauré. C'est à ce moment-là encore où le mariage est contracté devant l'officier municipal qui tient alors le registre de l'état civil.
Huit ans plus tard, ce sera le coup d'Etat du 18 brumaire, soit le 9 novembre 1799, Bonaparte devient Premier Consul. Suivra en 1801, le Concordat, conclu entre Bonaparte et Pie VII qui réorganise le catholicisme en France. Portalis est alors parmi d'autres, chargé de rédiger le Code civil. En matière de mariage, il affirme que ce contrat est « perpétuel par destination ». Il s'agit d'empêcher selon ses termes que « le plus saint des contrats ne devienne le jouet du caprice ou de l'inconstance ». Le divorce pour incompatibilité d'humeur est alors aboli, celui par consentement mutuel très encadré avant d'être interdit en 1816. Quoiqu'il en soit, le code napoléonien qui restaure notamment la puissance paternelle et l'infériorité juridique de la femme, entérine la place du législateur et ne remet pas en cause le caractère laïque du mariage civil. Il reste un contrat et comme tout contrat, il comporte des « vices de forme » si j'ose dire. Ainsi, l'article 180 de la loi du 17 mars 1803 stipule qu'il peut y avoir erreur sur la personne que l'on épouse. Cette erreur s'est très longtemps cantonnée à l'identité de la personne. Exemple vous épousez un sosie ou un jumeau, il y a usurpation de l'identité de l'époux, votre mariage est annulé. Une jurisprudence est venue renforcée cette définition de l'erreur, c'est le fameux arrêt Berthon du 24 avril 1862. Une jeune épouse un homme et découvre qu'il s'agit d'un ancien bagnard. Et bien la Cour de cassation refuse de reconnaître la nullité du mariage. Il faudra attendre 1975 et la grande loi sur le divorce pour voir s'élargir la notion d'erreur aux « qualités essentielles » de la personne. Peuvent être alors retenues l'ignorance d'une maladie mentale ou l'inaptitude aux relations sexuelles mais la définition même de ces qualités essentielles restent à l'appréciation des juges, en tenant compte de la personnalité de l'époux abusé et de la conception dominante du mariage.
Ainsi donc, on le voit, le fameux article 180 est suffisamment flou pour susciter bien des débats.
On peut signaler l'ouvrage d'Irène Théry, « Le Démariage », paru 1993 chez Odile Jacob et le « Droit de la famille » de Marie-France Nicolas-Maguin, paru en 1998 dans la collection Repères à La Découverte.