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Billet de blog 14 octobre 2016

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Loi de 1970 et "salles de shoot"

Mardi, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, inaugurait la première salle de consommation à moindres risques ou salle de shoot à l’hôpital Lariboisière à Paris. Une autre doit ouvrir ses portes à la fin du mois à Strasbourg. Une initiative qui a pris de longues années avant de voir le jour, freinée notamment par la loi du 31 décembre 1970.

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Loi du 31 décembre 1970 de lutte contre la toxicomanie
Chronique "Un saut dans la loi", diffusée dans "La Fabrique de l'histoire" sur France Culture, le 14 octobre 2016.

Mardi, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, inaugurait la première salle de consommation à moindres risques ou salle de shoot à l’hôpital Lariboisière à Paris. Une autre doit ouvrir ses portes à la fin du mois à Strasbourg. Une initiative qui a pris de longues années avant de voir le jour, freinée notamment par la loi du 31 décembre 1970.
Nous sommes en fait face une loi paradoxale dans la mesure où elle entend lutter contre la toxicomanie en sanctionnant les usagers de drogues et plus fortement que les lois précédentes, tout en mettant en place une prise en charge sanitaire. Nous voilà au lendemain de Mai 68 et les élections législatives viennent de porter une nouvelle Chambre « bleu horizon » avec 394 sièges pour la majorité présidentielle et 91 pour la gauche. La bataille contre la dissolution des mœurs peut démarrer. Le gouvernement veut s’attaquer notamment au fléau de la drogue qui ne cesse de faire la une des journaux. En 1968, une saisie record de 112 kg d’héroïne met en lumière le développement de la French Connection, centrée sur Marseille, qui assure le trafic vers les États-Unis. Et puis surtout, la France qui semblait épargnée par la toxicomanie, commence elle aussi à être touchée, même si on a encore du mal à cerner son ampleur. Quoiqu’il en soit, les médias vont mener une vaste campagne sur le sujet. Elle démarre à l’été 1969 quand une jeune fille est retrouvée morte d’overdose dans les toilettes du casino de Bandol. Ce fait divers va devenir une véritable affaire et les articles se multiplient pour dénoncer les ravages de la drogue sur la jeunesse.
Un problème dont s'emparent nombre de députés lors des questions au gouvernement, à l'instar de Jacques Barrot qui demande à plusieurs reprises quelles mesures sont envisagées pour enrayer le phénomène. De son côté, Achille Peretti, président de l’Assemblée nationale, soumet quelques suggestions au garde des Sceaux. Et il n’y va pas de main morte. Il préconise un jugement devant la cour d’assise, des cures de désintoxication payantes voire l’expulsion, je cite, « de tous ces chevelus sales et hirsutes qui hantent les nuits et les jours de Paris et des grandes villes ».
Il est temps de calmer les esprits… En novembre 1969, le gouvernement nomme une commission chargée d’étudier la question, présidée par le député UDR Pierre Mazeaud. Plusieurs experts sont alors entendus qui s’opposent à la pénalisation de l'usage des drogues, dont Claude Olievenstein, à la tête du Centre Marmottan, qui souligne « l’échec total des mesures coercitives ». C’est aussi le point de vue du ministre de la Santé, Robert Boulin, qui déclare le 24 octobre 1969 : « S’il convient de réprimer sévèrement le trafic de drogues, le drogué lui-même doit être considéré comme un malade et traité comme tel ».
Seulement voilà, on va assister à une bataille entre son ministère et celui de la Justice, comme l’a bien montré Jacqueline Bernat de Celis dans une étude de la loi. Deux rapports vont émerger, l’un mettant l’accent sur la prise en charge médicale du toxicomane, l’autre sur la répression. Finalement, fin juin 1970, la proposition soumise au Parlement, sous la pression du gouvernement, penchera pour un renforcement des sanctions, même si un volet sanitaire est prévu. L'usager de drogue est certes un malade mais il reste un délinquant à poursuivre.
Après des mois de navettes entre l’Assemblée et le Sénat, le texte voté le 31  décembre 1970, sans grandes discussions, va à la fois durcir les sanctions contre les trafiquants et les usagers de drogues. Ces derniers encourent 2 mois à un an de prison et une amende de 500 à 5000 francs. Et puis, contrairement aux lois de 1916 et de 1953 qui ne réprimaient que l'usage en société, la loi de 1970 punit aussi l’usage personnel et solitaire de produit stupéfiant. Sont également punies d'un à cinq ans de prison et d’une forte amende, les personnes faisant la présentation sous un jour favorable de l’effet des drogues. Cette disposition entravera fortement la diffusion de l'information et donc la prévention.
Parallèlement, comme le note Gwenola Le Naour, la loi met en place les fondements d'une prise en charge sanitaire des toxicomanes. Son premier article établit que toute personne usant de façon illicite de stupéfiants est placée sous la surveillance de l’autorité sanitaire. La loi prévoit ainsi une injonction thérapeutique. Dès lors, l'usager de drogue qui suivra une cure de désintoxication échappera aux sanctions. Une mesure que prévoyait déjà la loi de 1953 mais qui ne fut jamais mise en place, faute de décret d'application.
Ceci étant dit, malgré cette alternative aux sanctions, la loi de 1970 est fortement répressive et va gravement freiner les politiques de prévention. Dans sa lignée, un décret du 13 mars 1972 interdit la vente de seringues aux toxicomanes. Il faudra attendre 1987 pour qu'il soit aboli, grâce à la bataille menée par Michèle Barzach, en pleine épidémie de sida.
En attendant, la loi de 1970 qui pénalise l'usage de stupéfiants est toujours en vigueur. Elle est juste mise en sourdine aujourd'hui dans les salles de shoot, où toxicomanes et accompagnants bénéficient d'une immunité.
On peut lire de Gwenola le Naour « Drogues, sida et action publique. Une très discrète politique de réduction des risques », paru au PUR en 2010. Et l'étude de Jacqueline Bernat de Celis, « Drogues, consommation interdite. La genèse de la loi du 31 décembre 1970 », parue en 1996 chez l'Harmattan.

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