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Billet de blog 13 mai 2016

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Loi du 16 mai 1946 sur les CE

Chronique "Un saut dans la loi", diffusée dans "La Fabrique de l'histoire" sur France Culture, le 13 mai 2016

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Une fois n'est pas coutume, aujourd'hui, alors que l'actualité législative brûlante est ailleurs, vous avez décidé de fêter une loi, celle du 16 mai 1946 qui entérina la création des comités d'entreprise, voilà 70 ans presque jour pour jour donc.
Ben, il est des bougies qu'il ne faudrait pas oublier de souffler... D'autant qu'il a fallu quand même du temps avant d'arriver à cette loi, sans remonter aux tentatives de coopératives ouvrières de la fin du 19e siècle, ni même aux revendications pour un contrôle ouvrier sous le Front populaire. Comme l'a montré l'historienne Rolande Trempé qui vient de nous quitter, les comités d'entreprise prennent leur source dans les comités patriotiques qui œuvrent dans les usines pour la libération du pays. Jusqu'à fin 44, ils se multiplient un peu partout sur le territoire pour défendre les installations industrielles contre les sabotages ou pour accroître les efforts dans les industries d'armement. Jean-Michel Leterrier, dans « Voyage au pays des CE » qui vient de paraître, cite ainsi l'entreprise Lafargue en Ardèche, qui resta sous contrôle ouvrier plus de trois ans. A Marseille, à l'automne 1944, le Commissaire régional de la République, Raymond Aubrac, ordonne la réquisition de 15 entreprises, regroupées dans l'association Marentreq. En avril 1946, 14 d'entre elles sont bénéficiaires. Face à ces expériences autogestionnaires, certains redoutent un « Soviet à la française ». Le Conseil des ministres du gouvernement provisoire rappelle ainsi le 29 septembre 1944 qu' « aucune autorité, ni aucun organisme n'a qualité pour modifier, en dehors des prescriptions de la loi, les fondements du régime des entreprises ».
Alors si le 15 mars 1944, le Conseil national de la Résistance mentionnait dans son programme « la participation des travailleurs à la direction de l’économie », il faut attendre le 22 février 1945 pour qu'une ordonnance soit promulguée. Cette dernière institue les comités d'entreprise mais du bout des lèvres, si j'ose dire. Ils n'ont pas de réels pouvoirs. La CGT émet de vives critiques et va batailler pour faire évoluer le texte. En octobre 1945, les choses vont changer avec la victoire de la gauche aux élections. Ambroise Croizat, secrétaire de la fédération CGT des Métaux, devient ministre du Travail. Et le 15 février 1946, le gouvernement dépose un projet de loi modifiant l’ordonnance de février 1945. Albert Gazier, ancien secrétaire de la CGT, devenu député SFIO de la Seine, fait de même. Les deux textes se combinent pour donner la loi du 16 mai 1946, qui est votée à l'unanimité.
En quoi ce texte modifie profondément l'ordonnance antérieure ? Et bien, il donne beaucoup plus de poids au comité d'entreprise. D'abord, il est obligatoire dans les entreprises d'au moins 50 et non plus 100 salariés. Et puis, surtout, il doit être consulté sur la gestion de l'entreprise. Les documents destinés aux actionnaires lui sont remis et il peut se faire assister d'un expert-comptable. Il bénéficie d'autre part de 20 heures de délégation, prises sur les heures de travail, pour mener à bien sa mission.
Évidemment, tout ça, ça fâche le patronat. La Chambre de commerce de Paris adresse au ministre du Travail un rapport critique, tandis que le CNPF, fraîchement constitué, proteste et déclare que le Parlement devra refaire le texte, quand, je cite, « il aura retrouvé sa position d’équilibre ». Autrement dit, quand il penchera moins à gauche.
Quoiqu'il en soit, les comités d'entreprise sont institués et il va falloir faire avec. Même si les débuts sont difficiles. A Clermont-Ferrand, par exemple, la société Michelin bataille pour retarder la gestion par le CE des œuvres sociales. Comme le rappelle encore Jean-Michel Leterrier, en sept ans, ce bras de fer donne lieu à 15 décisions de jurisprudence dont des arrêts de la Cour de cassation. Mais outre les entraves patronales, dans un pays en pleine déconfiture, il faut parer au plus pressé. Les CE vont donc à leur début œuvrer avant tout au ravitaillement et à la santé. Ils créent des infirmeries, des cantines mais aussi des coopératives ouvrières pour faire baisser les prix. On les nomment alors les « comités patates ».
Peu à peu, ils vont élargir leurs actions à la mise en place de colos, de villages vacances, d'activités sportives mais aussi culturelles. On verra alors des salles de spectacle remplies d'ouvriers venant applaudir les plus grands artistes de l'époque.
Bref, on renoue avec l'élan du Front populaire, un autre anniversaire à fêter en cette année 2016.
On peut lire « Voyage au pays des CE. 70 ans d’histoire des comités d’entreprise » de Patrick Gobert et Jean-Michel Leterrier, qui vient de paraître aux éditions du 1er Mai.

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